
Salaires : Les banques face au piège de l’inflation

Après la publication de résultats florissants au premier semestre 2022, les banques françaises auront du mal à échapper à la pression inflationniste sur les salaires. Alors que la Première ministre Elisabeth Borne a appelé le 6 juillet « les entreprises qui le peuvent à augmenter les salaires », via notamment la « prime de partage de la valeur », défiscalisée, qui a succédé à la « prime Macron », les banques ont décidé d’accélérer le calendrier des NAO, qui se tiennent traditionnellement en fin d’année.
Contrairement aux habitudes, ce sont les groupes mutualistes qui dictent la tendance du marché. Les caisses régionales du Crédit Agricole et les fédérations du Crédit Mutuel ont fait jouer au cours de l’été une clause de revoyure sur les augmentations décidées au 1er janvier 2022, avant que la guerre en Ukraine n’accentue la flambée des prix de l’énergie. Au sein des 14 fédérations du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, qui avait arrêté une augmentation générale de 1 % en janvier, les organisations syndicales sont ainsi parvenues à obtenir une hausse de 2,20 % pour les salariés, avec un plancher de 750 euros, appliquée dès le 1er juillet 2022. Les NAO en vue du 1er janvier 2023 se tiendront en décembre prochain et devraient « associer des augmentations au versement d’une prime de partage de la valeur, notamment pour les jeunes et les plus faibles rémunérations », explique Romain Guers, délégué syndical CFDT.
Toutes les fédérations du groupe mutualiste ne sont toutefois pas logées à la même enseigne, ce qui alimente la grogne des salariés. Un mouvement social a ainsi éclaté « pour la première fois depuis vingt ans » au Crédit Mutuel Maine-Anjou-Basse-Normandie. Fait rare également, l’appel à la grève du 20 septembre a été lancé à l’initiative d’une intersyndicale FO-SNB-CFDT. Ces organisations réclament une « augmentation générale pérenne des salaires » alors que la direction de la fédération a décidé « de manière unilatérale » de distribuer une prime échelonnée de 500 à 2.000 euros, selon les différents niveaux de rémunération en dessous de 60.000 euros brut annuels. « Nous allons mettre la pression pour les NAO, avertit Eric Hallier, délégué syndical FO du Crédit Mutuel Maine-Anjou-Basse-Normandie. Au 1er janvier 2022, l’augmentation générale avait été limitée à 0,8 %, avec un plancher à 450 euros. Nous pourrions réclamer une hausse de 5 % au 1er janvier 2023. » Il se montre toutefois réaliste : dans un contexte où les marges dans la banque de détail sont toujours sous pression, le rapport de force s’annonce difficile. « La hausse des taux de l’épargne réglementée coûte cher au Crédit Mutuel et la faiblesse du taux d’usure bride encore la capacité sur les marges. La direction va chercher à maîtriser l’inflation salariale », pronostique-t-il. « Les contraintes actuelles qui pèsent sur les banques, notamment les exigences de fonds propres renforcées, affectent les négociations salariales », complète Yves Le Gouffe, délégué syndical CFDT du groupe Crédit Mutuel.
Climat tendu localement
Les augmentations collectives l’an prochain dans le secteur devraient donc rester contenues, en deçà de l’inflation. « Comme chaque année, les banques vont s’observer… et chercher à maîtriser la masse salariale », anticipe Romain Guers. Les Banques Populaires, qui ont été les premières à signer un accord sur les NAO 2023, le 20 septembre, dictent la tendance. L’augmentation générale au 1er janvier 2023 sera échelonnée de 1,5 % pour les salaires supérieurs à 50.000 euros à 3,5 % pour les rémunérations inférieures à 30.000 euros. Contrairement aux autres groupes mutualistes, aucune clause de revoyure pour 2022 n’est prévue. La direction de BPCE a choisi « en responsabilité et pour répondre également à la demande des organisations syndicales d’avancer de trois mois le calendrier des NAO 2023, afin de pouvoir finir les négociations plus tôt et de verser aux collaborateurs une prime de partage de la valeur à compter d’octobre 2022 », explique-t-elle.
Si l’accord au sein de la branche Banque Populaire a été signé par quatre organisations syndicales sur cinq, preuve selon la direction de BPCE que « le dialogue social fonctionne », le climat s’annonce plus tendu localement. La distribution de la « prime de partage de la valeur », seul coup de pouce accordé aux salariés cette année, est laissée à la main des 14 Banques Populaires, qui décideront de son montant et de ses conditions d’attribution, via un accord négocié localement avec les organisations syndicales ou bien via une décision unilatérale de la direction.
Certains pointent des mesures insuffisantes pour compenser la faible augmentation générale de 0,8 % décidée en début d’année. Un mouvement de grève à l’appel d’une intersyndicale SNB-CFDT-CFTC-FO-Unsa a ainsi été suivi, le 15 septembre dernier, par 30 % des salariés de la Banque Populaire Méditerranée, selon les syndicats. Ils pointent, notamment, une dégradation des conditions de travail et espèrent faire pression sur la direction. A l’heure où nous écrivons ces lignes, celle-ci a proposé une prime de 1.600 euros, davantage par exemple que la Banque Populaire Auvergne-Rhône-Alpes (de 500 à 1.000 euros selon les tranches de rémunération).
Les discussions se poursuivent, parallèlement, dans la branche Caisses d’Epargne. Selon nos informations, la direction a proposé une augmentation générale de 3 % pour les salaires inférieurs à 40.000 euros et de 2,2 % au-delà de 40.000 euros. Cela sera également assorti d’une prime de partage de la valeur, distribuée dès la signature de l’accord. Le montant proposé est de 1.000 euros au niveau national, qui pourra être complété au niveau local en fonction des négociations au sein de chaque caisse.
Les organisations syndicales représentatives espèrent encore faire basculer l’issue de ces NAO. La CFDT propose une hausse générale de plus de 3 % pour tous les salariés, assortie d’un plancher afin de garantir les bas salaires en dessous de 40.000 euros. « Outre la préservation du pouvoir d’achat des salariés, nous expliquons à la direction qu’il s’agit d’un enjeu pour l’attractivité des métiers de la banque de détail, alors que nous éprouvons de plus en plus de difficultés à recruter », explique Sylvaine Rigal, déléguée syndicale nationale CFDT des Caisses d’Epargne. « Il existe, dans la banque comme dans d’autres secteurs, des tensions sur le recrutement, et donc les rémunérations sont un facteur important d’attractivité », acquiesce le responsable d’un autre grand réseau bancaire, qui prédit « une hausse inévitable des coûts salariaux cette année ».
Grincements
BNP Paribas, dont la première réunion de NAO s’est tenue le 21 septembre, semble suivre la tendance annoncée pour 2023. A cette date, la banque de la rue d’Antin proposait une augmentation générale de 3 % pour les salaires inférieurs à 30.000 euros, soit 10 % des effectifs, et de 2,8 % pour les salaires compris entre 30.000 et 80.000 euros. Ces mesures seraient assorties d’un plancher de 900 euros et d’un plafond de 1.800 euros. La CFDT déplore que « 10 % des salariés soient exclus de ces propositions » et dénonce « le refus d’augmenter l’enveloppe des révisions individuelles » pour 2023. Elle pointe par ailleurs l’absence de prime de partage de la valeur qui pourrait être versée immédiatement, à l’image de ce que pratiquent les groupes mutualistes.
« La direction dit vouloir mettre en place une mesure visible, mais ce qui est surtout visible, ce sont les 9,5 milliards de résultats de la banque en 2021, dont 60 % ont été reversés aux actionnaires, et la hausse de salaire de 18 % du directeur général. BNP Paribas affiche depuis deux ans des résultats exceptionnels et se contente de suivre les NAO des banques consœurs, négociées il y a plusieurs mois, à un taux d’inflation inférieur », relève la CFDT, à la veille d’une nouvelle réunion, le 27 septembre.
La Société Générale, qui s’apprête par ailleurs à fusionner au 1er janvier ses deux réseaux de banque de détail, suivra-t-elle aussi le mouvement ? Alors qu’une première réunion de négociations s’est tenue le 23 septembre, une source proche de la banque rouge et noire indique « réfléchir à des augmentations collectives et individuelles pour 2023 et à leur articulation ». En 2022, la Société Générale avait procédé à la première augmentation générale des salaires fixes depuis dix ans.
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Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse -
Jérôme Durain, le "M. Narcotrafic" du Sénat, est élu président de la région Bourgogne-Franche-Comté
Dijon - Le sénateur socialiste Jérôme Durain, élu vendredi à la tête de la région Bourgogne-Franche-Comté, a acquis une notoriété nationale en cosignant la proposition de loi contre le narcotrafic, ce qui lui a valu d'être élu «sénateur de l’année» en 2024. Jérôme Durain, élu à la tête de la région en remplacement de Marie-Guite Dufay, démissionnaire, est né le 2 juin 1969 à Nancy. Diplômé en 1993 de l’Institut d'Études Politiques de Paris, il épouse une carrière dans la fonction publique territoriale. Ce n’est qu'à 33 ans qu’il prend sa carte du PS, suite au choc qu’a représenté pour la gauche le 21 avril 2002 et la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Le combat contre le RN reste depuis son cheval de bataille, qu’il devra encore enfourner lors des prochaines élections régionales, en 2028, l’extrême droite étant en nette progression dans la région. En 2004, il fait la connaissance d’Arnaud Montebourg, alors député de Saône-et-Loire. Le futur ministre de l'Économie (2012-14) offre à Jérôme Durain de prendre sa succession à la tête de la fédération PS du département en 2005, ce qui vaudra à M. Durain l'étiquette de «bébé Montebourg». Il tient la «fédé» pendant dix ans, lui valant une réputation d’apparatchik, et gravit les échelons. Il est fait adjoint à la mairie PS de Chalon-sur-Saône en 2008, jusqu'à ce que la ville soit reprise par la droite en 2014, puis est élu en 2010 à la région, dont il prend en 2012 la vice-présidence à l’aménagement du territoire. En 2015, il est élu à la nouvelle région fusionnée Bourgogne-Franche-Comté, sur la liste de gauche de Marie-Guite Dufay, et prend la présidence du groupe majoritaire. Peu avant, en 2014, il devient le premier sénateur de gauche élu en Saône-et-Loire depuis 1986. Il n’a alors que 45 ans, et un pédigrée loin des barons du Sénat, mais, réélu en 2020, il s’impose comme le «M. Sécurité» du groupe socialiste, lui valant des critiques de ses pairs, notamment quand il apporte son soutien aux très contestées Brigades de répression de l’action violente (BRAV), en 2023, en s’immergeant avec ces policiers lors de la manifestation du 1er Mai à Paris. En 2024, il corédige, avec le sénateur LR Étienne Blanc, la proposition de loi «visant à sortir la France du piège du narcotrafic». La loi, promulguée le 13 juin 2025, est adoptée très largement par le Parlement, offrant à Jérôme Durain une grande visibilité médiatique. Élu «sénateur de l’année 2024", il était pressenti pour succéder à Patrick Kanner à la tête du groupe des sénateurs PS, mais la loi sur le cumul des mandats lui impose de démissionner du Sénat. © Agence France-Presse