Les risques du «greenwashing» rattrapent la gestion d’actifs

L’ouverture d’une enquête sur la réalité des pratiques ESG de l’allemand DWS constitue un sérieux coup de semonce.
Alexandre Garabedian
La filiale de Deutsche Bank affirmait intégrer des critères ESG pour plus de la moitié de ses 800 milliards d’euros d’encours.
La filiale de Deutsche Bank affirmait intégrer des critères ESG pour plus de la moitié de ses 800 milliards d’euros d’encours.  -  Bloomberg

Desiree Fixler sera restée pendant quelques mois seulement responsable de l’investissement durable de DWS, avant d’être licenciée en mars 2021. Assez pour déstabiliser son ex-employeur, qu’elle accuse de mentir sur la réalité de ses placements répondants à des critères ESG (environnemental, social et de gouvernance). Saisis du dossier, la Securities and Echange Commission et des procureurs fédéraux américains ont ouvert une enquête sur la filiale de Deutsche Bank, deuxième gestionnaire d’actifs coté européen derrière le français Amundi. Le régulateur allemand, la BaFin, en aurait fait de même, selon Bloomberg.

La nouvelle a électrisé jeudi les investisseurs. L’action DWS a terminé la séance en baisse de 13,7%, à 36 euros. Un plongeon qui ne s’est pas étendu aux autres valeurs du secteur, le français Amundi finissant sur un recul de 0,6%. Mais l’affaire peut donner des sueurs froides à tous les gestionnaires d’actifs, et au-delà, à toutes les entreprises qui se proclament responsables sans s’en donner les moyens. Elle matérialise les risques de réputation liés au «greenwashing», cette propension à se dire plus vert que la réalité.

Présentation trompeuse

Dans l’industrie de l’asset management, c’est à qui se proclamera plus ESG que le voisin. Car c’est là que se concentre la croissance du marché en termes de collecte : chez DWS, ces produits ont représenté 30% des 30 milliards d’euros de flux nets enregistrés l’an dernier. Dans son rapport annuel 2020, la filiale de Deutsche Bank affirmait gérer 396 milliards d’euros d’encours intégrant des critères ESG, auxquels s’ajoutaient 94 milliards de fonds spécifiquement dédiés à ce segment, soit plus de la moitié de ses 800 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Une présentation flatteuse… et trompeuse, affirme son ancienne responsable de l’investissement durable, recrutée pour faire de DWS un leader mondial. Le groupe serait en réalité loin d’avoir les idées aussi claires sur les critères qu’il applique pour noter ou analyser les entreprises dans lesquelles il investit, selon des documents internes et des échanges de mails révélés par le Wall Street Journal.

«Nous rejetons fermement les allégations faites par [cette] ancienne employée», a réagi hier soir DWS. Le groupe «s’en tient» aux informations de son rapport annuel, et rappelle que le document fait bien le distingo entre encours ESG purs, et encours intégrant une approche ESG.

La balle est désormais dans le camp des superviseurs financiers. Ceux-ci étudient le dossier sous l’angle de l’information fournie aux investisseurs. «Pour éviter une enquête et les risques de réputation qui y sont liés, les entreprises ont besoin d’une stratégie ESG claire avec des indicateurs quantifiables et vérifiables, et doivent tester leurs communiqués et leurs rapports annuels, comme celui de DWS, avant publication», rappellent les avocats du cabinet Kilpatrick Townsend & Stockton.

Le risque de greenwashing est déjà bien présent à l’esprit des investisseurs. Ces derniers étaient 44% à le placer au premier rang de leurs préoccupations en matière d’ESG, devant le coût de ces produits (42%) et leur performance (38%), selon un sondage réalisé en mai par la société britannique de conseil en investissement Quilter.

Flou artistique

Du côté des régulateurs, l’Autorité des marchés financiers a publié dès mars 2020, pour la France, une doctrine anti-greenwashing. La BaFin lui a emboîté le pas début août en lançant une consultation. A l’échelle européenne, le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), relatif à la transparence en matière de finance durable, est entré en vigueur en mars. Un texte que beaucoup de gestionnaires d’actifs auraient souhaité voir s’appliquer après la définition de la taxonomie verte européenne. Surtout, si le règlement impose la plus grande transparence possible, il laisse à chaque asset manager le soin de définir sa méthode pour quantifier le risque «durable» d’un portefeuille. Le flou artistique demeure, qu’illustre aussi la multiplicité des labels nationaux pour l’investissement responsable.

DWS n’est pas le seul à voir ses engagements ESG remis en cause par un ex-salarié. Tariq Fancy, ancien responsable de l’investissement durable chez BlackRock, critique régulièrement la conversion tardive du numéro un mondial de la gestion aux vertus des critères extra-financiers. Il la juge avant tout motivée par des intérêts commerciaux. Dans un essai publié ce mois-ci, il va même jusqu’à qualifier l’investissement durable de «dangereux placebo» face à l’urgence climatique. Ambiance.

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