Bruxelles pose ses conditions à la protection des épargnants

La Commission européenne propose un texte visant à encadrer, mais sans les interdire, les rétrocessions accordées aux distributeurs de produits financiers.
Mairead McGuinness commissaire européenne
Mairead McGuinness, la commissaire européenne aux Services financiers  -  © European Union

La Commission européenne a tranché. A l’issue d’une longue consultation entamée en 2021, l’institution européenne a rendu publiques, mercredi 24 mai, les grandes lignes de sa proposition sur la protection des investisseurs particuliers (Retail Investment Strategy, RIS). Ce projet fera désormais l’objet de négociations au Parlement européen et, entre les Etats membres, au sein du Conseil de l’Union européenne.

Si ce texte semble moins dur pour les distributeurs qu’ils ne le craignaient, il est cependant loin de faire l’unanimité. «Les nouvelles procédures administratives imposées par ce texte vont être très difficiles à respecter pour les petits distributeurs de produits financiers, déjà noyés sous les exigences de conformité. Cela donnera donc un avantage aux grandes structures», regrette Morgane Hanvic, associée chez Lexance Avocats. La consolidation du secteur de la distribution de produits financiers est donc loin d’être terminée.

Le délicat sujet des rétrocessions

Tout au long des discussions, le mode de rémunération des intermédiaires a cristallisé les tensions. Les associations d’épargnants, longtemps soutenues par Mairead McGuinness, la commissaire européenne aux Services financiers, se sont prononcées en faveur d’une interdiction des rétrocessions, en affirmant que ce mode de rémunération pouvait être source de conflits d’intérêts. De son côté, l’industrie financière, soutenue par plusieurs gouvernements (dont la France, l’Allemagne et l’Italie), a avancé l’argument de la pérennité économique du secteur pour défendre ce modèle de distribution, tout en rappelant les obligations légales qui pèsent sur les distributeurs. Ces dernières semaines, la commissaire européenne semblait cependant revenir sur sa position, laissant augurer le texte final présenté le 24 mai.

La Retail Investment Strategy n’interdit pas les rétrocessions, même si elle les encadre fortement. Ce mode de rémunération ne pourra ainsi pas être pratiqué dans les situations où il n’y aurait «aucune relation de conseil entre l’entreprise d’investissement et le client (execution only sales)». Reste à savoir comment cette disposition sera interprétée en France, où le conseil en matière de distribution des produits financiers est obligatoire.

Des garanties plus strictes et une plus grande transparence seront également introduites lorsque les rétrocessions sont autorisées, précise la Commission. L’institution fait allusion à l’obligation pour les intermédiaires de fonder leurs conseils sur une évaluation d’une «palette appropriée» de produits financiers, ou bien de «proposer au moins un produit financier alternatif exempt d’éléments additionnels et de coûts supplémentaires non nécessaires compte tenu des objectifs d’investissement du client».

En France, les établissements qui gèrent les produits financiers sont autorisés à verser des rétrocessions, mais, dans ce cas, les distributeurs ne peuvent se targuer de fournir leurs conseils de manière indépendante. S’ils veulent ouvertement se déclarer «indépendants», les conseillers financiers doivent être rémunérés exclusivement par le biais d’honoraires. En 2022, une étude menée par l’Autorité des marchés financiers montrait que 77% des 5.000 conseillers en investissements financiers recensés en France étaient rémunérés par le biais de rétrocessions, 6% exclusivement par honoraires et 17% mêlaient les deux modes de rémunération. Une interdiction des rétrocessions aurait donc profondément modifié le mode de fonctionnement de ce canal de distribution.

Transparence

La Commission européenne entend par ailleurs faire évoluer le conseil prodigué aux épargnants, et les adapter aux nouveaux modes de consommation. Ainsi, le texte dévoilé ambitionne d’«adapter les règles de distribution à l’ère numérique et aux préférences croissantes en matière de durabilité».

Toutefois, Bruxelles alerte sur «la nécessaire protection des épargnants contre le marketing trompeur». L’exécutif souhaite ainsi que les intermédiaires soient tenus «pleinement responsables de l’utilisation de leur communication marketing, y compris lorsqu’elle est faite via les médias sociaux, ou par l’intermédiaire de célébrités ou d’autres tiers qu’ils rémunèrent ou encouragent». Pour pouvoir concilier les impératifs, Bruxelles insiste sur l’exigence de «normes élevées en matière de qualifications professionnelles pour les conseillers financiers».

La Commission mise également sur la transparence en matière de présentation des coûts pour une meilleure protection des épargnants. «Il est nécessaire d’accroître la transparence et la comparabilité des coûts entre (les différents produits proposés), tout en ayant recours à une présentation standardisée des produits», souligne ainsi le texte.

Bruxelles entend par ailleurs «réduire les charges administratives et améliorer l’accessibilité des produits aux investisseurs avertis», en rendant plus «proportionnés» les critères d’éligibilité pour devenir un investisseur professionnel. Mais, sur le plan administratif, tous les distributeurs ne seront pas logés à la même enseigne.

Enfin, le texte souhaite «renforcer la coopération entre les différents superviseurs européens, afin de veiller à ce que les règles soient correctement et efficacement appliquées de manière cohérente dans l’ensemble de l’UE et de lutter conjointement contre la fraude et les mauvaises pratiques».

La France, qui avait réussi à passer entre les mailles du filet de l’interdiction des rétrocessions lors de la transposition de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MIF2) en 2018, a donc réussi à convaincre ses partenaires européens de préserver ce mode de rémunération des distributeurs. Mais les débats ne sont pas terminés, le texte faisant l’objet d’une clause de revoyure après trois ans. «Aujourd’hui, les distributeurs ne savent pas comment leur métier va évoluer dans les trois à cinq ans à venir, ce qui n’est absolument pas neutre pour notre écosystème», a déclaré à L’Agefi David Charlet, le président de l’association professionnelle Anacofi. Le sujet finira inévitablement par revenir sur la table des négociations.◆

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