La crainte d’une crise financière de liquidité réapparaît

La Fed refinance l’économie réelle via les «commercial papers», les banques étrangères se tournent plutôt vers les sorties de fonds en dollars…
Fabrice Anselmi

Ceux qui estiment encore que la crise sanitaire et économique ne sera pas une nouvelle «crise de liquidité» parce que les banques centrales (Fed, BoJ, BCE) font «tout ce qu’il faut» pour l’éviter devraient se méfier. Après les mesures de la banque américaine dimanche, il y avait moyen de penser que tous les besoins seraient comblés : le spread FRA-OIS (forwards sur US Libor 3m moins forwards sur OIS 3m) est même repassé de 73 à 27 points de base (pb) depuis vendredi, montrant une moindre anticipation des banques sur les demandes de financements à terme.

Les besoins accélèrent

Mais face à une panique qui gagne également les entreprises, les besoins de liquidité s’accélèrent, et les contreparties américaines qui apportent d’habitude leurs Treasuries sur le marché interbancaire de la «mise en pension» à 1 jour («repo» overnight) ont pu rencontrer quelques difficultés à se refinancer ainsi. Des frictions ont amené certaines transactions au jour le jour à 2% lundi au lieu de 0,26% pour l’indice Sofr sur le repo overnight désormais aligné sur les taux Fed funds et d’escompte à 3 mois (0,25%). Dans ces conditions, et alors que le taux US Libor 3m remontait mardi de 10 pb à 0,84% (73 pb pour l’écart spot BOR-OIS), certaines des plus grandes banques ont reconnu qu’elles accéderaient au guichet d’escompte de la Fed, alors qu’il s’agit d’une facilité d’urgence qu’elles rechignaient jusque-là à utiliser, même en 2008.

Les tensions remontent sur divers pans du marché du crédit, et risquent de mettre la trésorerie de certaines entreprises en difficulté : la Fed a donc exceptionnellement rouvert sa Commercial Paper Funding Facility (CPFF) pour acheter des créances corporate à court terme, comme en 2008, autant que de besoins a semblé dire Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor… «Ces achats directs étant désormais interdits par le Dodd Frank Act, la Fed utilisera pour les acheter indirectement ce véhicule (SPV), dont les premières pertes éventuelles seraient financées à hauteur de 10 milliards de dollars par le Trésor américain, souligne Guillaume Martin, stratégiste fixed income chez Natixis. Cela donne une assurance de liquidité à ces émetteurs qui peuvent voir leurs créances rachetées par le SPV avec une décote de 200 pb par an, plus une commission de 10 pb pour ce nouveau créancier public.»

L’ombre du «shadow banking»

Autre signe inquiétant : après que la Fed a proposé dimanche un swap à 3 mois à un meilleur prix (OIS+ 25 pb) pour atténuer les contraintes de financement en dollars des autres grandes banques centrales, la Banque du Japon (BoJ) a utilisé cette «ligne» pour injecter notamment 30,3 milliards de dollars dans le cadre d’une opération de financement à 84 jours sur son marché domestique - la plus importante depuis 2008, «mais cela n’a pas dû suffire, poursuit Guillaume Martin. Le ‘spread’ du ‘cross-currency swap’ dollar-yen s’est quand même écarté de 60 pb à 120 pb, d’autres banques asiatiques étant passées massivement par des ‘brokers’ spécialisés, notamment japonais, pour se fournir en liquidités en dollars. Idem pour les ‘cross-currency swap’ dollar-euro ou dollar-livre sterling.»

Différence avec 2008 : au-delà des demandes spécifiques de certaines banques ou entreprises, dont les émissions en dollars ne font pas l’objet de flux immédiats, on peut imaginer d’autres flux sortants, notamment, ceux de fonds d’investissements, qui font l’objet de décollectes massives des investisseurs réallouant leurs positions actions/obligations (en monétaires), et sont libellés en dollars quand ils doivent céder des sous-jacents sous d’autres devises.

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