
PRIVATE EQUITY - Co-investissement, un privilège non exclusif

Le co-investissement, qui permet aux investisseurs (LP, limited partners) de prendre une part minoritaire aux côtés du fonds (GP, general partner) dans une opération de private equity, est aujourd’hui une pratique établie. « L’ensemble des fonds l’intègrent dans leurs réflexions. Une vraie pratique de marché se dégage. Les équipes se sont beaucoup professionnalisées et sont parfaitement organisées pour présenter et mettre à la disposition des LP l’ensemble des informations nécessaires sur le ‘deal’ proposé », témoigne Nathalie Duguay, associée chez Willkie Farr & Gallagher LLP. « Le co-investissement est une pratique qui se généralise tant du côté de l’offre que de la demande. Cela permet au LP de mieux connaître le GP avec lequel il co-investit. Pour le GP, le co-investissement, qui a pu par le passé être perçu comme une contrainte, représente finalement un bon moyen d’éviter de faire un ‘club deal’ avec un concurrent », perçoit Alexandre Motte, responsable de l’activité co-investissement chez Ardian. « Nous invitons de plus en plus souvent nos LP à co-investir. Cela peut être lié au fait qu’un ‘deal’ est trop important pour nous, mais il s’agit la plupart du temps de satisfaire la demande de nos investisseurs », enchaîne Benjamin Arm, associé gérant chez Omnes. Parmi les récentes opérations emblématiques, un consortium emmené par le fonds EQT et composé de plusieurs investisseurs institutionnels a mis la main cet été sur Nestlé Skin Health pour 10,2 milliards de francs suisses (9,5 milliards d’euros).
Cette pratique, croissante, est difficilement quantifiable. « Le monde du co-investissement reste confidentiel », atteste Xavier Comaills, associé chez Clifford Chance. L’agent de placement Triago a globalement estimé le « shadow capital », regroupant co-investissement, investissements directs des LP et mandats confiés aux GP, à 201 milliards de dollars (180 milliards d’euros) en 2019, contre 24 milliards en 2010. Un montant significatif sur une base absolue comme relative, les souscriptions dans les levées de fonds classiques de private equity ayant avoisiné les 530 milliards de dollars l’an passé.
Sélection
La priorité de co-investir est donnée aux clients du fonds, qui ont exprimé leur souhait d’être sollicités lorsque le GP a une opération à proposer. « Une part croissante, avoisinant les 80 % de nos LP, est demandeuse. Les plus friands sont les fonds de fonds, qui disposent d’équipes de gestion déjà significatives et établies, et les ‘family offices’, pour qui il s’agit d’une stratégie de diversification », explique Benjamin Arm. L’allocation se calcule le plus souvent sur la base du montant investi par le LP dans le fonds principal.
Face à la demande croissante, l’exercice de sélection des LP sur une opération donnée n’est pas toujours aisé. « De plus en plus de GP disposent désormais d’une personne dédiée au co-investissement, en charge de comprendre les critères privilégiés de leurs LP », explique Alexandre Motte, ajoutant que l’objectif est également de favoriser les investisseurs les plus aptes à aider la société cible dans l’avenir. « Il n’y a aucun engagement ferme de la part du GP. Les investissements sont effectués au gré des opportunités. Le GP sélectionnera les LP capables de réagir vite dans l’exécution et ceux avec lesquels il entretient des relations commerciales fortes. Cela reste globalement très intuitu personae », enchaîne Xavier Comaills. « Le LP doit pouvoir se prononcer et mobiliser ses capitaux en deux à trois semaines si la syndication se fait pré-opération, un peu plus si elle intervient post-opération », appuie Benjamin Arm.
Pour chaque co-investissement, un fonds dédié à agréger les investissements des différents LP est le plus souvent créé en parallèle et géré par le GP, pour qui il est important de garder le contrôle. « Les GP ont leur propre mode opératoire, afin de rester libres dans la façon de gérer l’investissement », explique Nathalie Duguay. On observe également, surtout dans les pays anglo-saxons, des fonds structurés très en amont. « Ces véhicules de co-investissement sont établis dès la levée du fonds principal, et non pour une opération spécifique, et établissent dès le début l’ensemble des conditions (engagement du LP, ‘fees’…), ce qui permet une plus grande réactivité », développe Nathalie Duguay, précisant que le LP conserve son libre arbitre, pouvant décider d’investir ou non pour chaque opération proposée.
En termes de rémunération, les conditions peuvent se révéler très différentes en fonction des actifs et de l’appétit des LP. « Sur une petite opération, nous pouvons faire entrer un LP en direct, en ne lui appliquant aucun frais, mais en conservant ses droits de vote », illustre Benjamin Arm. Plus globalement, selon le professionnel, les frais varient le plus souvent entre 0 et une combinaison : 1 % de frais de gestion / 10 % de carried interest (contre un standard de 2 %-20 % pour un investissement classique).
Co-investir n’est pas sans risque. « Faire du co-investissement est plus risqué que d’investir dans un fonds classique. En cas de retournement, le LP peut perdre l’intégralité de son exposition en direct sur une société », rappelle Alexandre Motte, ajoutant qu’il existe également un risque d’image, que le LP doit savoir gérer. Ce risque d’image est également problématique pour le GP, risquant d’affecter ses futures levées de fonds. « Nous nous montrons particulièrement vigilants sur la qualité de l’actif proposé, et privilégions les profils de risque peu élevés », répond Benjamin Arm. Selon le professionnel, il convient par ailleurs de s’assurer de la capacité d’exécution du LP, car si beaucoup déclarent vouloir co-investir au moment de la levée de fonds, seuls quelque 20 % d’entre eux passeront à l’acte, faute de temps ou de mobilisation d’équipe suffisante (voir le graphique).
La vigilance s’impose par ailleurs sur les problématiques d’alignements d’intérêt, le co-investissement pouvant induire une surexposition d’un LP à un actif du fonds. « Si un fonds a de piètres performances globales par exemple, l’équipe de gestion pourra être tentée de se concentrer sur les bons actifs, qui ne sont pas forcément ceux dans lesquels le LP a co-investi », développe Benjamin Arm. Pour éviter cet écueil, Omnes limite ainsi les montants de co-investissement de chaque LP, ceux-ci ne pouvant par exemple pas dépasser 50 % des capitaux apportés au fonds principal.
Autant de précautions à prendre en compte, dans un monde du private equity aujourd’hui à des sommets (lire l’entretien).


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