«La régulation MIF2 est marquée par un état d’esprit vieux de cinq ou six ans»

Selon Stéphane Giordano, la méthode de travail et le rythme des législateurs et régulateurs ne sont pas adaptés à la réalité économique
Solenn Poullennec

Alors que la Commission européenne a refermé la semaine dernière la consultation lancée sur son nouveau chantier de régulation financière, l’Union des marchés de capitaux, Stéphane Giordano, président de l’Association française des marchés financiers (Amafi), tire les leçons du processus d’adoption de la dernière réforme européenne des marchés, MIF2. Censée garantir une meilleure transparence sur les marchés, la réforme, présentée en 2011, a été adoptée l’année dernière. Sa mise en œuvre est en train d’être déclinée par les autorités européennes, avant une entrée en vigueur en 2017.

L’Agefi: Vous vous félicitez du lancement de l’Union des marchés de capitaux mais vous déplorez, dans votre réponse à la Commission, la lenteur du processus législatif européen. Pourquoi?

Stéphane Giordano: Le mécanisme législatif européen se traduit par un «effet retard» dont MIF2 a été la parfaite illustration. On se retrouve aujourd’hui avec des textes qui sont marqués par un état d’esprit qui prévalait il y a cinq ou six ans ; or, la réalité économique évolue plus vite que cela. MIF a une vision plutôt punitive des marchés financiers et contient des mesures qui pénalisent les apporteurs de liquidité, comme certaines obligations de permanence de cotation pour les market makers. Aujourd’hui, avec l’Union des marchés de capitaux, on est dans une autre vision, fondée sur un partage du risque parmi les intervenants financiers, ce qui suppose davantage de flexibilité dans les marchés financiers, et ne peut fonctionner qu’avec une contribution importante des market makers.

Autre exemple, dans l’Union des marchés de capitaux, il est dit que la recherche est nécessaire au financement des petites et moyennes entreprises. Or, MIF2 considère la recherche comme un «avantage», et les mesures proposées en conséquence sont de nature à réduire fortement l’offre en la matière, au détriment de la couverture des petites et moyennes entreprises.

Quels aspects du processus législatif pourraient être améliorés?

On peut considérer que le propre d’un mécanisme législatif est d’être long, mais le vrai problème, c’est que ce temps long est associé à un effet irrémédiable, même lorsque des dispositions s’avèrent inadaptées ou contre-productives. Par exemple, dans le cadre de MIF2, les législateurs ont instauré un double plafond pour forcer la transparence pré-trade sur les actions. Diminuer la part du «dark trading» sur les actions peut être un objectif légitime, mais le mécanisme qui est proposé n’est pas le bon, comme l’a d’ailleurs reconnu récemment le député européen et rapporteur du texte, Markus Ferber. Malheureusement, comme ce dispositif est fixé «en niveau 1», on ne peut pas revenir dessus, sauf à le faire par un autre texte législatif, de maturation également longue. Il faudrait disposer de processus permettant de revenir sur un texte inadapté, ou du moins d’en suspendre l’application le temps d’en déterminer l’effet réel. Aux Etats-Unis, quand une règle s’avère inadaptée, il y a une flexibilité qui est offerte par les «no-actions letters», édictées par le régulateur, et qui permettent de différer l’application du texte incriminé. En outre, certaines notions utilisées par différentes réglementations devraient être définies de manière transversale, plutôt que de manière ad hoc, et finalement contradictoire, par chaque nouveau texte.

Comment améliorer l’écriture et la mise en œuvre technique des législations?

Instaurer des «no-action letters» n’est pas forcément faisable en droit européen. En revanche, il y a des choses très simples, comme de prévoir qu’une réglementation ne s’applique pas en bloc mais par lots dans la durée. Le fait que des pans de régulations s’appliquent en bloc fait que le dialogue entre l’industrie et les régulateurs se dégrade au fur et à mesure que l’échéance d’application approche. Il faudrait aussi systématiser des analyses d’impact beaucoup plus détaillées, en amont et en aval de la mise en œuvre des textes, et dont les conclusions soient réellement prises en compte. Par exemple, on va devoir appliquer en janvier 2017 de nouveaux pas de cotation aux marchés actions, sans avoir mesuré l’impact de cette mesure à un niveau autre que théorique. Aux Etats-Unis, les régulateurs et les opérateurs de marché estiment qu’il y a un certain nombre de sujets sur les pas de cotation et ils ont lancé un programme pilote. Il faudrait que le processus européen gagne en pragmatisme.

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