
Epargne et fonds propres : individuel ou collectif ?

Alain Tourdjman, directeur des études et prospectives du groupe BPCE
De 2009 à 2019, la proportion de Français détenteurs d’actions cotées, que ce soit directement ou via des organismes de placement collectif (OPC) non monétaires, a été globalement divisée par 2, passant de 17 % à 8,8 %, et les épargnants ont désinvesti près de 100 milliards d’euros de ces deux catégories d’actifs entre 2017 et le troisième trimestre 2019. La privatisation de la Française des Jeux au dernier trimestre 2019, puis l’afflux d’investisseurs au moment de la chute des cours de Bourse en mars 2020 semblent avoir initié un renversement de tendance qui s’est d’ores et déjà traduit par près de 17 milliards d’euros de flux nets d’achats d’actions cotées entre septembre 2019 et décembre 2020. La réconciliation entre les Français et la Bourse est-elle enfin scellée, ouvrant ainsi la voie à l’orientation d’une partie de leur épargne au financement en fonds propres des entreprises ou doit-on rester plus circonspect sur les leçons à en tirer ?
Pour mieux comprendre la nature de cette transformation, une typologie de l’actionnariat individuel a été établie sur la base des données recueillies dans le baromètre Epargne de BPCE L’Observatoire. Celle-ci met en évidence trois principaux groupes d’investisseurs dont les caractéristiques mais aussi les stratégies sont significativement différentes. Sur un total de 12 % de Français se déclarant détenteurs d’actions, 2 % des individus peuvent être considérés comme des « experts » avec une très bonne culture financière, mais aussi un patrimoine élevé et diversifié permettant une prise de risque importante sur une partie du portefeuille d’actifs. Ces investisseurs sont très actifs avec des arbitrages fréquents sur leur portefeuille et une stratégie offensive privilégiant la recherche de plus-values, même au prix de risques importants. Ce sont des investisseurs stables qui envisagent majoritairement de continuer à placer en Bourse.
Les « patients » regroupent quant à eux 7 % des individus et illustrent l’image traditionnelle du « bon père de famille » : peu de transactions, un investissement de long terme sur des valeurs de référence (ou des opérations de privatisation), mais d’un montant moyen plus limité en lien avec un patrimoine moins élevé, voire peu diversifié. Leur niveau de connaissances financières et leur appétence au risque sont certes supérieurs à la médiane mais très en retrait par rapport à ceux des « experts ». Toutefois, ces investisseurs traditionnels envisagent plus fréquemment de réduire leurs placements, voire de sortir définitivement de la Bourse que de continuer à y épargner. Leur retrait graduel explique la tendance décennale à l’érosion de la population des actionnaires individuels.
Toutefois, la relève semble assurée par un groupe, sensiblement plus jeune, les « néo-investisseurs » (3 % des individus) qui sont résolument positifs quant à l’opportunité de placer en Bourse. A terme, leurs rangs pourraient d’ailleurs être grossis par une « réserve » supplémentaire de 6 % des Français qui, non détenteurs actuellement sont également très enclins à investir. Pour autant, ces deux groupes présentent des caractéristiques proches de celui des « patients » : leur préférence va à des valeurs connues et stables avec un objectif prioritaire de ne pas perdre d’argent (par opposition à la réalisation de fortes plus-values associées à une prise de risque élevée).
Ce qui différencie véritablement les néo-investisseurs est leur mode de gestion et leur horizon de temps. Délibérément opportunistes, opérant de nombreuses transactions et des arbitrages fréquents, ils ont le plus souvent pour ambition d’exploiter la volatilité des cours de façon très réactive en fonction de la conjoncture, en opposition à l’horizon long des « patients ». Dès lors, malgré les recommandations du président de l’Autorité des marchés financiers, il est permis de douter que cette relève « s’inscrive bien dans une perspective de long terme et ne se traduise pas par des prises de risque excessives ».
Les actionnaires individuels semblent avoir collectivement pris acte d’une forme d’invalidation de la stratégie de long terme des « bons pères de famille » à la fois par la répétition des crises boursières, par une forme d’asymétrie d’information avec certains opérateurs de marché et par la difficulté à être reconnus comme des partenaires à part entière de l’entreprise. Ce nouveau positionnement des ménages sur les actions se révèle à la fois moins ambitieux et plus spéculatif. Il s’accompagne, sous l’effet de la répression financière, d’une plus forte sensibilité à des placements alternatifs, parfois mal maîtrisés comme l’or ou les cryptomonnaies, voire, à l’extrême, frauduleux…
Il n’est donc pas acquis que ce retour en grâce de l’actionnariat individuel constitue un levier adéquat, ou suffisant, pour l’orientation de l’épargne vers le financement en fonds propres des entreprises. Qu’il s’agisse de l’initiative du Shift Project en matière d’assurance-vie, des diverses propositions de garantie d’Etat accordée à des véhicules de fonds propres souscrits par les particuliers ou des opportunités qu’offre l’épargne-retraite, la voie des supports collectifs semble plus adaptée : ils s’inscrivent mieux dans la durée, apportent une réponse à l’aversion au risque des ménages et assurent in fine une meilleure prise en compte des intérêts des investisseurs par les entreprises.
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