
BREXIT - Stupeur et tremblements à la City

Je recommande fortement que nous gardions notre autonomie en matière de régulation financière. Et ce même si le prix à payer est l’absence d’équivalences », a lancé Andrew Bailey le 6 janvier. L’aplomb du gouverneur de la Banque d’Angleterre cache mal l’impuissance du gouvernement britannique face aux conséquences désastreuses pour la City de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Long de 1.200 pages, l’accord de commerce et de coopération signé à la veille de Noël entre les deux partis s’apparente bien à un « no deal » pour le secteur.
Le fameux passeport européen, qui permettait jusqu’au 1er janvier aux institutions financières britanniques de commercialiser leurs produits partout en Europe, s’est envolé. L’accès direct au marché unique dépend dorénavant du bon vouloir de la Commission européenne (CE), qui a seule la main sur le régime des équivalences de l’Union européenne (UE). Ce dernier lui permet de reconnaître que les institutions financières des Etats tiers sont soumises à une législation similaire pour autoriser unilatéralement et temporairement celles-ci à commercer avec l’UE depuis leur propre pays. Le Royaume-Uni, qui dégageait en 2019 un excédent de près de 20 milliards d’euros avec l’UE sur les échanges et services financiers, se retrouve ainsi à la merci de l’exécutif européen.
Parmi les 39 décisions différentes d’équivalence réglementaire, seules deux ont pour l’heure été accordées à Londres. L’une concerne les dépositaires centraux de titres et l’autre, qui restera valable 18 mois, porte sur les chambres centrales de compensation (CCP). Considérées comme vitales pour assurer la stabilité financière de l’UE, ces deux exceptions ne constituent en rien des faveurs. Cette période de transition doit ainsi être l’occasion pour les CCP établies dans l’UE de développer leurs capacités et de réduire la forte dépendance européenne vis-à-vis de la City en matière de compensation des contrats des dérivés.
Le gouvernement britannique, qui avait pourtant fait le premier pas début novembre en ouvrant son propre marché aux Européens par la reconnaissance de plusieurs dizaines d’équivalences, s’est heurté à l’inflexibilité de la Commission. Alors que plus de 7.500 employés du secteur outre-Manche et environ 1.200 milliards de livres d’actifs ont été transférés vers l’UE avant le 1er janvier, selon le cabinet d’audit EY, l’addition devrait s’alourdir avec le temps pour Londres. La place financière a ainsi vu s’envoler la quasi-totalité des transactions européennes, soit 6 milliards d’euros à sa réouverture post-Brexit le lundi 4 janvier.
Impératif de souveraineté
Symbole de la nouvelle dure réalité des services financiers britanniques, l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) a mis en garde mi-janvier plusieurs sociétés du royaume qui tentaient de contourner l’interdiction de proposer des services d’investissement aux clients basés dans l’UE, en les ciblant par le biais de publicités. Selon l’Esma, certaines entreprises ont ainsi inclus des clauses dans leurs conditions générales de vente ou utilisent des fenêtres en ligne par lesquelles les clients déclarent que toute transaction est exécutée à leur initiative exclusive.
Cette tentative de se raccrocher aux branches du marché européen en dit long sur le malaise de la City, qui peut avant tout s’en prendre à son gouvernement. Malgré les 7 % du PIB, 10 % des recettes fiscales et 1,1 million de postes qu’il représente, le secteur financier n’a pas fait partie de ses priorités dans les discussions avec l’UE. « En juillet 2018, Theresa May a présenté son premier projet de négociation sans un mot sur les service financiers et, depuis, les différents gouvernements n’ont jamais vraiment déployé d’efforts pour les inclure », atteste Nicolas Mackel, CEO de Luxembourg for finance, pour qui « la logique de l’indépendance réglementaire a prévalu, en particulier pour les services financiers » (lire aussi ‘La parole à...’).
Un impératif de souveraineté présenté au niveau politique comme un moyen pour le secteur de créer de nouveaux produits afin d’accroître encore son influence, mais peu partagé par la City, consciente que s’écarter des réglementations de l’UE signifie s’éloigner de son marché. William Russell, le lord-maire de Londres et représentant de ses entreprises financières, pointe de longue date le danger de la « fragmentation réglementaire ». Les craintes de la place financière n’auront pourtant jamais été entendues par un gouvernement obnubilé par le présent politique, quitte à hypothéquer l’avenir économique.
Espoirs douchés
Le mirage des bienfaits de la dérégulation combiné à l’impossibilité politique de défendre publiquement un secteur rendu impopulaire par la crise de 2008, en particulier aux yeux de l’électorat « brexiter », a de fait conduit les services financiers britanniques à un Brexit sans accord dont ils ne font que commencer à payer les pots cassés. Une seule tentative timide de soutenir le secteur financier peut être mise à l’actif de l’ex-ministre des Finances britannique Sajid Javid en février 2020, qui avait émis le souhait de négocier un accord de libre-échange des services financiers pour « la décennie à venir ».
L’ancien chancelier de l’Echiquier avait vu ses espoirs douchés par le négociateur en chef de l’UE Michel Barnier, lui rétorquant qu’il n’y aurait pas « d’équivalence générale, globale ou permanente avec le Royaume-Uni ». « Nous ne négocions pas, nous vérifions la cohérence, et quand nous le jugeons possible, nous donnons des équivalences sur tel ou tel secteur de l’industrie financière. Nous le faisons avec les Etats-Unis ou le Canada, et cela marche très bien », avait encore précisé le Savoyard, droit dans ses bottes.
Dix mois après, force est de constater qu’il n’a pas tenu parole. De quoi étayer l’hypothèse d’un « deux poids, deux mesures » entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, lesquels bénéficient de pas moins de 21 décisions d’équivalence.
Divergence réglementaire
« On ne peut pas accorder une équivalence en supposant que l’alignement actuel sera toujours là alors que nous savons que le Royaume-Uni part avec l’intention de diverger et d’établir ses propres règles », plaidait à ce sujet en octobre John Berrigan, le directeur général de la DG Fisma* de la Commission européenne, soulignant qu’il faudrait « un certain niveau de réassurance que la divergence ne sera pas trop importante ».
Si le manque de clarté du gouvernement britannique sur ses intentions à court terme peut expliquer en partie la frilosité des Européens, leur lenteur à délivrer les sésames tant attendus apparaît avant tout politique : paralyser l’accès des services financiers britanniques au marché européen permet d’accélérer leur délocalisation dans les capitales continentales. De fait, Bruxelles ne cache pas sa volonté de prendre des décisions « dans l’intérêt de l’UE ». Par ailleurs, le retard pris par la Commission dans son analyse des réponses britanniques à un questionnaire sur sa régulation financière, envoyé en mars 2020, paraît fort opportun pour les Européens.
Pour Sebastian Mack, du Centre Jacques Delors de Berlin, les Européens doivent profiter de l’affaiblissement de la City pour développer l’Union des marchés de capitaux. « Le Brexit peut aider à faire des progrès sur ce projet, mais aussi à approfondir l’intégration financière européenne de manière plus générale, à laquelle le Royaume-Uni faisait jusque-là obstacle. Son départ permet un net glissement de pouvoir vers l’eurozone », espère le chercheur allemand.
*Direction générale de la stabilité financière, des services financiers et de l’Union des marchés des capitaux.

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