
«Nous voulons être un laboratoire du développement durable»

Quelle est la genèse de la création de Blue like an Orange? Lorsque j’ai quitté la direction de la Banque Mondiale il y a 4 ans, j’étais incertain sur ce que je souhaitais faire. Soit retourner dans le système financier traditionnel, soit faire une pause. J’ai commencé, sur les conseils de personnes de mon entourage notamment Olivier Blanchard, qui quittait à la même époque le FMI, à mettre par écrit les quelques «bonnes» idées et réflexions que j’avais pu avoir en tant qu’observateur privilégié du monde de la finance depuis 20 ans. D’où l’écriture d’un livre en 2016 et des interventions publiques. Puis je me suis lancé. Rien ne me prédestinait à la création d’entreprise. Il a fallu sortir de ma zone de confort, mais le soutien de nombreuses personnes m’a encouragé. En particulier celui d’Emmanuel Faber (DG de Danone), de Paul Polman (alors DG d’Unilever), d’Olivier Goudet (CEO de JAB Holdings), d’Antonio Weiss (ex-numéro 2 de Lazard et du Trésor Américain), de Ray Chambers ou Ronnie Cohen, deux «inventeurs» du private equity. Ils étaient tous prêts à m’aider. J’ai commencé à chercher une équipe, rassembler des associés et trouver des financements en France et à l’étranger. Le fonds a été créé au printemps 2017 au Luxembourg. Les fonds levés proviennent à 90% d’investisseurs institutionnels. Pourquoi le Luxembourg? Cela fait parfois sourire certaines personnes, mais avec Dublin, le Luxembourg est en Europe la place de référence des fonds au niveau international. Nous sommes évidemment réglementés. Quelles difficultés avez-vous rencontrées? Heureusement, en me lançant, je ne savais pas que cela serait si difficile. Je dirai que le plus compliqué est de faire deux choses en parallèle: étudier les projets sans avoir d’argent et lever de l’argent sans avoir encore les projets ! En trois ans, il a fallu faire converger les parallèles! Quel est le but de Blue like an Orange? J’avais été très convaincu par l’élan de 2015 avec l’adoption collective des Objectifs de développement durables (ODD), des Accords de Paris sur le Climat et des Accords sur le financement du développement. Mais le problème était que dans cet élan, on avait laissé de côté la problématique du financement de ces projets. Je voulais que Blue like an Orange soit un des outils qui, dans la nouvelle Finance, permette la combinaison de la performance de marché et de l’impact, sans compromis. La mesure de la performance est essentielle. Pas d’ambiguïtés: les fonds de pension et assureurs doivent être rémunérés des risques qu’ils prennent sinon les discussions ne peuvent pas aboutir. C’était le premier pilier de notre fondation. Le deuxième pilier a été notre accord avec la Banque interaméricaine de développement. Pour quelle raison faire appel à une banque publique? J’ai pu voir durant mon mandat à la Banque Mondiale que les organisations publiques internationales ont un rôle positif dans le monde mais qu’elles pourraient en faire davantage. Coordonner capacités publique et privée me paraissait essentiel pour notre projet. Je tenais à cette idée de mettre de l’argent sur la table et de travailler ensemble. Quel rôle du coup tiennent vos associés privés? Ils nous aident par leur réputation, par les coups de téléphones qu’ils peuvent passer, et ils nous permettent de trouver des transactions et des ressources. Comme me le disait au début Paul Polman, nous voulons faire de Blue like an Orange, un laboratoire du développement durable, pour mieux comprendre comment on peut passer de la macroéconomie aux constatations concrètes sur le terrain. Pourquoi le choix de l’Amérique latine ? C’est un début, nous verrons par la suite si nous allons dans d’autres régions du monde. Nous ne pouvions pas faire un fonds mondial: cela aurait été trop ambitieux. L’idée de nous concentrer sur l’Amérique latine nous est venue d’abord de l’intérêt fort de la Banque interaméricaine pour notre idée. C’est aussi une zone suffisamment importante en elle-même et, comme l’Afrique, une région où la problématique du développement durable est devenue centrale. En Afrique, la lutte contre la pauvreté va avoir une importance primordiale. En Amérique Latine, nous allons plutôt travailler sur des sujets comme le climat, la biodiversité, les relations hommes femmes, l’accès au crédit, la santé ou l’éducation. Mais s’il est plus avancé économiquement que l’Afrique, c’est aussi le continent le plus inégalitaire au monde. L’Asie aurait été plus compliquée. Le continent a un excédent d’épargne… et la Chine. Enfin, nous avons choisi de travailler sur la dette plutôt que sur l’equity car il y a assez peu d’acteurs sur ce segment, notamment la dette mezzanine, alors qu’elle est un outil plutôt bien adapté aux pays émergents, compte tenu de la flexibilité qu’elle permet à l’emprunteur. Combien de projets comptez-vous financer? Nous en avons déjà choisi quatre. Certains ont été proposés par la Banque interaméricaine et d’autres par nous. Nous comptons financer une grosse dizaine de projets avec ce premier fonds. Notre cadre de référence reste les Objectifs de développement durable (ODD) pour déployer notre approche de l’impact, tous secteurs confondus. Vous avez aussi mis à disposition votre instrument d’évaluation de l’impact. Pour quelle raison? Nous avons mis en effet en accès libre sur notre site, un système de notation de l’impact que l’on appelle «SDG Blue», qui permet de comparer l’impact d’un dollar ou d’un euro investi dans un projet, par exemple dans l’accès au crédit, avec l’impact d’un dollar investi dans un autre projet, par exemple dans la santé , dans l’eau, etc. On essaie d’avoir une diversité d’impact pour maximiser l’impact en dollar. Ce n’est pas simple de savoir quels sont les critères qui permettent de déterminer quels projets ont plus d’impact qu’un autre. Il y a bien sûr la façon dont on mesure les émissions de Co2, les créations d’emploi par exemple, ça, tout le monde peut faire. Mais comment évaluer l’impact c’est plus difficile. C’est pour cela qu’on a mis en accès libre depuis janvier notre méthodologie afin de participer à un débat plus général sur l’impact, de recevoir des conseils et critiques. C’est le côté laboratoire du projet. Chacun est libre aussi d’utiliser notre approche pour ses propres besoins. Il nous fallait en particulier nous mettre d’accord sur les critères que l’on voulait voir évalués quel que soit le projet. Et nous en avons après réflexion identifié quatre. Quels sont ces critères d’impact «transversaux»? Ce sont quatre ODD que l’on veut systématiquement analyser pour une meilleure comparabilité. Le premier, celui qui pèse le plus lourd, c’est la création de vrais emplois («decent job» au sens des Nations Unies), une problématique importante dans les pays émergents. Le deuxième, c’est l’égalité hommes femmes. C’est bien sûr important en soi mais le fait est que, si c’est mal pris en compte, c’est révélateur de plein d’autres problèmes en matière d’éducation, d’accès à la finance, à la santé, d’agriculture, etc. Le troisième incorpore la problématique du climat sans être réduit à celui-ci: il s’agit de voir la prise en compte par l’entreprise des ressources naturelles au sens large (eau, air, etc.). Le quatrième critère est lié à l’innovation: que les entreprises apportent quelque chose de nouveau. Tout cela constitue 45% de la notation. Le solde relève de modules spécifiques à l’activité même de la société financée pour savoir si c’est un bon projet dans l’eau, dans la santé, dans l’éducation, etc. C’est votre 1er fonds. Sur quoi portera le prochain? C’est trop tôt pour le dire, il nous faut faire nos preuves, mais il est certain que nous n’avons pas envie de nous arrêter là. Post-Covid cette idée du durable devrait s’enraciner davantage. Beaucoup d’analyses ont été faites au sens large sur l’ESG pendant cette période. Elles ont montré qu’il tenait mieux face à la crise. Nous n’avons pas été surpris!
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