«Le système actuel de rémunération des dirigeants est défaillant et trop compliqué»

Adam Matthews, responsable de l’investissement responsable et directeur de l'éthique et de l’engagement chez Church of England Pensions Board, détaille à Instit Invest ses différentes actions menées auprès de l’industrie minière, et ses objectifs en matière de rémunération des dirigeants.
Tuba Raqshan
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Comment appliquez-vous les critères d’investissement éthique à vos fonds ? En tant que fonds de pension de Church of England, l'éthique chrétienne guide notre façon d’investir, en plus de l’examen des facteurs ESG et de nos obligations en matière de paiement des pensions. Nous disposons d’un organe de conseil en investissements indépendant. Cet organe comprend une série d’experts indépendants tels que des évêques, des théologiens, des professionnels de l’entreprise et de l’investissement, qui se réunissent pour élaborer des conseils en matière d’investissement éthique. Le groupe examine l'éthique d’un point de vue chrétien sur une série de questions. Nous disposons de 19 politiques éthiques, dont certaines sont générales et d’autres plus spécifiques, comme le changement climatique, la rémunération des dirigeants ou des secteurs particuliers comme les industries extractives. Nous développons ensuite des politiques d’investissement basées sur ces conseils éthiques, qui vont de la gestion de nos actifs aux approches d’investissement et aux exclusions. Vous êtes très actif dans le secteur minier. Pourriez-vous nous en dire plus sur la manière dont vous appliquez ces critères éthiques à une industrie essentiellement polluante ? L’exploitation minière est l’un des plus importants secteurs qui n’a pas reçu l’attention qu’il mérite de la part de la communauté des investisseurs. Nous ne comprenons pas vraiment à quel point la transition vers une économie à faible émission carbone dépend de l’exploitation minière. En tant que fonds, nous avons longuement réfléchi à ce secteur. En effet, il y a des références à l’exploitation minière et aux produits miniers dans la Bible. Nous avons réfléchi à l'éthique de l’investissement dans ce secteur et avons clairement compris qu’il n'était pas réaliste de prétendre pouvoir exister sans exploitation minière. Par conséquent, nous avons voulu nous engager sérieusement dans le changement nécessaire dans le secteur tout en y restant investis. Le conseil d’administration des pensions de l’Eglise d’Angleterre a lancé une initiative d’investisseurs dénommée «Mining 2030» afin de diriger le changement systémique et la responsabilité sur les questions qui remettent en cause la licence sociale de l’exploitation minière. Cette initiative s’appuie sur les leçons que nous avons tirées après avoir dirigé une initiative d’investisseurs représentant 25.000 milliards de dollars à la suite de la catastrophe de Brumadinho [rupture d’un barrage géré par l’entreprise Vale, NDLR] qui s’est produite au Brésil il y a trois ans et a tué 270 personnes. Nous avons constaté qu’il y a des bonnes pratiques au sein des entreprises. Cependant, l’ensemble du secteur est mis à mal lorsque des événements tels que celui de Brumadinho se produisent. La catastrophe de Brumadinho n’aurait jamais dû se produire. Il semble que les leçons n’aient pas été tirées par un secteur qui a été confronté à une série de catastrophes mortelles liées aux déchets miniers. Par conséquent, nous nous sommes engagés auprès de différentes parties prenantes à la suite de ces catastrophes et avons mis en place l’initiative «Investor Mine Tailings and Safety», en collaboration avec le conseil d'éthique des fonds de pension suédois AP. Cette initiative a abouti à la création d’une norme mondiale sur les résidus miniers que nous avons élaborée avec l’industrie et les Nations unies. Il s’agissait de la première norme mondiale et nous avons ensuite demandé aux entreprises de confirmer qu’elles l’adopteraient. Plus de 70 % du secteur minier coté en Bourse, en termes de capitalisation boursière, ont confirmé qu’ils s’efforceraient de l’appliquer. Nous avons annoncé en janvier dernier que nous voterions pour retirer la présidence des entreprises qui ne se sont pas engagées à respecter la norme, car cela représente un risque systémique pour les entreprises et une menace pour les communautés, les travailleurs et l’environnement. Nous avons été heureux de constater que de nombreux fonds ont pris des engagements similaires pour voter contre les présidents de ces entreprises. Nous travaillons actuellement avec les Nations unies pour créer un institut international indépendant qui supervisera l’audit de chaque site minier dans le monde afin de confirmer que la norme est correctement appliquée. Cela se fera indépendamment de l’emplacement de la mine et garantira que la transparence et l’indépendance sont le moteur des meilleures pratiques mondiales. Comment cette coalition d’investisseurs pourrait-elle garantir que les sociétés minières appliquent les mêmes normes dans les pays développés et en voie de développement ? Il s’agit d’une question clé. Il est évident que nous attendons de toutes les sociétés minières qu’elles respectent les réglementations locales, mais pourquoi une société opérant au Canada ou en République démocratique du Congo devrait-elle respecter des normes différentes en matière de sécurité des digues de résidus. Il est peut-être possible pour elles de le faire, mais cela ne signifie pas que c’est juste et que c’est ce que nous attendons d’elles en tant qu’investisseur. L’intérêt d’une norme internationale est qu’elle uniformise les règles du jeu pour tous. On attend de tous qu’ils l’appliquent. Si les entreprises choisissent de ne pas l’adopter, nous devons alors examiner les mesures que nous pouvons prendre en tant qu’investisseurs. Parmi celles-ci, nous discutons avec des collègues du secteur bancaire et des assurances. Nous espérons que, dans un avenir relativement proche, il sera très difficile pour une entreprise qui décide de ne pas mettre en œuvre la norme de s’aligner sur les attentes de la communauté des banques, des assurances et des investisseurs. Nous avons également déclaré qu’en tant que fonds, nous voterons contre le président du conseil d’administration d’une entreprise qui refuse d’adopter la norme. Bien qu’il appartienne à chaque fonds de déterminer son vote, nous espérons que cela deviendra un standard dans la politique du vote des investisseurs. Enfin, nous travaillons également avec les Nations unies pour que la norme soit intégrée dans les législations nationales. Quelles sont vos autres priorités en matière d’engagement auprès des entreprises ? Nous avons un certain nombre de priorités. La lutte contre le changement climatique est une priorité majeure, ainsi que des questions telles que l'équité et la rémunération des dirigeants. En ce qui concerne le climat, nous nous sommes engagés fermement dans le débat du côté de l’offre, le secteur pétrolier et gazier, et avons dirigé l’engagement auprès de Shell au nom de Climate Action 100+. Nous avons mené le processus visant à établir une norme zéro carbone émission pour les entreprises pétrolières et gazières. Nous encourageons les entreprises à s’efforcer de mettre en œuvre cette norme exigeante si elles veulent être crédibles dans leurs plans de transition. Cependant, nous sommes également conscients que le secteur pétrolier et gazier ne changera pas tant que la demande ne changera pas. Nous devons modifier la demande de pétrole et de gaz des secteurs à forte intensité énergétique tels que l’aviation, la navigation, le logement et l’automobile. Ce n’est qu'à ce moment-là que des entreprises telles que Shell et TotalEnergies pourront réellement opérer une transition et atteindre leurs objectifs. La rémunération des dirigeants est un autre point important. Il est clair que le système actuel de rémunération des dirigeants est défaillant et trop compliqué. Les directeurs doivent être tenus responsables. Si un nombre significatif d’investisseurs insiste sur ce point, nous pourrions assister non seulement à des rébellions lors des assemblées générales, qui sont ignorées car elles ne sont que consultatives, mais aussi à une modification des rémunérations réelles. Après une certaine retenue pendant la pandémie, les rémunérations sont tout simplement excessives et en décalage avec la société, à un moment où beaucoup doivent faire face à une crise du coût de la vie et où de nombreux travailleurs ne reçoivent pas un salaire décent. Prévoyez-vous de désinvestir des entreprises basées sur la rémunération excessive des dirigeants ? Non. Nous allons réunir les propriétaires d’actifs pour examiner l'état de la rémunération des dirigeants et les leviers que nous devons actionner en tant qu’investisseurs et si nous les actionnons effectivement. Les votes consultatifs ne fonctionnent pas. Les conseils d’administration les ignorent et prétendent ensuite s’engager auprès des investisseurs, mais finissent par verser la même rémunération excessive que celle à laquelle leurs investisseurs viennent de s’opposer. Nous devons veiller à ce que les administrateurs qui président les comités de rémunération et qui soutiennent des systèmes de rémunération trop compliqués et basés sur des formules soient tenus responsables. Nous devons examiner les ratios entre les plus bas salaires et les plus hauts salaires et nous devons envisager de rendre les votes consultatifs contraignants. Dans la situation géopolitique actuelle, il y a un débat sur l’inclusion d’armes dans les fonds ESG du point de vue de la sécurité nationale. Quelle est votre position dans ce débat ? Nous faisons tout notre possible pour nous assurer que nous ne sommes pas exposés à des fabricants d’armes aveugles et nous appliquons des seuils de revenus aux fabricants d’armes conventionnelles. Le tableau n’est cependant pas aussi simple que d’investir dans des fabricants d’armes pour soutenir la sécurité nationale. Lorsque vous investissez dans un fabricant d’armes, vous n’avez pas le choix de savoir à qui il vend des armes, ni où elles finissent. S’il est vrai que la sécurité nationale doit être protégée et qu’il existe une forte tradition chrétienne de la théorie de la guerre juste, il existe des raisons évidentes de se méfier des profits tirés de la guerre.

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