FORMATIONS ESG - Des cursus nommés désir

Les formations dédiées à la finance responsable sont rares. De fait, le vivier de talents reste modeste alors que les besoins de recrutement dans ces métiers augmentent.
Soraya Haquani
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A quelques mois de l’obtention de son diplôme, Constance Caillet est confiante pour son entrée dans la vie active. A 24 ans, l’étudiante du MSc Finance responsable de Kedge Business School (BS) se prépare à effectuer prochainement un stage de six mois au sein d’une banque d’investissement, en origination et structuration sur les « green bonds ». « Après une licence et un master 1 en droit public, je me suis intéressée au droit de l’environnement, raconte la jeune femme. Face aux enjeux environnementaux et sociaux, il faut des leviers d’action et j’ai eu envie de rejoindre cette formation car je voulais moi aussi participer à la transition écologique et économique. Grâce à ce diplôme – et je l’ai déjà constaté en entretien –, je démontre à la fois mon engagement sur ces sujets et mon expertise. » Constance Caillet incarne bien cette génération de jeunes financiers qui souhaitent embrasser une carrière dans la finance en accord avec leurs convictions sur les thèmes liés à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Mais si les formations « vertes » se sont accrues ces dernières années dans le paysage de l’enseignement supérieur en France, les cursus consacrés en partie ou en totalité à la finance responsable restent rares. « Les sujets de finance durable sont encore bien éloignés des contenus pédagogiques dans les formations en finance au sein des écoles de management et des universités. On voit des ‘touches’ de cours mais pas encore ou très peu de formations entièrement dédiées à ce sujet », déplore Christophe Revelli, directeur du MSc Finance responsable de Kedge BS et titulaire de la chaire Candriam/Kedge « Finance Reconsidered : Addressing Sustainable Economic Development ». Cette formation plutôt récente (elle existe depuis quatre ans) propose 450 heures de cours de fondamentaux économiques et financiers, « mais également des contenus sur la régulation financière, les politiques monétaires vertes, les décisions d’investissement responsables, l’analyse des risques ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, NDLR), la mesure d’impact social..., énumère son directeur. Depuis un an, les cours sont dispensés sur notre campus parisien car l’écosystème dans ce domaine est principalement situé à Paris ». De 25 à 30 étudiants sont formés chaque année, en anglais. « Nous avons un tiers d’étudiants internationaux. L’an prochain, ils devraient constituer la moitié de la promotion », précise Christophe Revelli.

Le besoin de changement dans les formations classiques en finance afin d’intégrer les thématiques de la RSE et de l’investissement socialement responsable (ISR) s’exprime aussi chez les professionnels de ces métiers. « Lorsque j’ai été diplômée de l’Insa Rouen en 2008, se souvient Anne-Claire Imperiale, coresponsable de la recherche ESG chez Sycomore Asset Management (AM), il y avait très peu de cours sur le développement durable dans les écoles et les universités. En ce qui me concerne, je ressentais le besoin de me sentir utile et je recherchais un alignement dans ma vie professionnelle avec mes convictions. » Cette professionnelle a d’abord forgé son expérience en tant que consultante spécialisée dans le développement durable, avant de rejoindre Sycomore AM en 2017 comme analyste ESG senior. « On pourrait envisager que les masters en finance s’adaptent à cette nouvelle donne et qu’ils intègrent, par exemple dans les cours sur l’évaluation de la valorisation d’une entreprise, la façon dont on prend en compte les risques environnementaux et sociaux, déclare l’experte qui travaille aux côtés de six autres professionnels de l’ESG chez Sycomore AM. D’ailleurs, on voit que les enjeux ESG sont de plus en plus intégrés dans la finance ‘mainstream’. » « Aujourd’hui, la cloison se rétrécit entre la gestion financière et non financière. Cela s’explique par l’intégration rapide de l’ESG à la finance traditionnelle », abonde Vincent Compiègne, directeur adjoint de la recherche ESG chez Candriam. Lui aussi s’est rapidement orienté vers la « finance verte » après une formation universitaire en économie et finance. « Il n’y avait même pas de cours d’introduction à l’ESG dans ma formation, se rappelle-t-il. Mais j’avais déjà cette fibre ESG et j’ai très vite orienté ma carrière vers des postes liés à ce domaine. J’ai tout fait pour aller dans cette voie. »

Prise de conscience

S’il se réjouit de l’engouement des jeunes diplômés pour son métier, ce professionnel relève un manque dans les contenus pédagogiques en finance. « On voit maintenant des profils issus de cursus ESG. Si cette prise de conscience s’inscrit peu à peu dans les cursus scolaires traditionnels, il y a très peu de formations qui traitent de l’ESG sur toute la chaîne de valeur. Je donne 15 heures de cours sur l’ESG à l’Edhec. C’est bien mais il faudrait aller encore plus loin, défend-t-il. Je sens de la curiosité et une forte sensibilité chez les étudiants. Mais le besoin d’éducation pour démontrer que l’ESG ne détruit pas de la valeur reste nécessaire et il y a des ordres de grandeur que les étudiants n’ont pas toujours en tête. Dans les formations sur ces sujets, au-delà de la finance verte, il faut aussi enseigner de la physique afin que les élèves aient une vision concrète et matérielle des choses. En amont de l’intégration des critères environnementaux dans la gestion financière, il me semble important d’aborder sous l’aspect physique : ‘qu’est-ce que l’énergie ?’ » Pour Amaury Eloy, directeur des ressources humaines (DRH) chez Sycomore AM, le temps est venu pour l’enseignement supérieur de s’adapter aux jeunes diplômés qui veulent désormais suivre des formations qui intègrent les enjeux de leur époque. « Aucune école ne peut aujourd’hui se passer d’initier les élèves aux enjeux ESG car la jeune génération est en quête de sens », affirme le DRH qui est aussi soucieux de former en interne ses 65 salariés. « Nous souhaitons développer l’employabilité de nos collaborateurs en interne et à l’extérieur, dit-il. Car notre vision du gérant de demain est hybride : il sera à la fois un expert de l’analyse financière et de l’analyse extra-financière. A terme, nous voulons atteindre ce modèle. »

La nécessité de former davantage de professionnels de la finance responsable se fait d’autant plus sentir à l’heure où les besoins en recrutement s’accroissent dans les institutions financières. « Depuis deux ans, la Place de Paris a besoin de recruter, observe Anne-Claire Imperiale. Historiquement, les profils venaient de l’analyse financière classique. Désormais, on a besoin d’une réelle expertise. Les sociétés de gestion se rendent compte qu’avoir des experts ESG de qualité est un gage de différenciation. Il est important d’avoir les bons experts, ceux qui auront notamment la bonne démarche de dialogue avec les entreprises. » Chez Candriam où officient 14 professionnels de l’ESG, des embauches sont programmées. « Nous avons des postes d’analystes ESG à pourvoir à Paris et à Bruxelles », confie Vincent Compiègne. Signal positif qui ne devrait qu’accentuer l’intérêt des candidats pour les métiers de la finance verte : les rémunérations ont été revalorisées dans ce domaine. « Une grande partie des encours sont gérés avec des critères ESG (plus d’un tiers de nos encours chez Candriam, soit 43 milliards d’euros) et la demande pour les experts ESG est forte donc les rémunérations tendent plutôt à progresser », explique le directeur adjoint de la recherche ESG du gestionnaire d’actifs.

« Quand nous avons lancé notre MSc Finance responsable, les étudiants étaient intéressés mais ils ne décelaient pas l’employabilité derrière ce diplôme. Aujourd’hui, ils ont de la visibilité sur le marché du recrutement, indique de son côté Christophe Revelli. Nous avons en effet un grand réseau d’entreprises partenaires (Candriam – qui est notre partenaire principal via notre chaire de recherche consacrée à la finance durable lancée en octobre 2019 – mais également Sycomore AM, Mirova, La Financière Responsable, Axa IM, Novethic, Natixis, ainsi que des investisseurs institutionnels tels que la Caisse des dépôts ou des cabinets de conseil spécialisés). Il y a de plus en plus d’opportunités professionnelles car les sociétés d’asset management, les fonds d’investissement et les investisseurs institutionnels doivent se conformer à une nouvelle réglementation sur les risques climat et ESG et ont besoin de profils formés à ces sujets. »

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