
En catimini, Bruxelles se résout à ouvrir les vannes des aides d’Etat

Pas de conférence de presse, mais un simple communiqué publié en fin d’après-midi dans la plus grande discrétion. Cette communication minimaliste peut a priori étonner : la révision des aides d’Etat constitue le pilier principal de la riposte de l’UE face à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, ce plan de 370 milliards de dollars déployé par l’administration Biden qui menace la compétitivité industrielle du Vieux Continent.
Concrètement, jusqu’à fin 2025, l’initiative de Bruxelles va décupler de façon inédite les possibilités pour les pays membres de l’UE d’apporter un soutien public - à travers leur propre budget - aux industries ciblées par l’IRA (les voitures électriques, le photovoltaïque, l’éolien ou encore les batteries). L’annonce silencieuse de jeudi est d’autant plus capitale qu’il ne s’agit pas d’une proposition législative, mais bien d’une décision définitive de la Commission, laquelle dispose en effet d’une compétence exclusive en matière de concurrence et d’aides d’Etat. Ce silence est avant tout celui de Margrethe Vestager, la vice-présidente exécutive de la Commission chargée de la Concurrence, à qui revenait la responsabilité de l’annonce. Après s’être opposée bec et ongles ces dernières semaines à un nouvel affaiblissement radical de ces règles - déjà sensiblement assouplies lors de la pandémie - la Danoise libérale a rendu les armes.
A lire aussi: Contrôle des subventions étrangères : le casse-tête de Bruxelles
«Matching aid»
Berlin et Paris, déterminés à soutenir leurs champions industriels, figuraient parmi les plus fervents soutiens d’une telle initiative. L’exécutif communautaire a donc fini par céder sous la pression de ses deux États membres les plus puissants, combinée au chantage de certaines grandes entreprises industrielles, qui menaçaient de délocaliser leurs usines européennes outre-Atlantique afin de bénéficier des subventions américaines. Jeudi, l’annonce de Bruxelles n’en a pas moins suscité une pluie de critiques. Principale nouveauté, et centre de la controverse : la création d’une «clause d’équivalence» (matching aid) qui permettra, à certaines conditions, aux Etats membres d’atteindre le même niveau de soutien que celui offert par un Etat tiers, tel que les Etats-Unis ou la Chine.
Aménagements
Afin de limiter le risque d’une fragmentation du marché unique, le nouveau régime inclut certains aménagements voués à promouvoir les investissements dans les régions les moins favorisées de l’UE. Par ailleurs, afin de recevoir l’assentiment de la Commission, l’utilisation de la fameuse «matching aid» devra concerner un projet situé dans une région pauvre ou bien regrouper au moins trois pays, et deux sites voués à recevoir des investissements se trouvant dans une région moins développée. «Ces dispositions aideront à limiter le risque de fragmentation en faveur des États membres les plus riches, analyse Niclas Poitiers, du centre de recherche bruxellois Bruegel. Cependant, le principe de matching aid reste fondamentalement une mauvaise idée et, avec cette approche, l’UE entre de plain-pied dans une course aux subventions avec les États-Unis. Cela va générer des profits supplémentaires sous forme d’effets d’aubaine pour des projets qui auraient pris place de toute manière, et ainsi conduire à dilapider de l’argent public».
Pour Elvire Fabry, de l’Institut Jacques Delors, ces inquiétudes sont largement démesurées : «Cette flexibilisation des aides d’Etat sera très encadrée, plafonnée, et limitée dans le temps, avec cette idée d’accorder plus de soutiens aux régions les plus pauvres, que je salue. Du reste, nous pouvons compter sur Margrethe Vestager qui est très vigilante sur la défense de l’intégrité du marché unique : le ‘matching mechanism’ suscite de nombreuses critiques, mais il n’aura rien d’automatique. Il va surtout servir à dissuader les industries qui auraient des velléités de délocalisation. La Commission vient d’envoyer un message très important aux entreprises », conclut cette spécialiste de la géopolitique du commerce.
Plus d'articles Concurrence
-
Des zones d’ombre subsistent dans le règlement européen sur les subventions étrangères
Le projet de règlement d’application et ses annexes sur les concentrations et sur les appels d’offre sont en consultation jusqu’au 6 mars. -
Les interdictions de concentration devraient se multiplier
32 opérations ont été bloquées dans le monde en 2022, 19 avec l’abandon par les parties et 13 interdites par les gendarmes de la concurrence. -
L’antitrust examine le secteur des recharges électriques
L’Autorité de la concurrence s’auto-saisit pour avis afin d’analyser le fonctionnement concurrentiel du secteur des infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE).
Contenu de nos partenaires
Les plus lus de
- La Société Générale présente sa nouvelle direction autour de Slawomir Krupa
- Credit Suisse entraîne le secteur bancaire européen dans sa chute
- Les actions chutent avec les banques américaines
- L’électrochoc SVB met la finance sous tension
- Credit Suisse, trois ans de descente aux enfers
- Les gérants prennent la mesure de la persistance de l’inflation
- Silicon Valley Bank : la chute éclair de la banque des start-up
- Slawomir Krupa sort la Société Générale du brouillard
- Chute de SVB : les Etats-Unis garantissent les dépôts et HSBC rachète les actifs anglais
-
Code pénal
Gilets jaunes: les délinquants, les criminels et leurs complices
Black bloc ou « simple manifestant », agissant à froid ou emporté par l’excitation collective, peu importe : les faits commis sur les Champs-Élysées relèvent du Code pénal. Taguer ou détruire du mobilier urbain fait de vous un délinquant. Voler des marchandises après avoir cassé une vitrine fait de vous un délinquant. Caillasser un fourgon de police ou tabasser un gendarme à terre fait de vous un délinquant. Mettre le feu à un kiosque ou un restaurant fait de vous un délinquant. Incendier une banque fait de vous un délinquant – et même un criminel, si les flammes ont été allumées sans se préoccuper de savoir si l’immeuble était vide de ses occupants. -
Exaspération
«Les Gilets jaunes mettent l’économie à genou»
« Les Français ne consomment plus, ils ne vont plus dans les centres-villes », déplore le président des Chambres de métier et de l’artisanat -
Signaux faibles
Gilets jaunes et violences: les lacunes de la surveillance des réseaux sociaux
Le ministre de l’Intérieur se disait, dès vendredi, en alerte sur la mobilisation de manifestants ultra-violents. Faute d’utilisation appropriée des outils numériques, cela n’a pas empêché ces derniers d’agir et de mettre les Champs-Elysées à sac.