Les mauvais comptes d’Atos sèment le doute

Déjà fragilisée par l'épisode de l’achat avorté de DXC, l’action du groupe de services numériques a plongé de 12% jeudi après l’annonce de «réserves» sur la comptabilité de ses filiales américaines.
Olivier Pinaud
Atos, entreprise française de services du numérique
Atos a reconnu que ses commissaires aux comptes avaient «émis une réserve» sur deux de ses filiales.  -  Photo Atos.

Pour une entreprise cotée en Bourse, c’est l’un des sujets les plus explosifs. Atos a reconnu jeudi matin dans un communiqué que ses commissaires aux comptes avaient «émis une réserve» sur deux de ses filiales américaines Atos IT Solutions and Services et Atos IT Outsourcing Services. De quoi faire chavirer l’action : le titre Atos a fini en baisse de 12,42% à 58,26 euros, avec une chute de près de 20% en début de séance qui a envoyé l’action vers son plus bas niveau des douze derniers mois.

Dans leur déclaration relayée par Atos, les commissaires aux comptes expliquent avoir identifié «plusieurs points de faiblesses du contrôle interne relatif au processus d’élaboration de l’information financière et à la comptabilisation du chiffre d’affaires conformément à la norme IFRS 15, qui ont conduit à constater plusieurs erreurs comptables, ainsi qu’un risque de contournement des contrôles». Les auditeurs d’Atos sont Grant Thornton et Deloitte, respectivement depuis 30 ans et 27 ans.

Atos a fait appel à «des cabinets externes». Ces derniers «ont réalisé des travaux complémentaires afin d’obtenir les éléments nécessaires pour démontrer l’absence d’anomalies significatives dans les comptes de ces entités américaines, et ont été chargés d’une mission d’investigation indépendante», poursuivent les commissaires aux comptes. Les conclusions de ses travaux ne sont pas connus. Atos n’a pas souhaité faire de commentaire au-delà de son communiqué.

Impact financier

Mise en œuvre depuis 2018, la norme IFRS 15 régit la comptabilisation du chiffre d’affaires tirés de contrats, cinq étapes permettant de déterminer, en fonction de l’avancée du contrat, le montant des revenus à comptabiliser chaque année. Atos ne détaille pas les anomalies détectées par ses commissaires aux comptes mais il est possible que ses deux filiales américaines aient comptabilisé en 2020 plus de chiffre d’affaires qu’elles n’auraient dû.

L’impact potentiel de ces «points de faiblesse» sur les comptes d’Atos n’a pas été précisé. Mais il n’est potentiellement pas négligeable. Ces deux filiales américaines représentent à elles seules 11% du chiffre d’affaires et 9% de la marge opérationnelle consolidés du groupe. Si Atos devait retraiter son chiffre d’affaires 2020 ne serait-ce que de 1%, cela aurait un effet mécanique quasiment identique sur son résultat.

En 2020, Atos a réalisé 11,18 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 2,6 milliards en Amérique du Nord. Son résultat opérationnel s’élevait à 1,1 milliard, dont environ un tiers en Amérique du Nord.

Perte de confiance

Mais en faisant perdre plus de 900 millions d’euros de capitalisation boursière à Atos hier, ses actionnaires ont exprimé plus que des inquiétudes financières. Rien ne permet de parler de manipulation frauduleuse chez Atos mais la récente affaire Wirecard en Allemagne ajoute à la nervosité des investisseurs sur les sujets comptables. «Il y a un réel problème de confiance dans la gouvernance de la société, au niveau de la direction, mais aussi au niveau du conseil d’administration si celui-ci n’a pas été en mesure de mettre en place les procédures de contrôle nécessaires», fulmine un actionnaire d’Atos.

Le directeur général d’Atos, Elie Girard, est l’ancien directeur financier du groupe. Il a pris les commandes fin 2019 après le départ de Thierry Breton, l’ancien PDG d’Atos, à la Commission européenne. Le conseil d’administration, qui a récemment intégré l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, est présidé depuis fin 2019 par Bertrand Meunier, l’ancien dirigeant du fonds d’investissement PAI. Le dirigeant d’Atos North America, Simon Walsh, a quitté Atos en mai 2020 pour rejoindre NTT, après moins de deux ans à la tête de cette activité.

Position fragile au CAC 40

Ce n’est pas la première fois que la comptabilité d’Atos crée des interrogations. En 2018, le groupe avait vivement réfuté une note des analystes de Credit Suisse selon lesquels Atos avait augmenté ses flux de trésorerie disponible de façon artificielle grâce à une comptabilisation différente des créances de ses grands clients. Malgré le démenti, le doute ne s’était jamais totalement dissipé dans l’esprit de certains investisseurs. En avril 2019, Atos avait également saisi l’Autorité des marchés financiers en raison de la publication par Berenberg d’une analyse contenant une «erreur matérielle», selon le groupe. La note portait sur l’impact potentiel de la norme comptable IFRS 16 sur la dette d’Atos.

La découverte de ces points de faiblesse comptables tombe mal, alors qu’Atos avait au contraire besoin de regagner la confiance de ses actionnaires après l’épisode du projet de rachat de l’américain DXC, finalement abandonné sous la pression du marché. Avant même la chute de jeudi, le cours de l’action Atos avait perdu 11% depuis le début de l’année, quand celui de son concurrent français Capgemini progressait de 13%. Ce dernier capitalise 25 milliards d’euros, contre 6,4 milliards pour Atos, désormais lanterne rouge du CAC 40 et dont la place dans l’indice de référence de la Bourse de Paris est de plus en plus fragile. Le groupe est membre du CAC 40 depuis mars 2017.

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