Chypre doit choisir son avenir entre zone euro et Russie

La BCE, qui maintient les banques sous perfusion, a laissé quelques jours de plus à l'île pour négocier un nouveau sauvetage avec ses partenaires
Alexandre Garabedian

Chypre parviendra-t-elle à rester un paradis fiscal pour les intérêts russes, tout en jouissant de la protection de la zone euro? C’est tout l’enjeu des négociations en cours après le rejet, le 19 mars, par le parlement chypriote, du plan de sauvetage de l’île. Celui-ci prévoyait notamment un prélèvement sur les dépôts censé rapporter 5,8 milliards d’euros sur les 17 milliards dont le pays a besoin. A ce stade, Nicosie a trois options: renégocier les termes de son sauvetage avec ses partenaires européens, se vendre aux Russes, ou pousser le bras de fer jusqu’à sortir de la zone euro.

L’île doit toujours dégager ces 5,8 milliards, qui conditionnent le versement par l’Union européenne et le FMI d’une aide de 10 milliards d’euros. Le gouvernement aurait proposé de nationaliser les fonds de pension du pays pour dégager 4,2 milliards, sans convaincre ses bailleurs de fonds. Il aurait aussi mis sur la table, selon le Wall Street Journal, la création d’une structure de défaisance pour ses deux principaux prêteurs, Laiki et Bank of Cyprus. Leurs actifs sains seraient fusionnés en une seule entité et pourraient être vendus au prêteur russe VTB. Deux projets de loi, l’un sur la résolution des banques, l’autre instituant des contrôles de capitaux pour éviter des retraits massifs, pourraient être soumis au parlement. Là encore, l’UE et le FMI se seraient montrés sceptiques faute de détails sur la prise en charge du coût de la «bad bank». Autre piste étudiée: une émission obligataire de 1,5 à 2 milliards, placée auprès des particuliers chypriotes, et garantie par les futurs revenus gaziers de l'île.

La Troïka insiste sur la nécessité de faire payer les banques, dont l’hypertrophie (730% du PIB) a conduit le pays dans l’impasse. «Le business model de Chypre n’est plus tenable et doit être restructuré», souligne le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble.

Les Européens, Berlin en tête, prônent encore un prélèvement sur les avoirs non garantis, supérieurs à 100.000 euros. Cela signerait sans doute la fin de Chypre comme centre bancaire offshore pour la Russie. La ponction pourrait cependant se révéler moins douloureuse qu’il n’y paraît. «Les banques chypriotes rémunèrent leurs comptes entre 2% et 8%, ce qui les a conduites à acheter de la dette grecque pour tenir cette promesse de rendement», rappelle Jean-Louis Mourier, chez Aurel BGC. Sur les comptes à terme à 1 an, l’intérêt moyen est de 4,5%, le plus haut de la zone euro. Un prélèvement à 9,9%, tel qu’il était prévu à l’origine, efface donc deux ans d’intérêts.

En cas de ponction, le poids des comptes à terme et l’impossibilité pour les évadés fiscaux russes de rapatrier cette épargne mitigeraient les craintes de retraits massifs lorsque les banques chypriotes, toujours fermées, rouvriront leurs portes. «Les dépôts pourraient se révéler plus stables que ce qui est attendu en théorie», estime Laurent Fransolet, stratégiste chez Barclays.

L’avenir de l’île se joue aussi à Moscou, où se trouve le ministre des Finances chypriote, Michael Sarris. Ce dernier négocie une extension de 5 ans du prêt de 2,5 milliards d’euros accordé par la Russie jusqu’en 2016. Il tente également d’obtenir une rallonge de 5 milliards. Mais aucun accord n’avait encore été trouvé hier.

La solution russe pose plusieurs problèmes. Un prêt direct à Nicosie ferait gonfler la dette publique, qui, à 15,5 milliards d’euros, atteint déjà 90% du PIB. L’idée d’une assistance, comptabilisée en revenus exceptionnels, a donc été évoquée: elle serait apportée par Gazprombank afin que Gazprom ait un droit d’exploitation des champs gaziers découverts au large de l’île, qui commenceront au mieux à produire en 2019.

Des raisons géopolitiques rendent compliquées un soutien russe. L’Union européenne ne peut laisser Chypre se jeter dans les bras de Moscou et continuer à tolérer cette place bancaire offshore au sein de la zone euro. Difficile aussi d’imaginer que l’UE laisse la Russie mettre la main sur l’une de ses sources futures d’énergie, ou que l’Otan accepte l’installation d’une base navale russe dans le pays. De son côté, le Kremlin peut avoir intérêt à laisser pourrir la situation. «La Russie pourra décrocher un meilleur deal plus tard, estime Alex White, chez JPMorgan. Si Chypre finit par faire défaut et quitte la zone euro, sa dépendance à l’égard de la Russie s’accroîtra de façon spectaculaire».

Reste l’option la plus radicale, aux mains de la BCE. Les titres d’Etat chypriote n’étant plus éligibles depuis juin au refinancement banque centrale, le système survit grâce à la ligne de liquidité d’urgence (ELA) de la Banque de Chypre. Mais cette ligne ne doit être accordée qu’aux banques foncièrement solvables, ce qui n’est plus le cas des prêteurs chypriotes. Elle dépend en dernier ressort du bon vouloir de la BCE. Celle-ci peut, à la majorité des deux tiers du conseil des gouverneurs, suspendre l’ELA. La suite logique consisterait en un «bank run», des mesures de contrôle des capitaux et une sortie de la zone euro.

Après le vote du parlement, la BCE a renouvelé son engagement à fournir de la liquidité «dans le cadre des règles existantes». Et elle aurait repoussé son vote sur un maintien ou non de l’ELA au moins jusqu’au 25 mars, sachant que les banques chypriotes resteront fermées d’ici là. Cela laisse 5 jours à Nicosie et à ses partenaires européens pour redéfinir les termes de leur accord. Un scénario qui reste privilégié par des marchés d’un calme olympien.

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