
La hausse du pétrole relance les craintes inflationnistes

L’inflation a-t-elle vraiment dit son dernier mot ? Le recul de l’indice des prix à la consommation ces mois passés a rassuré les investisseurs sur la probable fin des hausses de taux des banques centrales. L’inflation a ralenti sous l’effet notamment d’effets de base favorables des prix de l’énergie, un phénomène conjugué désormais à un repli de la composante sous-jacente (hors prix volatils de l’énergie et de l’alimentation), aux Etats-Unis surtout, alors qu’elle se stabilise en Europe. C’était toutefois sans compter sur le fort rebond des prix du baril de pétrole depuis fin juin.
Les cours du Brent et du WTI ont repris 25% et 29% respectivement sur la période, dont 9% et 11% depuis le 23 août. Mardi, le prix du baril de brut de mer du Nord a dépassé 90 dollars pour la première fois depuis novembre 2022, ravivant les craintes inflationnistes et poussant les taux longs à des niveaux de nouveau proches de leurs plus hauts récents. Certains stratégistes voient le cours du pétrole poursuivre sa hausse jusqu’à 100 dollars sous l’effet de la baisse de production de la Russie, mais surtout de l’Arabie saoudite, qui ont confirmé leurs restrictions jusqu’à la fin de l’année. Le risque de récession, principalement dans la zone euro, et le ralentissement en Chine, ne semblent pas suffisants pour enrayer cette hausse.
«Ce mouvement a déjà eu un impact évident sur les prix de l’essence et devrait conduire à des indices de prix à la consommation (IPC) moins favorables en août», relève Jim Reid, stratégiste chez Deutsche Bank. D’abord aux Etats-Unis, où les prix à la pompe ont atteint leur deuxième point haut depuis 1994. En Europe, où la récente hausse des prix du gaz pourrait également se répercuter sur l’inflation, le rebond des prix du carburant a déjà un impact sur le sentiment des consommateurs. La dernière enquête de la Banque centrale européenne (BCE) montre que leurs attentes en matière d’inflation à trois ans ont augmenté à 2,4% en juillet, contre 2,3% en juin. Les attentes médianes pour les 12 prochains mois restent inchangées à 3,4%, mettant fin à une tendance à la baisse constante depuis six mois.
Hausse des indices d’inflation
«Le risque est que la nouvelle hausse des prix du pétrole ne fasse qu’ajouter aux pressions dans les chiffres de septembre et octobre également», poursuit Jim Reid. Ce qui risque de poser un dilemme aux banques centrales à un moment où certains indicateurs d’activité sont déjà en baisse, notamment en Europe. «Il est vrai que cela n’apparaîtra pas directement dans l’inflation sous-jacente puisqu’il s’agit de l’énergie, mais le risque est d’avoir au final des effets de second tour dans d’autres catégories», ajoute le stratégiste.
Un statu quo des banques centrales est anticipé par les marchés lors des prochaines réunions de la Fed et de la BCE. Mais le doute persiste. La récente hausse du pétrole pourrait perturber la communication des banques centrales.
Klaas Knot, l’un des membres «faucons» de la BCE, a affirmé mercredi que les investisseurs qui pariaient contre une hausse de taux la semaine prochaine sous-estimaient cette probabilité (de 33% sur le marché monétaire). Même son de cloche outre-Atlantique, où le gouverneur de la Fed Christopher Waller a mis en garde contre l’anticipation d’une fin des hausses de taux. Il a souligné que la Fed s’était déjà «brûlée» sur des données qui semblaient montrer une amélioration sur le front de l’inflation, pour ensuite voir les pressions sur les prix devenir plus fortes que prévu. «La hausse des taux d’intérêt dépend des données. Nous devons attendre et voir si cette tendance inflationniste se poursuit», a-t-il affirmé.
Beaucoup se montrent toutefois sceptiques sur l’impact durable de cette hausse des prix du pétrole, d’autant que celle-ci n’aura qu’un effet limité sur l’inflation totale, car l’énergie ne représente que 8% de l’indice des prix à la consommation. «La hausse des prix récente porte sur les prix à la pompe et non sur le gaz et l’électricité, ce qui est différent du choc de 2022», ajoute Bastien Drut, responsable des études et de la stratégie chez CPR AM, même si «des deux côtés de l’Atlantique, le rebond récent des prix à la pompe va contrecarrer la baisse à venir de l’inflation sous-jacente». Selon lui, la hausse des prix à la pompe ne devrait pas se traduire par des effets de second tour importants, mais dans la configuration d’inflation élevée, elle va forcément retenir l’attention des banquiers centraux.
Durée du choc
«Il y aura un impact à court terme sur les prochaines publications d’inflation, car l’effet de base lié aux prix de l’énergie qui avait été jusque-là favorable va devenir défavorable, mais je doute que cela aura des répercussions sur l’inflation ‘core’ de manière durable», estime Mabrouk Chetouane, économiste chez Natixis IM. Tout va dépendre de la durée du choc sur les prix du pétrole. «Il n’y aura un effet de second tour que si la tension sur les prix des intrants est durable pour les entreprises, comme lors du début de la guerre en Ukraine, ce qui les pousserait alors à remonter leur prix de vente pour préserver leurs marges», poursuit-il. Pour cela, il faudrait que l’Arabie saoudite maintienne la pression sur le marché ou que la Chine annonce un plan de relance massif, ce qui est peu probable, estime-t-il.
Mercredi, les taux longs continuaient de progresser dépassant 5% à 2 ans et 4,3% à 10 ans sur le marché américain après l’annonce d’un indice ISM des services en forte hausse, témoignant de la résilience de l’économie américaine.
Outre les données macroéconomiques, la forte activité sur le marché primaire corporate aux Etats-Unis a aussi eu un impact sur les rendements des Treasuries. Pour pouvoir absorber l’importante offre des derniers jours, d’un montant de 36 milliards de dollars, et de 120 milliards de dollars anticipés en septembre, alors que se profile un risque de hausse des taux, les investisseurs se couvrent contre ce risque en vendant les taux américains, exacerbant la hausse des rendements, expliquent les stratégistes de Deutsche Bank.
Mais cette hausse des taux a aussi d’autres ressorts que le rebond des prix du pétrole. «Trois éléments expliquent les récents mouvements sur les taux longs, qui reviennent à leur point haut de cet été, souligne Mabrouk Chetouane. D’abord, la hausse des taux réels qui reflète l’idée que la croissance est plus solide qu’attendu aux Etats-Unis. Ensuite, l’incertitude du marché sur une éventuelle hausse supplémentaire de la Fed. Enfin, le fait que la croissance américaine est avant tout soutenue par une politique budgétaire accommodante qu’il faut financer.» Les émissions de dette ont augmenté ces derniers mois alors que la demande reste identique. Les investisseurs réclament une prime de terme plus importante pour rémunérer ce risque.
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