
Crise énergétique : À Bruxelles, un rendez-vous ministériel sous haute pression

Le niveau actuel des prix du gaz et de l'électricité présente un risque imminent pour l’activité de milliers de sociétés européennes. (…). Trouver de toute urgence des solutions à l’échelle de l’UE pour limiter leur impact pour les entreprises est une question de survie.» La lettre adressée jeudi matin à la présidente de la Commission européenne par Business Europe, le lobby patronal européen, donne une bonne idée de l’atmosphère chargée de tension dans laquelle se réunissent ce matin à Bruxelles les ministres de l’UE en charge de l’Energie. Les Vingt-Sept devraient, a minima, entériner la mise en œuvre du triptyque de mesures proposées il y a deux semaines par l’exécutif communautaire : plafonnement des revenus exceptionnels des producteurs d’électricité non-gazière, «contribution de solidarité» imposée au secteur des énergies fossiles, objectif contraignant de réduction de la demande d’électricité appliqué à chaque pays. Les négociations au Conseil ont toutefois abouti sur d’importantes modifications de la proposition initiale, au risque d’en affaiblir la cohérence.
Le projet de compromis étudié jeudi par les délégations nationales tendait notamment à rallonger la liste des producteurs d’électricité susceptibles de bénéficier de dérogations les exonérant du mécanisme de plafonnement des revenus sur le marché de gros (toujours fixé à 180 euros par mégawattheure). Si bien que les recettes générées pour les Etats - assez limitées dans le cas de la France - devrait être largement en deçà des 117 milliards d’euros initialement estimés par Bruxelles pour l’ensemble de l’UE. Le compromis sur la taxation des profits excédentaires des entreprises du secteur fossile devrait être plus fidèle au projet d’origine. Appliqués à la production ainsi qu’au raffinage du pétrole, du gaz et du charbon, la ponction s’élèvera à «au moins 33%» des profits de l’exercice fiscal 2022 excédant de plus de 20% les bénéfices moyens des quatre années précédentes. La Commission estimait ici le total des revenus à environ 23 milliards d’euros. Enfin, les Etats membres seront chacun soumis à un objectif obligatoire de réduction de 5% de leur demande d’électricité pendant les heures de pointes, sans qu’un mécanisme de sanction spécifique ne soit néanmoins mis sur pied - au-delà de l’option chronophage du recours judiciaire «en manquement» par la Commission européenne.
Paris défend le «système ibérique»
La suite de la discussion s’annonce, en revanche, beaucoup moins aisée. Dans un second temps, les ministres aborderont le sujet explosif du plafonnement des prix du gaz, appelé de leurs vœux par quinze Etats membres, dont la France, dans une lettre publiée mardi. «Ces premières mesures sont importantes, mais il s’agit maintenant d’accélérer avec des solutions à même de faire baisser les prix», explique-t-on dans l’entourage de la ministre française Agnès Pannier-Runacher. «Il y a de plus en plus d’agacements de la part de cette coalition d’Etats de ne pas voir la Commission agir sur le sujet. L’idée est que, sur la base de ce débat entre ministres, la Commission puisse présenter un plan d’action mardi prochain», indique un diplomate européen. Nulle garantie toutefois que cette discussion aboutisse. Notamment car, derrière leur union, ces quinze gouvernements peinent à s’accorder sur la nature du plafonnement à adopter. Jeudi, le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher prenait ainsi ses distances avec l’option d’un plafonnement appliqué aux prix de toutes les importations de gaz, gaz russe et gaz naturel liquéfié (GNL) inclus - pourtant défendue dans la lettre -, en reprenant à son compte des objections soulevées par Berlin. «Le GNL arrivant par bateau, le risque est que les livraisons se détournent de l’Europe (...). Les Allemands veulent éviter que les importations soient interrompues, nous aussi».
L’alternative défendue par Paris n’en est pour autant pas moins radicale. Elle consisterait en une extension à l’ensemble de l’UE du «système ibérique» de découplage du prix du gaz de celui de l’électricité, en vigueur depuis juin en Espagne et au Portugal. Concrètement, le prix des centrales électriques au gaz est plafonné par les deux Etats à travers un dédommagement des opérateurs de la différence non perçue avec le prix de marché. Premier écueil : le poids considérable qu’un tel système ferait peser sur les finances publiques. A ce sujet, la France se dit en faveur d’une « juste répartition » des coûts entre Etats, pour éviter de limiter l’effort financier aux pays comportant de nombreuses centrales à gaz au profit des autres. «C’est une solution pragmatique et efficace qui fonctionne dans ces deux pays. L’appliquer à l’échelle européenne, ou au moins dans des groupes d’Etats interconnectés, éviterait les risques distorsion de concurrence», estime-t-on encore à Paris. Outre ces deux dangers, la formule présente « le risque majeur » de mener à une augmentation de la demande de gaz, estime le think tank Bruegel dans une note. Jeudi, la Commission européenne laissait, elle aussi, transparaître de profondes réserves dans un document censé servir de base aux discussions entre ministres. «Les différentiels de prix au sein de l’UE jouent actuellement un rôle essentiel en permettant aux États membres déjà touchés par des ruptures d’approvisionnement de recevoir du gaz depuis d’autres États membres où le gaz est disponible (…). Décider administrativement des flux de gaz serait sans précédent en Europe et il n’y a actuellement aucun organisme qui dispose de l’expérience ou de la capacité technique d’entreprendre une telle tâche», pouvait-on notamment lire.
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