
Les chevilles ouvrières de l’engagement

Les directions des ressources humaines (DRH) l’ont progressivement hissé au premier rang de leurs préoccupations. L’engagement au travail, perçu comme un levier de performance, fait aujourd’hui partie intégrante des indicateurs de pilotage RH, comme le rappelle l’Observatoire de l’engagement(1), qui organisait son forum annuel en juillet. Mais la complexité du sujet, qui intègre des paramètres individuels, suscite encore de nombreuses interrogations. Certains, notamment parmi les partenaires sociaux, sont dubitatifs quant aux outils de mesure et d’analyse. D’autres sont beaucoup plus critiques à l’égard d’un « mantra moderne » qui relève du langage militaire, écrivait par exemple, en mars dernier, Martin Richer, fondateur du cabinet de conseil Management & RSE, dans une tribune parue dans Entreprise & Carrières.
« La question de l’engagement est certes contestée, et il est vrai que chacun a ses ressorts propres, convient Geoffrey Carpentier, partner chez Carewan by KPMG et cofondateur de l’Observatoire. Nous mettons cependant en évidence des facteurs clés sur lesquels les entreprises, au vu de l’assèchement des talents, auraient tout intérêt à s’interroger. » La banque (branche AFB), qui a comptabilisé, en 2018, 19.800 embauches (CDD et CDI) pour 20.500 départs – 14.800 CDI –, dont la moitié concerne des collaborateurs de moins de 40 ans, ne fait pas exception à la règle.
Pas plus que le secteur de l’assurance. « Il peut y avoir un phénomène de mode mais, pour nous, l’engagement a toujours du sens, abonde Jacques Feytis, directeur des ressources humaines de Covéa. Au vu du temps passé au travail, chacun a envie d’en faire un moment agréable, au-delà de la seule motivation salariale. On a besoin de se réaliser, de trouver du sens à ce que l’on fait. » Le premier plan stratégique groupe lancé fin 2018, Cové@venir 2021, comprend d’ailleurs un axe dédié intitulé « Des collaborateurs fiers et engagés ».
Une tâche gratifiante
Mais, estime Jacques Feytis, « on peut aussi parler de motivation, de plaisir de venir travailler, d’envie de satisfaire les clients, d’une volonté de contribuer au quotidien à l’efficacité du groupe… Je pense que nous n’avons pas intérêt à définir précisément l’engagement, car plus on explicite, plus on risque d’exclure. Disons simplement que cela se rapporte beaucoup à un état d’esprit des collaborateurs ». Des salariés, dit-il, très attachés aux marques de Covéa (Maaf, MMA et GMF). « Le groupe est cependant récent et nous souhaitons développer en son sein un niveau d’engagement élevé. »
Par quel moyen ? « La DRH en travaille certaines dimensions autour de la qualité de vie au travail (QVT), les rémunérations ou encore l’équilibre des temps, répond Jacques Feytis. Covéa dispose aussi d’une direction de la dynamique interne, en charge de la communication interne et de l’accompagnement au changement, avec laquelle nous travaillons sur des tests de mesure de l’engagement. Mais celui-ci est bel est bien l’affaire de tous. » Du management, en particulier (lire La Parole à... p. 40).
La dernière enquête menée par OpinionWay pour l’Observatoire de l’engagement, qui s’est, pour la première fois, penché sur le rôle des managers de proximité en la matière – et qui leur a directement demandé leur avis(2) –, le confirme : pour 95 % des sondés, le manager est responsable du développement de l’engagement des collaborateurs (43 % se sentent tout à fait responsables), et ils sont autant à désigner le collaborateur lui-même. 94 % imputent aussi ce rôle à l’entreprise, 76 %, à la DRH.
« Nous avons voulu examiner l’engagement à travers le point de vue des managers de proximité, parce que beaucoup d’entreprises attendent d’eux qu’ils jouent le rôle de courroie de transmission sur tout un tas de sujets : stratégie, rémunération, développement des équipes, qualité de vie au travail, etc. Et qu’au vu des moyens qui leur sont octroyés, leur situation est assez compliquée », explique Geoffrey Carpentier. Or, l’étude montre non seulement qu’ils sont conscients de leur responsabilité dans la dynamique d’engagement, mais que cette tâche est perçue comme importante, voire prioritaire, pour 89 % des managers interrogés. Une mission gratifiante dans les trois quarts des cas.
Quatre sondés sur cinq estiment du reste que le niveau d’engagement de leurs collaborateurs est élevé. A quoi reconnaissent-ils un salarié engagé ? D’abord, à son esprit d’initiative, répondent 54 % des managers (65 % dans les TPE), puis à son état d’esprit constructif (50 % – 59 % dans les grandes entreprises), son envie de bien faire (47 %), sa passion et son enthousiasme (45 %), loin devant son adhésion à la stratégie (31 %), son identification à la culture et aux valeurs de l’entreprise (25 %) et le fait qu’il ne compte pas ses heures (18 %). Le mythe du « bon petit soldat » a vécu.
La reconnaissance apparaît comme le principal moteur de l’engagement (voir infographie ci-dessus). Mais les réponses divergent fortement en fonction de la taille de l’entreprise. L’autonomie et la responsabilisation, par exemple, ne sont citées que par 32 % des managers de PME, contre 44 % dans les grandes entreprises. Globalement, ils estiment à 87 % répondre aux attentes de leur propre manager, des collaborateurs qu’ils encadrent (84 %) et de leur direction générale (82 %) – une mission qui semble toutefois plus difficile à assumer dans les grandes entreprises.
Coincés entre le marteau et l’enclume, ils s’estiment du reste en butte à plusieurs difficultés (voir infographie p. 39). Ils citent notamment les résistances au changement, le manque de moyens, le manque de perspectives d’évolution pour les membres de leur équipe et le manque de temps à leur consacrer. L’étude souligne aussi un certain manque d’implication des divers relais hiérarchiques. Si plus des trois quarts (77 %) des managers de proximité perçoivent leur manager comme leur principal soutien dans le développement de l’engagement, ils ne sont plus que 64 % à estimer pouvoir compter sur l’appui de leur direction, et 56 %, sur celui de la DRH. Des scores qui s’avèrent encore plus bas dans les grandes entreprises (respectivement, 75 %, 55 % et 45 %).
Constat alarmant
Les managers apparaissent enfin insuffisamment équipés et accompagnés pour exercer cette mission. Si 63 % disposent d’outils afin de favoriser le travail en équipe (messagerie, réseau social, forums…), 52 % seulement ont accès à des formations au management, 45 % ont la possibilité de distribuer des primes aux collaborateurs les plus performants, 39 % peuvent s’appuyer sur des enquêtes internes pour mesurer et piloter l’engagement. Et 37 % ont une enveloppe dédiée à l’organisation d’événements (moments de convivialité, séminaires).
Une étude qualitative menée conjointement par l’Université Paris-Dauphine s’est, elle, intéressée aux pratiques des entreprises à l’égard de leurs managers de proximité. Premier point révélateur : dix entretiens ont été réalisés, mais plus d’une quinzaine d’entreprises ont décliné la demande de participation au motif qu’elles n’avaient rien à dire, puisqu’elles ne proposent rien à cette population. Le constat que dresse l’enseignant chercheur qui a mené l’étude est alarmant. « Le manager de proximité est au cœur d’une tension qui nous semble extrêmement importante et potentiellement dangereuse pour les organisations actuelles », écrit Lionel Garreau. Il pointe le hiatus entre le fort consensus actuel sur l’importance à donner aux managers de proximité et l’effort réel des entreprises à leur égard. Ainsi que la tension existant entre les rôles managériaux, également perçus comme importants, et les rôles opérationnels, qui prennent souvent le pas sur les premiers.
Reste donc, dans le secteur financier, à mettre les actes en conformité avec le discours ambiant sur le développement durable, la gestion des RH étant un élément clé de sa dimension sociale.
(1) L’Observatoire de l’engagement a été cofondé en 2014 par les sociétés de conseil Osagan et Carewan by KPMG.
(2) 1.016 managers de proximité interrogés (salariés faisant passer un entretien annuel, hors alternants, stagiaires, et hors managers de managers). L’intégralité de l’étude est disponible sur Internet à l’adresse www.observatoire-engagement.org.
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