La Banque du Japon retourne les marchés de changes

En infléchissant par surprise sa politique de contrôle des taux, la banque centrale nippone a déclenché un violent rebond du yen. Un mouvement appelé à se poursuivre.
Corentin Chappron
Banque du Japon
La Banque du Japon (BoJ) a annoncé mardi une révision de la bande de contrôle des taux à 10 ans.  -  Bloomberg

Comment dit-on « forward guidance » en japonais ? La Banque du Japon (BoJ) a surpris les marchés mardi, lors de sa dernière réunion de politique monétaire de l’année, en annonçant une révision de la bande de contrôle des taux à 10 ans. Lundi, l’institution avait assuré les investisseurs qu’elle ne toucherait pas à sa politique monétaire ultra-accommodante, unique parmi les grandes banques centrales. Elle s’était montrée si convaincante qu’aucun économiste parmi les 47 interrogés par Bloomberg ne s’attendait à une telle décision, dont les impacts pour les marchés dépassent largement les frontières du pays.

La bande de rendement dans laquelle pourra évoluer le taux à 10 ans a été rehaussée de 25 points de base, à 0,5%. Le taux directeur est resté inchangé, à -0,1%, tandis que la banque centrale va augmenter son volume de rachats d’actifs, de 7.300 milliards de yens par mois à 9.000 milliards de yens par mois.

La BoJ refuse pourtant de parler d’un durcissement monétaire, préférant invoquer le besoin « d’améliorer le fonctionnement du marché » des titres souverains. « Bien que la BoJ ait pris une mesure importante en ajustant la bande de contrôle des taux, elle va combattre l’idée qu’il s’agit d’un resserrement de sa politique avec une augmentation agressive des achats de JGB », résume Derek Halpenny, responsable de la recherche pour les marchés mondiaux chez MUFG dans une note. La baisse des actions, la remontée des rendements et le renchérissement de la devise sont malgré tout autant de facteurs de resserrement des conditions de financement. Le rendement à 10 ans japonais a gagné 17 pb en quelques minutes pour s’établir à 0,42%, avant de stagner à ce niveau. Les swaps de taux OIS sur le 10 ans, en revanche, ont nettement progressé pour s’établir à 0,75%, signe que les marchés s’attendent à d’autres évolutions de la politique monétaire.

Protections

De quoi déclencher un rebond de la devise, historiquement sous-évaluée : en termes réels effectifs, elle est tombée à son niveau le plus faible depuis 1973. Le yen s’est donc raffermi, gagnant 4,5% à 130,7 yens/dollar en fin de journée, mardi, contre une perte de 14,6% sur l’année. « Le yen a un historique de mouvements brusques, résume Kit Juckes, responsable des stratégies de Forex chez Société Générale CIB. Les investisseurs japonais détiennent des positions importantes à l’étranger, qu’il leur faut couvrir ». Le ratio de couverture avait chuté cette année : le dollar s’est renforcé, limitant l’intérêt de se protéger contre une hausse du yen, tandis que la courbe des taux américains s’est aplatie, rendant l’achat de couverture coûteuse. Par ailleurs,ce coût est plus élevé lorsque les mouvements de marché sont importants. Fin novembre, le coût d’une couverture à trois mois était estimé à 5% ; en réaction, le ratio de couverture des assureurs japonais avait chuté à un plus bas depuis 2010, à 49,6%.

Le renchérissement du yen va forcer les acteurs japonais à couvrir leurs positions, quitte à devoir vendre des actifs en dollars pour en financer le coût. De quoi signer définitivement l’arrêt du renforcement massif du billet vert en 2022 face aux grandes devises, un mouvement déjà interrompu depuis novembre.

Les investisseurs peuvent aussi se financer dans une devise à faible taux d’intérêt, comme le yen, ce qui renforcera la demande pour la monnaie. Le mouvement à la hausse du yen peut donc aller au-delà d’un réajustement des prix, prévient Kit Juckes, d’autant que la liquidité sur les marchés est dégradée en fin d’année.

Rapatriements

Au-delà du coût des couvertures, la décision de la BoJ pourrait provoquer un retour des investisseurs nippons sur leurs marchés domestiques. « Les acteurs japonais sont en position attentiste : les baisses de valorisations des titres souverains domestiques (détenus par les assureurs et les fonds de pension du pays, ndlr) ne sont pas suffisantes pour déclencher des ventes forcées, mais le niveau d’attractivité des actifs étrangers a en revanche diminué », explique Patrick Barbe, responsable de l’investment grade européen chez Neuberger Berman. « Cela favorisera une repentification des courbes des taux étrangers, notamment américains », par une remontée des taux longs. Les marchés mondiaux de taux ont été chahutés : le rendement des Treasuries américains à 10 ans a gagné 11 pb, à 3,70%, en quelques minutes mardi matin, avant de retomber à 3,65%, un plus haut depuis trois semaines. Le Bund a atteint son plus haut niveau depuis août 2011, à 2,29%. Les mouvements devraient par ailleurs se poursuivre dans les prochaines semaines, préviennent les intervenants.

Le renforcement du yen n’a, en revanche, pas déclenché de mouvements techniques. « Nous n’avons pas constaté d’importants rachats de positions vendeuses, explique Matthieu Genessay, porte-parole de la gestion de H2O AM. Les interventions de la BoJ sur les marchés avaient déjà fait sortir la partie spéculative du marché avec les acteurs vendeurs de yens en octobre. Par ailleurs, le rôle du yen comme devise de financement de portage s’est atténué ». La corrélation entre la paire dollar/yen et le S&P500 s’est ainsi affaiblie depuis 2020. « Les positions globales sur le yen demeurent nettement vendeuses - ce qui montre aussi à quel point la décision de mardi a constitué une surprise, tempère cependant Laurent Clavel, responsable de la gestion multi-actif chez Axa IM. Le débouclage de ces positions prendra du temps et contribuera à soutenir le mouvement à la hausse du yen ».

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