Les financiers prennent la clé des champs

La reconnexion à la nature permet aux salariés de mieux comprendre les enjeux ESG de l’entreprise. Pour les cadres, c’est aussi une façon d’appréhender le management sous un nouveau prisme.
Stéphanie Salti
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Des banques nouent des partenariats avec des ONG.  -  Adobe stock

Collaboratrice du groupe HSBC en France, Joanne garde un souvenir ému de sa participation il y a quelques années à un chantier nature en équipe, une initiative organisée par la banque en collaboration avec l’Office national des forêts (ONF). Dans le cadre de ces activités, le personnel réalise des actions concrètes de préservation des milieux forestiers, comme l’arrachage de plantes invasives ou l’entretien de milieux humides. « On m’avait assigné la tâche de réaliser une prise de mesures sur des feuilles au moyen d’une règle, se souvient-elle. L’objectif était de faire remonter des données susceptibles de servir ensuite de matériaux pour faire avancer la recherche scientifique. C’était une expérience très concrète qui m’a fait toucher du doigt à quel point une action individuelle modeste peut contribuer à une action collective d’envergure. »

« Les expériences proposées dans le cadre des chantiers nature sont des actions très utiles qui ne présentent aucun danger ni ne requièrent de compétences particulières, explique Frédérique Lecomte, directrice générale du mécénat au sein de l’ONF. Elles permettent de reconnecter les collaborateurs à la nature et de les sensibiliser à sa fragilité. C’est une forme d’éducation à l‘éco-citoyenneté. » Sommées de muscler toujours davantage leur engagement écologique, les institutions financières envoient de plus en plus leurs salariés sur le terrain, un apprentissage par l’expérience qui leur permet de bien s’identifier aux valeurs de la société dans laquelle ils travaillent. « Les entreprises recherchent de façon croissante à donner du sens à leur engagement RSE (responsabilité sociétale des entreprises, NDLR) par des actions concrètes, et si possible à proximité de leur siège ou installations dans la mesure où la notion de territoires a de l’importance dans cette démarche », poursuit Frédérique Lecomte.

La proximité géographique est l’un des éléments sur lesquels repose le partenariat noué cette année entre American Express et l’ONG Earthwatch, centrée sur l’action et l’éducation pour un environnement naturel durable. L’objectif de cette collaboration est triple : les salariés des bureaux londoniens d’Amex aident à planter une « tiny forest » de quelque 600 arbres dans le nord de la capitale britannique et participent aussi à des journées scientifiques, destinées à recueillir des données sur les espèces d’arbres, l’humidité du sol ou encore la biodiversité. Des cours magistraux sur le changement climatique complètent cette collaboration. « Ce partenariat donne à nos collaborateurs la possibilité de se réunir et d’œuvrer en faveur de l’environnement pendant leur temps de travail, indique Madge Thomas, présidente de la Fondation et directrice de la RSE du groupe American Express. Au-delà des bienfaits pour l’environnement, c’est aussi un excellent moyen de rencontrer des collègues d’autres équipes et marchés qui partagent les mêmes intérêts, ou tout simplement de se livrer à un exercice amusant de team building. »

En Espagne, le numéro deux bancaire BBVA a fait de la durabilité l’un de ses axes stratégiques majeurs. « Nous encourageons une culture d’engagement social et de valeurs partagées au sein de notre équipe, explique Berta Milicua, discipline leader spécialisée dans la culture et l’engagement au sein de BBVA, et l’une des clés de cette démarche est précisément le bénévolat d’entreprise. » Entre 2018 et le début de la pandémie, la banque a ainsi organisé sur son marché domestique 49 activités environnementales, auxquelles ont participé près de 1.350 employés et membres de leurs familles. Au programme : reboisement et entretien, nettoyage des milieux naturels, création de pompes à graines, construction de mangeoires pour oiseaux et d’hôtels à insectes... « Les salariés se montrent en général beaucoup plus réceptifs et ouverts dans ce genre d’environnement propice à la réflexion, note Maria Portes, responsable des partenariats chez Earthwatch à Oxford. Une grande majorité en retient beaucoup de bénéfices, même si, pour certains, l’expérience ne suscite pas d’émotions particulières. »

Effet miroir

La nature des formations proposées par cette ONG, qui dispose notamment d’un partenariat mondial avec HSBC, varie en fonction des publics ciblés. Pour les managers comme pour les dirigeants, l’expérience peut dépasser la simple observation et collecte de données. « Les changements auxquels sont actuellement confrontées les entreprises reflètent les processus en vigueur dans la nature », poursuit Maria Pontes. Au travers de la société Natwork qu’ils ont cofondée, Julien Marcel et Marion Rouzeaud poussent le concept encore plus loin. Diplômés de l’executive MBA d’ESCP Business School, ces deux professionnels ont entrepris d’expérimenter des parallèles entre l’écosystème naturel et l’écosystème d’entreprise en transposant au management la vision à long terme de la permaculture. Autrement dit, cette conception de l’agriculture durable fondée sur l’observation des écosystèmes et des cycles naturels. « On travaille toujours sur un effet miroir, explique Julien Marcel. Les personnes doivent nécessairement mettre les mains dans la terre, un préalable essentiel à la reconnexion avec le vivant avant d’entreprendre toute construction manageriale. » L’entreprise, qui accompagne actuellement des universités, des start-up, ainsi que des sociétés d’ingénierie et de conseils, part d’un postulat. « La nature nous sert de validation de concept, selon Julien Marcel. Si un écosystème naturel fonctionne, un écosystème business pourra également prospérer à la condition de bien le concevoir et l’entretenir. »

La nature semble avoir de plus en plus sa place dans les schémas de formation. « Il faut se lancer dans des schémas coopératifs plus larges dans lesquels la formation doit s’appréhender au travers de toutes les formes d’apprentissage, aussi bien pratiques que cérébrales », résume Anne Frisch, directrice académique à HEC Paris. Tous les ans, l’école de commerce emmène ses étudiants en stage d’intégration à Chamonix pour explorer les glaciers. « Il est important de rendre les choses visibles et concrètes », ajoute-t-elle. D’autant que l’engagement des jeunes à la cause environnementale pèse lourd dans les décisions de carrières professionnelles. « La génération des 20-25 ans n’ira pas travailler dans des entreprises ou des banques dont les valeurs ne leur correspondent pas », conclut Anne Frisch.

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