Politique commerciale : la France au défi de consacrer sa vision en Europe

La vision défendue par la France, d’une Europe capable de fermeté pour défendre ses intérêts, a gagné du terrain. Paris aura toutefois fort à faire pour lui donner corps lors de la présidence française du Conseil, à partir du 1er janvier 2022.
Clément Solal, à Bruxelles
Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée MoDem du groupe Renew (libéral). Parlement européen
Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée MoDem du groupe Renew (libéral) et vice-présidente de la commission commerce international du Parlement.  -  Crédit European Union

Paris lorgne déjà un premier trophée à accrocher au tableau de chasse de sa présidence du Conseil de l’Union européenne (UE). Mardi matin, les eurodéputés ont ainsi ouvert la voie au lancement dès janvier de négociations en «trilogue» entre le Parlement européen (PE) et la future Présidence française afin de doter l’UE d’une nouvelle arme de pression face à ses partenaires jugés coupables de limiter outre mesure l’accès des entreprises européennes à leurs marchés publics, la Chine et les Etats-Unis en tête. Concrètement, cet «Instrument international sur les marchés publics» (International Procurement Instrument ou IPI) permettra à la Commission européenne (CE) d’enquêter sur des pratiques discriminatoires d’un pays tiers et de prendre des mesures de rétorsion pour, in fine, tendre vers une plus grande «réciprocité» : soit en excluant soit en pénalisant les entreprises issues du pays en question sur les marchés publics de l’UE vis-à-vis des autres candidats.

Dans les tuyaux depuis 2012, le projet de règlement est demeuré coincé huit années durant à la table du Conseil, jusqu’à ce que les Etats membres parviennent enfin à s’entendre sur une position commune en juin dernier. Un déblocage soudain qui atteste de l’avancée de la vision, défendue par la France, d’une Europe capable de montrer les crocs pour défendre ses intérêts commerciaux, comme le souligne la vice-présidente de la commission commerce international du PE Marie-Pierre Vedrenne auprès de L’Agefi : «Nous passons des paroles aux actes. Il s’agit d’un nouveau pas pour l’autonomie stratégique, d’une nouvelle concrétisation pour mettre fin à l’Europe naïve», triomphe l’eurodéputée MoDem du groupe Renew (libéral), qui salue notamment «le changement de ligne» du gouvernement allemand sur le sujet.

La probable adoption finale du projet viendrait en effet s’ajouter à une série de mesures de renforcement de l’arsenal de défense commercial de l’UE. En octobre 2020, les co-législateurs s’étaient ainsi déjà accordés pour étendre sensiblement les mesures de rétorsion commerciale pouvant être adoptées contre les pays tiers qui ne respectent pas les règles internationales, dans le contexte du blocage du système d’appel de l’organe de règlement des différends de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Poussée par Paris, la création par la CE du poste de «procureur commercial» (Chief Trade Enforcement Officer), occupé par le Français Denis Redonnet, pour surveiller le bon respect par ses partenaires des accords commerciaux signés par l’UE, va dans le même sens.

La vision française progressemais l’UE reste en même temps très loin de parler d’une seule voix. En témoigne la différence d’ambition entre le mandat de négociation du Conseil et celui du PE sur les marchés publics: le texte adopté par les 27 prévoit que les autorités nationales pourront décider de contourner le règlement, en refusant d’appliquer lesdites sanctions lorsqu’elles les jugent contraires à leurs intérêts. Quand le Parlement souhaite réserver à la CE le pouvoir de décider d’éventuelles exceptions, afin de préserver l’efficacité du futur outil.

Un clivage à dépasser

«Nous risquons de retrouver dans les négociations en trilogue la ligne de division entre les pays scandinaves, qui craignent que ce type d’instrument de défense ne réduise l’attractivité des marchés européens, et ceux qui souhaitent en faire de véritables outils de rééquilibrage vers une concurrence équitable et plus d’ouverture des marchés des pays tiers», analyse Elvire Fabry, chercheuse de l’Institut Jacques Delors.

Un clivage que la présidence française du Conseil devra s’efforcer de dépasser pour sceller un accord sur ce dossier, d’abord, mais pas seulement. Paris compte par ailleurs se démener pour obtenir un compromis entre Etats sur les propositions très ambitieuses présentées en mai dernier par la Commission afin de lutter contre la concurrence déloyale exercée au sein du marché unique par des entreprises subventionnées par des Etats étrangers, comme l’a indiqué la semaine dernière Agnès Pannier-Runacher à Bruxelles. Qualifié d’«emblématique» par la ministre déléguée française chargée de l’Industrie, le projet législatif qui cible clairement la Chine, ne s’annonce pas consensuel. Les résistances pourraient à nouveau venir des pays scandinaves, mais également des Etats bénéficiant le plus massivement d’investissements chinois, au sud et à l’est de l’UE, réticents à l’idée de froisser Pékin. «Les négociations pourraient être difficiles, au Conseil comme au Parlement», estime ainsi Marie-Pierre Vedrenne. La vision française a certes fait du chemin, mais Paris a encore fort à faire pour lui donner corps.

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