Qui achètera mille milliards de bons du Trésor US ?

L’analyse de... Michala Marcussen, chef économiste Groupe Société Générale
Michala Marcussen
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Michala Marcussen, chef économiste, Groupe Société Générale

Après 665 milliards de dollars en 2017, le déficit budgétaire outre-Atlantique atteindra, selon le Congressional Budget Office (CBO), 804 milliards de dollars en 2018 et près de 1.000 milliards en 2019. Pour les marchés obligataires, ces projections signifient une augmentation significative des émissions nettes du Trésor américain, et ce, au moment même où la Réserve fédérale (Fed) entame la réduction de son portefeuille de bons du Trésor d’environ 250 milliards de dollars en 2018 et 360 milliards l’année prochaine. Ajoutons que la Fed a aussi prévu une réduction de ses avoirs de MBS (mortgage-backed securities) à hauteur de 170 milliards de dollars cette année et de 240 milliards l’année prochaine. Ces flux importants soulèvent la question de savoir qui va achèter cette dette. La réponse aura des implications importantes, non seulement pour la courbe des taux américains, mais également pour les marchés financiers à l’échelle mondiale. Elle pourrait même forcer la Réserve fédérale à changer sa tactique.

Avec environ 45 % des bons du Trésor négociables, les investisseurs étrangers sont les premiers détenteurs de la dette fédérale américaine, devant la Fed qui détient un peu plus de 15 % du stock. En 2017, les investisseurs étrangers, qui comptent également des banques centrales et des fonds souverains, ont été les plus importants acheteurs « nets » de bons du Trésor, reprenant 70 % des émissions nettes. Or, plusieurs éléments plaident en faveur d’une moindre demande à l’avenir.

Tout d’abord, la couverture du risque de change est devenue prohibitivement coûteuse ramenée au rendement offert par les bons du Trésor. La couverture entre l’euro et le billet vert coûte aujourd’hui 2,75 % annualisé sur une base de trois mois, soit seulement 5 points de base (pb) de moins que le taux américain à dix ans. Cela offre peu de protection contre une hausse éventuelle des taux américains. Cependant, une repentification de la courbe pourrait de nouveau attirer les investisseurs. Par ailleurs, l’accumulation de réserves de change est une source de demande naturelle pour les bons du Trésor américain. Mais les dernières prévisions du FMI montrent un ralentissement de l’accumulation des réserves de change en 2018 et 2019 par rapport à 2017, sans compter le risque d’une guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.

Bien que les banques américaines et leurs homologues étrangères présentes aux Etats-Unis détiennent actuellement moins de 5 % des bons du Trésor négociables, elles pourraient prendre de l’importance dans les années à venir. Lorsque la Réserve fédérale réduit son actif, elle doit diminuer le passif. Dans le contexte actuel, cela signifie principalement des réserves excédentaires détenues par les banques. Pour celles-ci, cela se traduit typiquement par une réduction des dépôts.

Reste que tous les dépôts bancaires ne sont pas égaux en vertu des règles prudentielles de Bâle 3. Les banques doivent détenir suffisamment d’actifs liquides de haute qualité pour résister à une pénurie de financement d’une durée de trente jours. Les réserves font partie de ces actifs, et quand elles seront absorbées par le rétrécissement du bilan de la Réserve fédérale, les banques pourraient très bien les remplacer par des bons du Trésor, en fonction des fluctuations correspondantes des dépôts.

Enfin, les bénéfices des sociétés américaines détenus à l’étranger ont suscité un certain intérêt dans ce débat, car la nouvelle réforme fiscale pourrait encourager leur rapatriement. Une partie de ces actifs sont probablement déjà détenus en bons du Trésor américain. Une fois rapatriés, ils peuvent déboucher sur de nombreuses autres alternatives : des rachats d’actions, des dividendes, des réductions de dette ou, comme l’espère l’administration Trump, de nouveaux investissements dans l’économie réelle.

Bien entendu, l’offre supplémentaire de bons du Trésor va trouver preneur. La seule question est de savoir à quel prix. Si les taux longs poursuivent leur trajectoire ascendante, la Réserve fédérale pourrait être contrainte de ralentir soit son rythme de hausse de taux, soit celui de réduction de bilan. Le premier cas suggère une courbe de taux plus pentue, le deuxième une évolution plus plate. Alors que les marchés des changes renouvellent fréquemment leur moteur, il convient de noter que la pente de la courbe des taux américains a été étroitement corrélée avec le billet vert au cours des dernières années, une courbe plus plate coïncidant avec un dollar plus faible.

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