
John Cryan doit résoudre la quadrature du cercle chez Deutsche Bank
John Cryan, le futur directeur général de Deutsche Bank, est précédé d’une réputation flatteuse pour avoir contribué à la première phase du redressement d’UBS, dont il était directeur financier entre 2008 et 2011. Une partition tout aussi compliquée l’attend chez la banque allemande, où il remplacera Anshu Jain le 1er juillet, et où il cohabitera avec Jürgen Fitschen pendant un an.
L’action Deutsche Bank, qui a pris plus de 8% en séance en réaction à sa nomination, traitait avant cette annonce à 0,6 fois l’actif net comptable estimé pour 2016 et affichait sur 2015 une sous-performance de 3,5 points par rapport à l’indice sectoriel Euro Stoxx. Un retard qui reflète tout à la fois la faible rentabilité de la banque, estimée sous les 10% en 2017, un niveau de fonds propres jugé limite, des risques juridiques toujours élevés, et une stratégie moins convaincante que celle d’autres grands concurrents.
L’arrivée de John Cryan annonce-t-elle un revirement stratégique, alors que le plan 2020 présenté fin avril par le tandem Jain/Fitschen a déçu? Certains en doutent. «Il y a hélas des raisons d’être sceptique dans la mesure où le nouveau CEO n’apporte pas de sang neuf (à l’instar de Mr Thiam à la tête de Credit Suisse) et où Jürgen Fitschen restera en partie aux commandes du navire pendant près d’un an», estimaient même les analystes de Natixis. John Cryan est membre du conseil de surveillance qui a approuvé ce plan.
Le nouveau patron se heurtera surtout au même dilemme que ses prédécesseurs. Deutsche Bank apparaît aujourd’hui comme la dernière banque de financement et d’investissement (BFI) européenne d’envergure mondiale. Certains lui ont conseillé de se muer en Goldman Sachs européen, en se retirant de ses activités de détail. Mais à la différence de sa concurrente américaine, «Deutsche Bank utilise deux fois plus de bilan pour extraire la même unité de profit», note Huw Van Steenis, chez Morgan Stanley. «C’est la priorité à régler compte tenu du fait que Deutsche Bank présente un ratio de levier inférieur à celui de ses concurrents», ajoute l’analyste. Pour ses homologues de Credit Suisse, «la faible rentabilité de corporate banking & securities (les activités de marché, ndlr) est le plus grand défi du groupe, d’autant plus avec un ratio de levier à 5%», l’objectif que Deutsche Bank s’est fixé à horizon 2020, contre 3,4% aujourd’hui.
Or, sur le double front de la rentabilité et de la capitalisation de la BFI, les perspectives restent maussades à court terme. D’autres litiges s’annoncent, sur les titrisations immobilières aux Etats-Unis et le respect des règles d’embargo américain. La révision des modèles de calcul des actifs pondérés du risque (RWA) par les régulateurs pourrait aussi faire gonfler les besoins du groupe.
L’autre option consisterait à tailler dans la banque d’investissement, comme UBS l’a fait dès 2012. Deutsche Bank s’y est refusée en avril, et pour cause: elle ne dispose pas aujourd’hui d’un relais de croissance et de rentabilité de premier plan, tel que la gestion de fortune des banques suisses ou l’activité retail et cartes de crédit de Barclays au Royaume-Uni. Très concurrentiel, le marché allemand des particuliers est dominé par les caisses d’épargne et les banques régionales. Deutsche Bank a même décidé en avril de se séparer de Postbank au prix d’une moins-value. «Un rétrécissement de la banque d’investissement serait bénéfique en termes de capital, mais pourrait coûter très cher sur les 12 à 24 prochains mois, sans améliorer la rentabilité du groupe», souligne Amit Goel, chez Exane BNP Paribas.
En avril, le conseil de surveillance de Deutsche Bank avait donc exclu ces deux options radicales. A défaut de grand soir stratégique, John Cryan pourrait être d’abord jugé sur sa capacité à réduire les coûts. «Deutsche Bank a raté ses objectifs précédents et a échoué à améliorer l’efficacité de son réseau en Allemagne avec des coefficients d’exploitation de 80%», rappelle Huw Van Steenis. L’analyste de Morgan Stanley attend aussi des avancées sur la liquidation de la banque «non-core», cette structure de défaisance interne qui cumulait 46 milliards d’euros d’encours en RWA à fin mars et a perdu 2,9 milliards avant impôt en 2014. «Les actifs non-core pèsent 11% des RWA du groupe, mais leur impact sur le RoE reste obstinément élevé», note-t-il, et avec un niveau de risque supérieur à celui de ses concurrents.
Sur ces deux points, John Cryan peut faire valoir son expérience chez UBS. La publication des résultats semestriels du groupe, le 30 juillet, sera l’occasion pour lui de détailler les économies de 3,5 milliards d’euros promises fin avril aux investisseurs.
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