
La BCE reste sous la surveillance des marchés

Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), doit s’attendre à un exercice de communication très délicat, jeudi après la réunion du comité de politique monétaire. Notamment parce que, depuis la dernière réunion, la hausse des taux longs américains a bien changé la donne. Les taux longs européens sont passés depuis janvier de -0,57% à -0,30% pour le Bund (avec un pic à -0,20% le 25 février), -0,34% à -0,06% pour l’OAT (avec un pic à +0,06%) et de 0,51% à 0,69% pour le BTP (avec un creux à 0,44% le 12 février puis un pic à 0,83% le 25 février). Mais davantage par «contagion» que parce que les perspectives sanitaires et économiques s’améliorent à court terme. «La sensibilité des Bunds allemands par rapport aux Treasuries américains avait été réduite à moins de 60% après la crise de la zone euro, au moment du ‘taper tantrum’ de mai 2013, mais elle existe quand même», note Antoine Lesné, responsable de la stratégie et de la recherche chez SPDR ETF pour la région Emea.
La hausse des taux longs américains a été en grande partie perçue comme une bonne nouvelle de l’autre côté de l’Atlantique, même par la Fed, dont elle crédibilise l’action à moyen terme - en témoignent les points morts d’inflation à 5 ans. Ce n’est pas le cas en zone euro, où la BCE doit plutôt surveiller qu’un resserrement des conditions financières ne risque pas de retarder davantage la reprise, déjà à la traîne. Philip Lane, son chef économiste, a détaillé le 25 février les indicateurs à suivre, notamment les rendements souverains pondérés par le PIB et le taux sans risque au jour le jour (overnight index swaps, OIS), deux courbes repassées en positif en février…
La question du durcissement des conditions de financement pour les entreprises et les ménages reste entière : les optimistes avancent qu’avec un programme d’achats d’urgence (PEPP) très interventionniste, il y aurait une hausse des taux réels et de l’inflation, donc un durcissement du crédit quand les perspectives économiques vont s’améliorer. Les pessimistes estiment que des questions sur le financement des déficits budgétaires vont très vite se poser, qui peuvent aussi freiner la reprise économique si, comme aux Etats-Unis, elle doit s’appuyer sur des investissements publics.
Les Italiens à l’attaque
Depuis quinze jours, les gouverneurs de la BCE ont commenté ces risques de resserrement prématuré avec toujours plus de divergences. Le 2 mars dans un discours citant les Daft Punk qui a marqué les esprits, Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, a dénoncé l’idée que la politique monétaire serait moins nécessaire en 2021 : «Les décideurs ne devraient pas miser sur la matérialisation du scénario économique le plus favorable. Leur rôle est de faire en sorte que les pires scénarios soient écartés», a-t-il déclaré, en évoquant un équilibre asymétrique des risques, qui nécessite une fonction de réaction asymétrique, au-delà du rebond technique actuel de l’inflation.
Exprimant ses incertitudes sur la reprise, Fabio Panetta a appelé à en faire plutôt «trop» que «pas assez» - ce qui n’est jamais arrivé depuis la création de la zone euro où la demande intérieure est restée trop faible depuis 2008 - , et à exploiter à plein la puissance de feu du PEPP dans cette phase actuelle où la remontée touche encore peu les taux réels et ne correspondrait pas au taux nominal ciblé (non communiqué) par le Conseil des gouverneurs en décembre… «Ce discours, qui n’a pas dû échapper au nouveau premier ministre italien Mario Draghi, répond point par point aux arguments d’Isabel Schnabel, refusant de remettre en cause l’efficacité de la politique monétaire à l’égard de l’inflation, à juste titre quand on regarde la Fed. En tout cas, il ouvre la possibilité d’un réel débat dans le cadre de la revue de la stratégie monétaire en cours», estime Nicolas Goetzmann, directeur de la recherche à la Financière de la Cité.
La BCE, qui avait nettement ralenti ses achats PEPP, jusqu’à seulement 10 milliards la première semaine de février, les a nettement réaccélérés : 15 milliards par semaine en moyenne sur le mois de février (pour un encours de 870 milliards sur un potentiel de 1.850 d’ici à mars 2022), et pourrait repasser au-dessus de 20 milliards pour asseoir sa crédibilité. Alors que les équipes de Philip Lane confirment régulièrement que l’inflation restera contenue à moyen terme, le gouverneur allemand Jens Weidmann craint encore qu’elle puisse atteindre 3% outre-Rhin cette année, et souhaite que la BCE n’augmente ses achats que si elle conclut à une hausse des taux «injustifiée»… «On voit combien la tâche de Christine Lagarde de réunir les points de vue est difficile», conclut Antoine Lesné. Pour les marchés, le «narratif» de la présidente sera encore très important, même sans annonce autre que les nouvelles prévisions économiques.
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