
Un mercato actif chez les banquiers d’affaires

Alors que les banquiers d’affaires parisiens se préparent à un coup de frein des opérations de fusions-acquisitions (M&A) en raison de la crise sanitaire, le traditionnel mercato de professionnels a battu son plein ces dernières semaines. D’autant qu’après Alantra, Perella Weinberg, Moelis & Co et Greenhill qui ont ouvert leur bureau parisien, la Place de Paris bruissait de rumeurs annonçant l’arrivée imminente de Centerview et Evercore. « Le Brexit semble se traduire par une redistribution des cartes pour les banques d’affaires américaines, constate Olivier Dardel, président de Cannacord Genuity France. Historiquement, elles géraient l’Europe depuis Londres. Aujourd’hui, elles semblent s’interroger sur l’opportunité d’ouvrir une entité en France pour piloter leurs activités sur le continent. » Pour Arnaud Petit, directeur associé d’Edmond de Rothschild Corporate Finance, l’arrivée de ces nouveaux entrants ne bouleverse toutefois pas le marché M&A dans sa globalité. « D’abord parce que nous sommes spécialisés dans le ‘small’ et ‘midcaps’, et que la plupart de ces nouveaux entrants évoluent principalement sur le segment des grandes capitalisations. Ensuite, parce que l’accélération que l’on a pu effectivement observer sur le mercato porte essentiellement sur des profils seniors de ‘managing directors’ ou de ‘partners’, avec des transferts qui restent limités le plus souvent entre grands transactionnaires. »
Le mercato a donc en grande partie été alimenté par le dynamisme de l’activité ces dernières années. Pour accompagner sa croissance, Cambon Partners a ainsi doublé la taille de ses effectifs depuis 2015. Les recrutements s’opèrent sur un marché de l’emploi contraint. « Sur les profils juniors, jusqu’à deux ans d’expérience, nous ne rencontrons aucun problème de ‘sourcing’, confie Eric Félix-Faure, cofondateur et managing partner d’Oaklins. En revanche, sur les profils plus expérimentés, la ressource est plus rare, et en poste. Il faut donc aller la chercher. » Pour convaincre les candidats de participer à l’aventure Perella Weinberg en France, Cyrille Pérard, qui a lui-même quitté son poste de managing director chez Goldman Sachs en août 2018 pour piloter la structuration du bureau parisien en tant qu’associé, s’est appuyé sur la chasse de têtes, en mettant en avant auprès des candidats le critère entrepreneurial. « Nous avions une proposition différenciante, qui insistait sur le fait qu’en nous rejoignant, ils allaient devoir défricher de nouveaux territoires, installer une nouvelle marque et relever un défi particulièrement excitant. » C’est cette dimension qui a aussi convaincu Ghislain de Feydeau, 35 ans, de quitter en février 2019 son poste de senior manager chez Mazars Corporate Finance pour devenir directeur M&A d’Oaklins. « Après avoir travaillé dans un grand cabinet, j’avais envie de découvrir un environnement plus entrepreneurial et à taille humaine, déclare ce diplômé de Sup de Co Amiens. Les cofondateurs ont aussi réussi à me convaincre de leur capacité à me faire progresser, notamment sur les phases d’origination. »
Les codes ont changé
Pour attirer les jeunes diplômés, les banques d’affaires ont dû faire évoluer leur marketing RH. « Il y a une dizaine d’années, il suffisait de leur dire qu’ils allaient beaucoup travailler, participer à de beaux ‘deals’, et gagner beaucoup d’argent pour les séduire, souligne Michel Azencot, associé en charge du recrutement chez Cambon Partners. Aujourd’hui, la majorité rêve de participer à une aventure entrepreneuriale et préfère bien souvent rejoindre une start-up. » Un constat partagé, mais nuancé, par Lucas Pingard, 26 ans, qui vient de rejoindre cette boutique comme analyste après avoir travaillé pendant un an à Londres chez DC Advisory dans le leveraged finance et la restructuration. « C’est vrai qu’à l’ESCP, beaucoup souhaitaient rejoindre les acteurs de la tech comme Google ou Facebook, explique-t-il. Mais la finance conserve encore son prestige, les métiers du trading, du M&A et du private equity étant toujours recherchés. »
Chose inconcevable il y a quelques années, dans une industrie réputée pour ses gros volumes de travail, certains jeunes candidats commencent à demander en entretien de recrutement quels seront leurs horaires… « Les jeunes aspirent à une qualité de vie professionnelle qui préserve la sphère privée, observe Michael Azencot. Ce que nous leur vendons aujourd’hui, ce sont certes des horaires lourds, mais pas démentiels, des objectifs clairs, et une véritable bienveillance et considération de la part des collègues et des N+1. » Signe des temps, il y a aussi chez les jeunes une véritable quête de sens, comme en témoigne Arnaud Petit : « La nouvelle génération a besoin de savoir en quoi son travail contribuera à construire une société meilleure, des entreprises plus responsables… Appartenir à un groupe comme Edmond de Rothschild, qui a une vision responsable de la finance et reste très attaché à l’économie réelle, constitue sur ce point un atout précieux. »
Autre marqueur important, la rémunération ne constitue plus l’élément central dans les négociations. Pour rivaliser avec les grandes banques, les boutiques disposent d’ailleurs d’un argument de poids. « Nos politiques de rémunération s’appuient sur un fixe et des bonus qui peuvent être très significatifs, ce qui n’est pas forcément le cas dans les banques traditionnelles, souligne Eric Félix-Faure. Grâce à cela, nous sommes aujourd’hui dans l’épure des grilles des rémunérations pratiquées sur le marché. Et sur des profils seniors, nous pouvons même nous montrer plus généreux grâce à une politique de bonus qui devient, au fil des années, de plus en plus lisible et calculatoire. »
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