
Les crypto-actifs sur la voie de l’intégrité

Jean-Christophe Devouge, avocat associé, PR Associés
La confiance des investisseurs dans les crypto-actifs est un enjeu décisif pour leur développement. Les acteurs de l’écosystème crypto se saisissent d’ailleurs de la question, déployant des initiatives ciblées pour promouvoir l’intégrité du marché, avec le lancement d’une « coalition » dédiée (Crypto Market Integrity Coalition).
Les autorités ne sont pas en reste. L’actualité a ainsi été marquée par les poursuites engagées aux Etats-Unis contre un collaborateur d’une plateforme de NFT (non-fungible tokens), qui aurait profité de sa connaissance des NFT sélectionnés par la plateforme pour spéculer sur ces derniers. Alerte importante pour les acteurs concernés, ces poursuites n’ont toutefois pas été fondées sur un « délit d’initié », au sens strict du terme, mais sur une incrimination plus générique de fraude, avec l’avantage sans doute de contourner la problématique de qualification des NFT. Au-delà de ce cas, c’est surtout le projet de règlement européen sur les marchés de crypto-actifs MiCA, toujours en cours de discussion, qui porte sans doute les avancées les plus notables sur ce point, et que les acteurs de l’écosystème et leurs équipes doivent bien anticiper.
Pour ce faire, le projet de règlement MiCA utilise la voie de la simplicité en s’inspirant très largement, sur ce volet « intégrité », des règles applicables en matière boursière et, plus précisément, du règlement n°596/2014 relatif aux abus de marché, dit règlement MAR. Celui-ci fixe en effet le cadre européen de prévention et de répression des comportements illicites sur les marchés financiers, à savoir les opérations d’initiés, la divulgation illicite d’informations privilégiées et les manipulations de cours. Encadrant les transactions sur les instruments financiers cotés, il a d’ailleurs vocation à s’appliquer aux crypto-actifs assimilés aux instruments financiers (security tokens) négociés sur des plateformes utilisant la technologie blockchain (DLT).
Pour les autres catégories de crypto-actifs entrant dans son champ d’application, MiCA reprend ainsi un cadre identique à celui du règlement MAR. Les praticiens du droit boursier retrouveront donc des concepts familiers, qu’il s’agisse de la définition de l’information privilégiée – une information précise, non publique et susceptible d’influencer de façon sensible le cours des crypto-actifs concernés –, de l’obligation pour les émetteurs de crypto-actifs de rendre publiques « dès que possible » les informations privilégiées qui les concernent ou de la prohibition des opérations d’initiés et des manipulations de cours, comportements fréquemment pointés du doigt pour expliquer la volatilité des marchés de crypto-actifs.
Certes commode, cette quasi-transposition de la logique boursière aux acteurs de l’écosystème cryto n’est pas sans soulever des interrogations, certaines substantielles, notamment s’agissant de l’appréciation de la notion d’information privilégiée – parfois complexe s’agissant des instruments financiers – aux crypto-actifs qui ne leur sont pas assimilés ou même des interactions éventuelles entre ces règles et les opérations (type M&A) concernant cette fois les actions (non cotées) des émetteurs de crypto-actifs. Elle laisse par ailleurs en suspens la question de la finance décentralisée (DeFi) ou des NFT, exclus a priori de MiCA et pour lesquels la logique boursière semble de toute façon peu adaptée.
Gage de réalisme face à un écosystème en cours de construction, MiCA se distingue toutefois de MAR en faisant échapper les émetteurs de crypto-actifs à certaines obligations, comme celle de constituer des listes d’initiés ou, pour les dirigeants, de déclarer les opérations qu’ils réalisent sur les crypto-actifs émis par les entités au sein desquelles ils exercent leurs fonctions.
Sous cette réserve, ces nouvelles prescriptions et leur lot d’incertitudes, si elles étaient confirmées, sont à prendre très au sérieux par les acteurs concernés. Les sanctions encourues sont en effet potentiellement très importantes, avec des montants d’amendes pouvant atteindre plusieurs millions d’euros, y compris pour les personnes physiques, le projet de règlement MiCA prenant soin d’assurer une certaine harmonisation entre les Etats, sans préjudice de la possibilité pour ces derniers d’aller plus loin.
Même si les autorités vont sans doute avoir à cœur d’accompagner les acteurs de l’écosystème pour ce changement important de paradigme – dont l’entrée en vigueur serait de toute façon vraisemblablement décalée de plusieurs mois suivant l’adoption du texte –, le parallèle avec l’univers boursier souligne s’il en était besoin la matérialité de l’enjeu. Les sanctions y sont en effet une réalité incontournable, les autorités – Autorité des marchés financiers en tête – disposant de moyens d’enquête non négligeables, y compris sur le plan technologique, pour détecter les comportements suspects. La « to-do-list » des acteurs crypto qui suivra l’adoption de MiCA devra donc faire une place particulière à ce potentiel développement, notamment pour sensibiliser très sérieusement leurs équipes et encadrer la gestion des informations jugées les plus sensibles.

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