
Pourquoi les banques européennes devraient éviter la crise après la faillite de SVB

Les déclarations rassurantes se sont succédé en Europe lundi 13 mars, après la faillite de la banque californienne Silicon Valley Bank (SVB). Une chute éclair qui a ravivé le souvenir douloureux de la grande crise de 2008 et suscité la crainte d’une contagion au secteur bancaire dans son ensemble. «Les banques françaises sont solides», a martelé le ministre de l’Economie Bruno Le Maire sur France Info, avant que ses homologues espagnol et italien ne lui emboîtent le pas, en vantant les mérites de la supervision bancaire sur le continent.
Particulièrement exigeante, la réglementation européenne a, en effet, poussé les banques à renforcer leurs fonds propres depuis la crise. Leur ratio de capital CET 1 atteint, en moyenne, 15%. Loin du cas très particulier de SVB, spécialisée dans le financement des start-up de la tech et de la santé, le portefeuille des banques européennes est beaucoup plus diversifié, la grande majorité des dépôts bancaires provenant de la clientèle de particuliers. Contrairement aux banques américaines qui ont commencé au quatrième trimestre 2022 à accuser une fuite des dépôts, cette dernière n’a pas eu lieu sur le Vieux Continent. A l’exception de «retraits de faible ampleur au Royaume-Uni, en Suède, en Italie et en Espagne», relèvent les analystes de JPMorgan. Ces derniers sont toutefois restés «limités et cantonnés à la clientèle d’entreprises et d’institutionnels ou dus à des arbitrages des épargnants», ajoutent-ils.
Vigilance sur les portefeuilles obligataires
La menace se situe ailleurs : la faillite de SVB a brutalement rappelé aux investisseurs que la remontée des taux, qui dynamise la marge nette d’intérêt des groupes bancaires, comporte également un risque pour leur profil de financement s’il n’est pas correctement couvert. Leur attention devrait ainsi se resserrer sur les portefeuilles obligataires des banques. Ces derniers représentent près de 20% du total des dépôts des banques en Europe.
Contrairement aux Etats-Unis, où SVB est passée au travers des mailles du filet du fait de la dérégulation bancaire entreprise sous l’ère Trump, le superviseur bancaire européen surveille de près ce risque de taux depuis plusieurs mois. Le 8 novembre à Francfort,le président du conseil de supervision unique (SSM) Andrea Enria appelait ainsi «les banques à renforcer l’attention accordée à la gestion du risque de taux». «Nous vivons un moment délicat et nous souhaitons éviter les erreurs passées», ajoutait-il. Il attirait notamment l’attention sur l’impact de la remontée des taux sur la valeur nette du bilan des banques. Si elle venait à baisser, cela pourrait réduire les perspectives de profits à long terme et l’adéquation du capital, rendant le secteur moins attractif pour les investisseurs.
Le superviseur, qui a passé au crible la résistance des banques européennes à différents scénarios de remontée des taux, est parvenu à une conclusion a priori rassurante. En cas de remontée parallèle des taux courts et des taux longs, l’impact sur la valeur économique des fonds propres (EVE) des banques européennes est de 2,7% seulement. Un risque très faible si on le compare au Japon notamment, rappelle Jérôme Legras, directeur de la recherche chez Axiom AI. Un choc parallèle sur les taux coûte, en effet, 15% de fonds propres aux banques japonaises, selon ses calculs.
A lire aussi: SVB oblige à réévaluer l'effet des hausses de taux sur l'économie
Le Crédit Agricole fortement exposé à l’obligataire
Les analystes de JPMorgan se sont également prêtés à l’exercice. Les banques les plus exposées à l’obligataire sont le Crédit Agricole (59% du portefeuille), les britanniques Standard Chartered (34%) et HSBC (27%), la portugaise BCP (27%) et l’espagnole BBVA (26%). L’impact du choc de taux est variable selon la nature du portefeuille obligataire : les obligations détenues jusqu’à l’échéance (held to maturity ou HTM) ne voient pas la variation de leur valeur de marché reflétée dans le compte de résultat ni les fonds propres, tandis que les obligations détenues en tant que «disponibles à la vente» (available for sale ou AFS) sont comptabilisées en valeur de marché dans les fonds propres.
Les superviseurs comme les investisseurs devraient donc redoubler d’attention sur les banques détenant davantage d’obligations HTM, telles que le Crédit Agricole. La banque française figurerait ainsi parmi les banques européennes les plus exposées au choc de taux. Mais ces simulations ne tiennent pas compte de la couverture mise en place par les banques, qui seule détermine au bout du compte l’impact comptable et économique d’un tel choc en cas de vente forcée. A l’image du Crédit Agricole, «la plupart des banques européennes recourent aux opérations de couverture, ce qui rend les pertes non réalisées sur les obligations moins importantes», rappelle Jérôme Legras.
Vers une guerre des dépôts
Les banques de taille systémique sont donc globalement bien protégées contre le risque de taux. D’après l’agence Reuters, la Banque centrale européenne (BCE) n’a pas identifié de menace directe sur le secteur bancaire européen qui justifierait la tenue d’une réunion d’urgence au lendemain de la faillite de SVB. Contactée par L’Agefi, l’autorité a refusé de commenter cette information. Elle n’a toutefois pas caché en décembre dernier avoir relevé des défauts dans les modèles utilisés par les banques pour leur gestion actif/passif, notamment «pour capturer les changements de comportements des clients comme les retraits de dépôts».
La remontée des taux pourrait, en effet, déclencher une nouvelle guerre des dépôts entre banques. A ce jeu, les maillons faibles seront les établissements disposant d’un bas niveau de dépôts, de financements moins diversifiés ou d’une mauvaise gestion actif/passif. Les superviseurs locaux devraient ainsi redoubler d’attention. La Bundesbank a déjà tenu une première réunion de crise afin d’évaluer la situation des banques allemandes.
Plus d'articles Faillite de SVB
-
Les Etats-Unis font bloc autour de leurs banques régionales
Tandis que JPMorgan s'efforce de sauver First Republic Bank, le Trésor se dit prêt à d'autres mesures de soutien au secteur pour éviter une contagion de la crise. -
BlackRock avait prévenu SVB de la faiblesse de ses contrôles de risque
La branche conseil de BlackRock, Financial Markets Advisory Group, avait prévenu la Silicon Valley Bank que ses contrôles des risques étaient « substantiellement en deçà » de ceux de ses concurrents début 2022, rapporte le Financial Times, citant plusieurs sources proches du dossier. La banque californienne déchue avait recruté BlackRock en octobre 2020 pour analyser l’impact potentiel de différents risques sur son portefeuille de titres. Plus tard, elle a élargi le mandat pour étudier les systèmes de risques, les processus et les personnes du département qui gérait ses investissements. Le rapport de contrôle des risques publié en janvier 2022 montre que SVB était à la traîne par rapport à des banques similaires sur tous les 11 critères étudiés et était « substantiellement en deçà » sur 10 des 11, selon ces sources. D’après des consultants, SVB était incapable de produire des mises à jour en temps réel ou même hebdomadaires sur ce qui arrivait à son portefeuille de titres. -
Peter Thiel avait 50 millions de dollars à la SVB lorsqu’elle a coulé
Peter Thiel a déclaré qu’il avait 50 millions de dollars sur un compte ouvert auprès de la Silicon Valley Bank lorsqu’elle a fait faillite, alors même que son fonds de capital risque a prévenu les sociétés de son portefeuille que la banque américaine était menacée, rapporte le Financial Times. L’investisseur a été largement accusé d’avoir précipité une ruée sur la banque, au cours de laquelle les déposants ont essayé de retirer plus de 40 milliards de dollars en 24 heures la semaine dernière. Son fonds de capital-risque, Founders Fund, a été parmi ceux qui ont conseillé aux clients de diversifier leurs dépôts dans d’autres banques. Mais Peter Thiel a conservé son argent chez SVB, estimant que la banque ne ferait pas faillite.
Contenu de nos partenaires
- La Société Générale présente sa nouvelle direction autour de Slawomir Krupa
- Credit Suisse entraîne le secteur bancaire européen dans sa chute
- Les actions chutent avec les banques américaines
- L’électrochoc SVB met la finance sous tension
- Credit Suisse, trois ans de descente aux enfers
- Les gérants prennent la mesure de la persistance de l’inflation
- Silicon Valley Bank : la chute éclair de la banque des start-up
- Slawomir Krupa sort la Société Générale du brouillard
- Chute de SVB : les Etats-Unis garantissent les dépôts et HSBC rachète les actifs anglais
-
Editorial
Motion de censure: Macron et le poison des trois paradoxes
Premier paradoxe, démontrer qu'une majorité alternative n'existe pas ne renforcera pas pour autant l'actuelle majorité relative, abîmée par trois mois d'hystérie sur les retraites -
Sous haute tension
Les banques européennes soumises à un stress test grandeur nature
Les opérations de sauvetages menées tambour battant en Suisse et aux Etats-Unis peinent à convaincre les investisseurs -
Faire durer le plaisir
Motion de censure: le supplice chinois de la macronie
Après la journée chaotique de jeudi, Elisabeth Borne devra remonter à la tribune de l'Assemblée lundi, pour l'examen d'une motion de censure transpartisane visant à faire tomber son gouvernement. Les macronistes, trompés par LR, ont dû reprendre leurs esprits et leur calculatrice