
Investir au son du canon

Vendre au son du clairon et acheter au son du canon. S’il suffisait de s’en tenir à ce vieil adage boursier, la vie des investisseurs serait simple. Mais les bruits de bottes à la frontière russo-ukrainienne montrent combien l’appréciation des risques géopolitiques s’avère complexe pour les opérateurs de marché. Non pas que ces foyers de tensions échappent à leurs radars. Dans les traditionnels sondages réalisés en fin d’année sur les perspectives d’allocation d’actifs, la géopolitique figurait en bonne place dans la liste des menaces pour 2022, au même rang que la pandémie, et un cran derrière les perspectives de resserrement monétaire. Une mention pour la forme : en pratique, bien peu d’investisseurs estimaient que la situation de l’Ukraine pourrait déstabiliser les marchés financiers et avaient jugé utile de s’en prémunir. C’est plutôt du côté de Taïwan et des positions toujours plus bellicistes de Pékin en mer de Chine que se tournaient leurs regards.
A leur décharge, l’exercice est ardu. La décision politique, a fortiori lorsqu’elle émane de partisans déclarés du rapport de force comme Vladimir Poutine, ne se résume pas aisément en formules mathématiques et en calculs probabilistes. On peut mettre un prix sur les discours des banquiers centraux et la trajectoire de taux d’intérêt qu’ils dessinent, beaucoup moins sur un coup d’Etat ou l’invasion d’un territoire.
L’histoire boursière elle-même livre un verdict mitigé quant à l’impact de ces chocs géopolitiques, par nature très divers. L’indice S&P 500 progressait d’un tiers un an après la crise des missiles à Cuba, alors que l’embargo arabe de 1973 sur le pétrole, autrement plus grave pour les économies des pays développés, avait torpillé les actions américaines. L’invasion du Koweït par l’Irak en août 1990 a d’abord suscité un mouvement de vente, mais le déclenchement de la première guerre du Golfe, quelques mois plus tard, s’est accompagné de performances flamboyantes alors que les Etats-Unis étaient en récession. S’il fallait résumer ces événements dans une moyenne, on constaterait alors que les grandes crises politiques ou militaires des dernières décennies se sont soldées par une hausse de l’indice phare de Wall Street, au bout d’un mois seulement.
Difficile, donc, pour les investisseurs de tirer des conclusions définitives sur l’attitude à adopter par temps de stress géopolitique. A fortiori aujourd’hui, alors que la dette d’Etat cesse d’offrir un refuge sûr en raison de l’inflation et de la remontée programmée des taux d’intérêt. Les options de couverture s’amenuisent : le dollar, traditionnel bénéficiaire de ces tensions, l’or, le cash. Et, si la situation empire, reste un autre dicton boursier : mieux vaut se couper un doigt plutôt qu’un bras.
Plus d'articles du même thème
-
Sébastien Lecornu est nommé premier ministre
Le ministre des Armées remplace François Bayrou à peine quelques heures après que ce dernier a remis sa démission. -
De nombreux arguments plaident en faveur des actions britanniques
Cinq critères permettent de penser qu’elles sont fondamentalement bon marché par rapport à leur historique et à leurs homologues internationales. -
Zucman contre Mistral, la France qui perd et la France qui gagne
D'un côté, une classe politique démonétisée et obsédée par la ponction fiscale. De l'autre, la nouvelle levée de fonds du porte-étendard européen de l'IA. Tout un symbole de la déconnexion entre les deux France. L'éditorial d'Alexandre Garabedian.
ETF à la Une

BNP Paribas AM se dote d’une gamme complète d’ETF actifs
- A la Société Générale, les syndicats sont prêts à durcir le ton sur le télétravail
- Boeing essaie de contourner la grève en cours dans ses activités de défense
- Revolut s’offre les services de l’ancien patron de la Société Générale
- Mistral AI serait valorisé 12 milliards d’euros par une nouvelle levée de fonds
- L'investissement dans une réindustrialisation circulaire pourrait sécuriser les fonds propres des banques
Contenu de nos partenaires
-
Les dirigeants océaniens réunis en sommet, la Chine accusée d'ingérence
Honiara - Les dirigeants des îles du Pacifique ont ouvert mercredi leur sommet aux îles Salomon, une rencontre marquée par des accusations d’ingérence visant la Chine à l’influence régionale croissante. Les îles Salomon, alliées de Pékin, ont interdit cette année à la plupart des acteurs non-membres, dont Taïwan, d’assister comme d’ordinaire aux réunions du Forum des îles du Pacifique (FIP) - une organisation regroupant 18 membres dont l’Australie, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Selon certains observateurs, Honiara agit sur demande de Pékin pour exclure Taïwan, dont la Chine revendique la souveraineté. La Chine cherche à renforcer son influence dans le Pacifique Sud. Elle compte parmi les partenaires les plus importants des îles Salomon, avec lesquelles elle a signé un pacte de sécurité en 2022. Pékin a même fait don de véhicules et d'équipements de police en amont du forum. Et c’est dans un stade de 10.000 places construit et financé par le pouvoir chinois dans la capitale, Honiara, qu’a eu lieu lundi une cérémonie de bienvenue pour les dirigeants. A l’ouverture du sommet, la présence policière a été renforcée dans la capitale. Les réunions ont commencé vers 09H00 mercredi matin (22H30 GMT mardi) et se tiendront principalement à huis-clos. Les observateurs craignent que des dissensions au sujet de la Chine lors du sommet ne compromettent la coopération régionale, essentielle dans tous les domaines, du changement climatique à la santé, en passant par la sécurité. «Des influences extérieures nous dictent désormais qui nous pouvons inviter», a accusé auprès de l’AFP le chef de la diplomatie néo-zélandaise, Winston Peters, le mois dernier. «Eléphant dans la pièce» La Chine est devenue «l'éléphant dans la pièce», explique aussi à l’AFP Mihai Sora, ex-diplomate australien aujourd’hui directeur du programme des îles du Pacifique au Lowy Institute. Pékin a même indiqué qu’il serait présent au sommet, sous une forme ou une autre, alors même qu’il n’est pas membre du FIP. L’ambassadeur de Chine aux Salomon, Cai Weiming, a affirmé que l'équipe de liaison de la police chinoise, déployée dans le pays insulaire au titre du pacte de sécurité, pourrait participer à la gestion de la sécurité du sommet. Des responsables néo-zélandais ont dit à l’AFP craindre que le forum ne «s’effondre» si la Chine y participait. Les points de tension ne manqueront pas. Outre la Chine, la coopération en matière de sécurité transnationale devrait être un sujet sensible. Des Etats membres ne veulent pas renoncer à ce qu’ils considèrent comme une souveraineté durement acquise, même pour faire face aux menaces régionales. Le changement climatique sera également une thématique majeure après la victoire du Vanuatu devant la Cour internationale de justice, établissant que les Etats sont tenus de lutter contre le changement climatique, faute de quoi ils doivent accorder des réparations. Si les partenaires du Forum travaillent ensemble sur la gestion des risques de catastrophes naturelles, certains s’inquiètent de voir des membres s’ouvrir à l’exploitation minière en eaux profondes ou à l’exploration pétrolière et gazière. Ben STRANG © Agence France-Presse -
« Bloquons tout » : une journée pour jauger la colère sociale en France
Paris - La France se prépare mercredi à une journée agitée dans le sillage de l’appel à «Bloquons tout» né sur les réseaux sociaux et qui devrait permettre de jauger la colère sociale, dans un pays en pleine crise politique. Blocages d’infrastructures de transports, de sites symboliques ou de lycées, manifestations, grève de la carte bancaire... Au lendemain de la nomination de Sébastien Lecornu qui remplace François Bayrou tout juste évincé de Matignon, et huit jours avant une mobilisation syndicale, une myriade d’actions sont prévues dès l’aube dans les métropoles, les petites villes et les campagnes. Mais l'étendue de la mobilisation reste incertaine. Quelque «80.000 gendarmes et policiers» sont mobilisés et «aucun blocage» ne sera toléré, a prévenu le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau. Le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, a dit pour sa part s’attendre à des actions «coups de poing», le mouvement ayant été «repris par l’ultragauche», mais ne pas penser qu’il mobiliserait «la société civile». Ce mouvement horizontal, né sur les réseaux sociaux et sans chef de file identifié, rappelle celui des Gilets jaunes, il y a sept ans, mais rassemble des personnes plus jeunes et plus politisées, selon une enquête de la fondation Jean Jaurès. Il conteste les mesures d'économie annoncées mi-juillet par François Bayrou (suppression de deux jours fériés, allongement du délai de carence en cas d’arrêt-maladie, doublement des franchises médicales, monétisation de la cinquième semaine de congés payés...) et rejette les classes dirigeantes, en particulier Emmanuel Macron. Selon un sondage pour la Tribune dimanche, 46% des Français soutiennent le mouvement. Dès lundi soir, des pots de départ de François Bayrou, ont rassemblé 11.000 personnes devant des mairies dans toute la France, selon une source policière, donnant un avant-goût de la mobilisation. Pour parer aux blocages, le patron du Groupement Mousquetaires/Intermarché, Thierry Cotillard, a ordonné des livraisons plus importantes qu’habituellement et dénoncé comme «vol» les appels aux «chariots gratuits». Si les TGV doivent circuler normalement et les métros parisiens quasi normalement, des perturbations sont prévues sur certaines lignes d’Intercités, TER et sur le réseau francilien (RER B et D, lignes H et R) ainsi que dans tous les aéroports français. Des tentatives de blocages de portes de Paris, des rocades de plusieurs villes et d’autoroutes sont aussi prévues. Dès mardi après-midi, des messages sur les panneaux du périphérique de la capitale indiquaient ainsi «Manifestation 10/09 - éviter Paris», a constaté l’AFP. Les autorités surveillent particulièrement les «points d’intérêts vitaux», comme les raffineries. «Position de force» L’une des inconnues tient à la visibilité que parviendra à atteindre ce mouvement, partiellement soutenu par les syndicats. La CGT et Solidaires ont appelé à le rejoindre quand la CFDT et FO, notamment, ont préféré se concentrer sur la journée intersyndicale du 18, ce qui n’empêche pas certaines sections de se mobiliser le 10. Pour la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, «les travailleurs et les travailleuses sont en position de force» et doivent se mobiliser «le 10 et surtout le 18 septembre». La convergence des colères se fait aussi, partiellement, avec celle du monde agricole. La Confédération paysanne, 3e syndicat agricole français, a annoncé sa participation. «Je suis très en colère de la politique qui a été menée», confie le porte-parole de la Confédération paysanne en Côte-d’Or, Thomas Maurice, qui manifestera mercredi après-midi à Dijon. Cet éleveur de chèvres dénonce la paupérisation des agriculteurs et «un système cadenassé au service d’une caste de la FNSEA», le premier syndicat agricole. Bérénice (prénom d’emprunt), cofondatrice de l’association des mères isolées, participera à des actions à Paris. «Les mères isolées sont très fortement attaquées depuis plusieurs années, avec la loi plein emploi et le RSA sous conditions» et «le budget va encore plus nous mettre à genoux», dénonce-t-elle. Le mouvement se poursuivra-t-il au-delà du 10 jusqu'à la journée syndicale du 18 ? «Il faut une action de masse, s’il faut une semaine de grève on la mettra, l’objectif c’est que Macron dégage», s’enflamme Sylvain Chevalier, secrétaire CGT du CSE à la centrale de Paluel (Seine-Maritime) où un piquet de grève se tient mercredi. Béatrice JOANNIS © Agence France-Presse -
Sébastien Lecornu prend ses marques à Matignon un jour de mobilisation
Paris - Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu, accueilli sévèrement par les oppositions, prend ses marques mercredi à Matignon le jour même d’une mobilisation pour «bloquer» le pays, avec pour mission de consulter les forces politiques avant de former un gouvernement. Troisième chef du gouvernement nommé depuis la dissolution, cinquième depuis le début du second quinquennat d’Emmanuel Macron, Sébastien Lecornu, âgé de 39 ans, succède à François Bayrou, renversé lundi par l’Assemblée nationale. Celui-ci l’avait doublé en décembre en forçant sa nomination alors que l’ex-ministre des Armées était déjà pressenti à ce poste. La passation de pouvoir entre les deux hommes a lieu à midi, le jour même d’une mobilisation pour «bloquer» le pays initiée par divers mouvements, dont l’ampleur reste indéterminée, avant une mobilisation syndicale le 18 septembre. Ce sera l’occasion pour Sébastien Lecornu, homme politique discret inconnu du grand public, de se présenter aux Français. Il a affirmé sur X mardi soir qu’il «mesurait leurs attentes» et qu’il «connaissait les difficultés» qu’ils rencontraient. «Nous sommes au travail, avec humilité, et nous allons tout faire pour y arriver». Première tâche confiée par Emmanuel Macron à ce fidèle compagnon venu de la droite, ministre de tous ses gouvernements depuis 2017: «consulter» les forces politiques en vue de trouver des «accords» pour préserver la «stabilité institutionnelle» du pays, alors qu’il ne dispose à l’Assemblée nationale d’aucune majorité. Le nouveau locataire de Matignon a déjà entamé ses consultations, selon un conseiller de l’exécutif. Sa mission est à haut risque dans un paysage politique éclaté et au vu des réactions très fraîches voire hostiles des oppositions à l’annonce de sa nomination. «Colère sociale» Alors que le président de la République a invité sa fragile coalition du centre et de la droite à «travailler» avec le Parti socialiste pour «élargir» son assise, le mouvement d’Olivier Faure a estimé qu’il prenait le «risque de la colère sociale légitime et du blocage institutionnel du pays» en nommant M. Lecornu. Pour tenir, le futur gouvernement devra obtenir a minima une non-censure du PS, indispensable pour doter la France d’un budget pour 2026, dont la préparation vient de faire tomber le gouvernement sortant qui avait présenté un effort de 44 milliards d’euros. Selon un interlocuteur régulier d’Emmanuel Macron, ce dernier pourrait cette fois accepter de réelles concessions aux socialistes, par exemple sur la taxation des plus riches, jusqu’ici un tabou pour lui. «Sans justice sociale, fiscale et écologique, sans mesures pour le pouvoir d’achat, les mêmes causes provoqueront les mêmes effets», a prévenu le PS qui proposait de nommer Olivier Faure à Matignon. Le Rassemblement national et les Insoumis ont pour leur part dénoncé la proximité entre le président et son nouveau Premier ministre, promettant la censure faute de changement de cap politique. «Le président tire la dernière cartouche du macronisme», a réagi Marine Le Pen, qui réclame une nouvelle dissolution, tandis que Jean-Luc Mélenchon dénonçait «une triste comédie de mépris du Parlement» en demandant une nouvelle fois le départ du président. «Calme» A l’inverse, l’ancien Premier ministre et candidat d’Horizons à la présidentielle Edouard Philippe a estimé que Sébastien Lecornu avait les «qualités» pour «discuter» et «trouver un accord» avec les autres partis. Le président des Républicains (LR) et ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui réclamait une nomination rapide face aux risques de «débordements» des manifestations de mercredi, s’est dit lui aussi prêt à «trouver des accords» avec M. Lecornu. A l’orée de discussions délicates, l’entourage de Sébastien Lecornu loue le «calme» de l’ancien sénateur normand et son absence d’ambition présidentielle, un «négociateur» qui a pu obtenir un «large consensus» sur la loi de programmation militaire. Alors qu’il a été épinglé dans la presse pour un dîner avec Marine Le Pen, ses proches récusent toute connivence avec le parti à la flamme, soulignant que dans l’Eure, son département, quatre députés sur cinq «sont passés au RN». Ce qui n’empêche pas le député LFI Eric Coquerel de le voir comme celui qui peut «aller chercher non pas du côté du PS mais du RN», en «surjouant» sur «l'économie de guerre» et les «intérêts vitaux de la France». L’intéressé entend lui composer son gouvernement sur la base de «la défense de (l’) indépendance» du pays, du «service des Français» et de «la stabilité politique». Anne RENAUT © Agence France-Presse