
Les banques françaises et le sponsoring sportif, un enjeu d’image

La symbolique est forte : Frédéric Oudéa passant un ballon ovale à son successeur Slawomir Krupa à l’occasion de la victoire du XV de France face au Pays de Galles lors du Tournoi des six nations. Le rugby fait partie intégrante de l’histoire de la Société Générale depuis 35 ans. La banque rouge et noire nouait alors son premier partenariat avec la Ligue nationale de rugby. Elle a, depuis, renforcé ses liens avec le ballon ovale tant au niveau local en soutenant clubs et associations qu’au niveau national en s’associant à la Fédération française de rugby. Sur le plan international, la Société Générale s’affirme, pour la septième fois, comme un partenaire majeur de la Coupe du monde de rugby, qui s’ouvre le vendredi 8 septembre en France.
Pour cette édition qui se tient dans son berceau hexagonal, la Société Générale a vu les choses en grand. «La Coupe du monde de rugby est un événement rare qui se tient tous les quatre ans et, pour la deuxième fois, en France. Nous nous y préparons depuis une dizaine d’années. Preuve que notre engagement est stratégique, il se décide au niveau de la direction générale du groupe», explique Laetitia Maurel, directrice de la communication et membre du comité exécutif du groupe.
En France, pas moins de 450.000 touristes sont attendus pour l’occasion, tandis que plus de 2,6 milliards de téléspectateurs devraient suivre les matches depuis leur salon. Le logo rouge et noir de la Société Générale disposera donc d’une visibilité sans précédent. De la publicité géante pour la banque ? «L’affichage du logo ne suffit pas. Il faut incarner ce partenariat sur le terrain. Cet événement est l’occasion, plus largement, de fédérer toutes nos parties prenantes, nos clients comme nos collaborateurs», précise Laetitia Maurel.
La Société Générale sera présente dans les fan zones des neuf stades qui accueillent la Coupe du monde. Elle y invitera les spectateurs à commenter avec elle les temps forts de la compétition. Alors que sa nouvelle banque de détail SG, issue de la fusion avec Crédit du Nord, vient de prendre forme en régions, le groupe compte capitaliser sur l’événement pour promouvoir la marque. Avec Mastercard, autre partenaire majeur de Rugby World Cup, elle vient d'éditer pour ses clients des cartes bancaires régionalisées aux couleurs de la compétition. La clientèle internationale, les clients de la banque privée comme les PME françaises ou bien les particuliers via des jeux concours seront également conviés à assister aux matches. «Les études révèlent que les clients qui savent que nous soutenons le rugby ont une meilleure image de la banque», relève Katia Lazarew, responsable du sponsoring sportif de la Société Générale.
Mettre en avant les valeurs de la banque
Invités stars dans les séminaires de la banque, le joueur du XV de France Thierry Dusautoir et l’ancien rugbyman anglais Johnny Wilkinson joueront également les ambassadeurs maison. Le quadruple vainqueur du Tournoi des six nations n’en est pas à sa première collaboration avec la Société Générale. Il apparaissait déjà dans sa campagne pour la Coupe du monde 2015 en Angleterre. Cette dernière vantait «l’esprit d’équipe» («team spirit»). Des valeurs chères à la Société Générale qui en a longtemps fait son slogan. «Le partenariat sportif, à l’image de la relation clients, s’inscrit dans la durée. Le rugby est un sport dont les valeurs sont en résonance avec celles de la banque, il s’inscrit à ce titre dans son ADN», souligne Laetitia Maurel.
C’est aussi sur le terrain des valeurs que se place BPCE. Le groupe a été choisi dès l’automne 2018 comme le premier partenaire «premium» de Paris 2024, le comité d’organisation des Jeux olympiques (JO) en France. Il occupe le premier rang des sponsors domestiques, devant Carrefour, Orange, EDF et Sanofi. «Le sport est un levier d’insertion sociale, ses valeurs sont proches des valeurs coopératives», souligne Benoît Gausseron, directeur des JO Paris 2024 du groupe BPCE. Et de rappeler la longue histoire du groupe avec le sport en France. «Partenaire du Comité national olympique et sportif français depuis 2010, nous sommes devenus le premier partenaire premium des Jeux olympiques et paralympiques dès 2019. Notre engagement s’inscrit dans le temps long. Les Banques Populaires soutiennent la voile depuis 34 ans et les Caisses d’Epargne sont engagées dans le handball depuis 2014 et le basketball depuis 2015. Natixis soutient le Racing 92 depuis plus de 15 ans.»

Pour ces JO 2024, BPCE a misé sur son ancrage en régions pour devenir le parrain officiel du relais de la flamme dans l’Hexagone. Quelque 20.000 clients et sociétaires du groupe seront également invités à assister aux compétitions, tandis que plus d’un millier de collaborateurs se sont portés volontaires pour participer à l’organisation de ces JO et les vivre de l’intérieur. Là ou d’autres se contentent de parrainer une équipe nationale, BPCE s’enorgueillit, en tant que «groupe décentralisé», de soutenir 227 athlètes «dans tous ses territoires», en les accompagnant financièrement et en les aidant à préparer leur reconversion.
Seul groupe bancaire à s’être arrogé les droits marketing de l’événement en France, BPCE voit beaucoup plus loin que ces JO 2024. «Nous avons l’ambition d'être la banque du sport en contribuant à la réussite des JO et en devenant des acteurs de référence dans l’écosystème du sport en France», explique Benoît Gausseron. Un secteur d’activité qui représente 2,6% du PIB de l’Hexagone - autant que l’hôtellerie restauration - avec 125.000 entreprises et 360.000 associations.
Un investissement marketing colossal
Les partenariats sportifs permettent ainsi aux banques de cultiver une identité qui leur est propre. Si elles se montrent intarissables sur la question des valeurs qu’elles défendent, le secret est, en revanche, bien gardé sur les enjeux financiers. Lorsqu’on aborde le coût de cette opération marketing, BPCE se referme. «Nous ne communiquons pas sur le montant des droits». Le comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) attend au total 1,2 milliard d’euros de ses sponsors (sur un budget total de 3,8 milliards). Aucun chiffre n’a été communiqué pour ses partenaires premium, mais selon le magazine Capital, le montant déboursé par BPCE pourrait s’élever à plus de 100 millions d’euros. Un montant qui reste toutefois bien inférieur à celui des partenaires du Comité international olympique (CIO) comme Coca Cola et Alibaba qui disposent, eux, du droit d’activer leurs droits marketing sur le plan mondial.
Le secret est aussi bien gardé par l’organisation internationale Rugby World Cup sur les droits déboursés par ses partenaires majeurs comme la Société Générale. Le comité d’organisation France 2023 a, quant à lui, communiqué sur un budget de 60 millions d’euros, répartis entre huit sponsors nationaux, dont la mutuelle d’assurance GMF (groupe Covéa), Orange, Vivendi, Total Energies et la SNCF.
Plus de poids qu’une campagne de publicité
Pour LCL, «le jeu en vaut la chandelle». L’ex-Crédit Lyonnais, aujourd’hui filiale du Crédit Agricole, soutient le Tour de France depuis 1981. En tant que partenaire majeur de la Grande Boucle, la banque débourse près de 10 millions d’euros, selon des chiffres diffusés par l’organisateur ASO (Amaury Sport Organisation). Un ticket d’entrée beaucoup moins élevé que celui des JO ou de la Coupe du monde de football, les infrastructures se limitant aux barrières le long du parcours. «Le vélo reste un sport populaire, accessible depuis la route et gratuit pour l’ensemble des spectateurs», rappelle Jean Ghedira, directeur de la communication et du sponsoring.
S’il s’agit d’un gros investissement pour la banque, il s’avère rentable si l’on juge ses retombées en termes d’équivalent d’achats médias. Car LCL est présent partout : sur le maillot jaune, dont la banque est partenaire officiel depuis 1987, sur les banderoles à chaque étape et les barrières à l’arrivée, au sein de la caravane publicitaire qui distribue des goodies, et sur les écrans de télévision des Français qui sont des millions à suivre l’événement chaque année. La banque s’assure ainsi une visibilité maximale. «Ce partenariat a plus de poids qu’une campagne de publicité qui est ciblée sur un produit ou une innovation. Il participe à notre positionnement global vis-à-vis des clients. LCL s’est construit une image de banque urbaine, cela nous permet notamment de toucher les jeunes actifs, mais aussi la clientèle entrepreneuriale et de start-up. Le vélo est devenu un sport très fédérateur, cycling is the new golf», souligne Jean Ghedira.
Des partenaires fidèles dans la durée
Une image qui n’a pas toujours été aussi glorieuse. L’histoire du Tour de France a été émaillée par des scandales liés au dopage des coureurs, notamment «l’affaire Festina» en 1998 puis les révélations sur le cycliste vedette Lance Armstrong au début des années 2000. L’engagement de LCL, lui, n’a pas varié. «Un partenaire est fidèle, dans les bons comme les mauvais moments. Le Tour a resserré ses contrôles et est devenu exemplaire. Dans nos contrats avec ASO, figurent d’ailleurs des clauses d’engagement à maintenir une discipline anti-dopage», explique le directeur du sponsoring. LCL s’apprête d’ailleurs à rempiler pour cinq années supplémentaires en renouvelant son partenariat avec le Tour en 2024.

La longévité, c’est bien ce qui caractérise le rapport des banques françaises avec leurs sports de prédilection. Contrairement aux équipementiers et aux groupes de télécom, leur partenariat s’inscrit dans la durée. Le record est détenu par BNP Paribas, partenaire du tournoi de Roland Garros depuis un demi-siècle. «Dans le monde du sponsoring, les banques se distinguent par leur fidélité. Il s’agit d’un vrai partenariat. Pour bien accompagner un sport, il faut le connaître et l’apprécier pour en appréhender les problématiques. C’est une logique qui est au cœur de notre métier de banquier : accompagner des générations de familles et d’entrepreneurs, dans les bons moments comme les moins bons», souligne Vincent-Baptiste Closon, directeur des partenariats sportifs.
C’est d’ailleurs en accompagnant un de ses clients, le président de la fédération française de tennis Philippe Chatrier – qui a donné son nom au court central de Roland-Garros – que l’histoire de la banque française avec le tennis est née en 1973. Client chez BNP (avant sa fusion avec Paribas), ce dernier cherche un financement pour agrandir le terrain de jeu où se déroule le désormais célèbre tournoi. Lorsque le tennis devient un sport très médiatisé, BNP Paribas en profite pour accroître sa notoriété internationale et consolider sa relation avec ses clients. Aujourd’hui, Roland-Garros est étroitement associé à l’histoire de la banque. Lors de la dernière refonte du cours central en 2021, BNP Paribas a d’ailleurs participé aux réflexions sur l’aménagement de l’espace qui lui est dédié. «Les retombées médiatiques existent évidemment, mais elles ne sont pas notre préoccupation première. Nous travaillons dans une perspective de long terme, comme lorsque nous soutenons des jeunes talents. C’est notre image globale en termes d’utilité et de soutien qui prime», martèle Vincent-Baptiste Closon. Dans un secteur mal aimé depuis la crise financière, le sport, surtout lorsqu’il est populaire, s’est imposé comme un moyen de regagner le cœur des clients.
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