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Pour un débat démocratique sur l’euro numérique

Le Conseil des Gouverneurs de la BCE a décidé le 18 octobre dernier de passer à la phase dite de «préparation» du projet de lancement de «l’euro numérique», conforté par la proposition de règlement publiée le 28 juin par la Commission européenne qui laisserait, s’il était adopté en l’état, une très grande marge de manœuvre à la BCE et par la position de l’Eurogroupe, favorable à cette nouvelle émission, mais souhaitant garder la main sur les questions d’émission de nouvelles monnaies, et recherchant le consensus avec les acteurs du marché, et ceci malgré de nombreuses questions en suspens des Parlementaires européens et les réticences de la plupart des banques européennes.
Initialement conçu comme moyen de réponse aux Global Stablecoins (GSC), l’opportunité de ce projet soulève débat, car le contexte a changé et le débat mondial sur l’intérêt des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) prend de l’ampleur, malgré le nombre important de projets, avec des positions très contrastées en Europe et au plan mondial.
Les travaux actuels conduiraient à un nouvel instrument de paiement de détail à règlement immédiat, comme toute monnaie fiduciaire ou électronique, et comme le paiement instantané, mais exigeant le règlement central immédiat sur les seuls ordinateurs de la BCE. Ils conduiraient à une centralisation de la gestion des positions de comptes en euro numérique de particuliers et des entreprises à la BCE, pour toute la zone euro. Et ils laisseraient aux banques et autres PSP la distribution de l’euro numérique aux utilisateurs finaux, surtout le contrôle du KYC, et les éventuels services à valeur ajoutée. Et, in fine, conduiraient à empiéter inéluctablement sur les activités bancaires de paiement. Ce projet est dès lors perçu par les banques comme une menace.
A ce stade, rien n’a démontré que cela est justifié financièrement, ni techniquement, même pour la lutte contre la fraude ou le contrôle des montants des avoirs, en tout cas pas en temps réel, d’autant que les transactions off line pourraient échapper à cette centralisation.
La proposition de règlement de la Commission européenne
La proposition de règlement de la Commission européenne, axée exclusivement sur l’émission d’un euro numérique central de détail, laisserait carte blanche à la BCE, y compris le montant des avoirs de chacun, mais en limitant ses décisions sur quelques sujets sensibles électoralement, comme la confidentialité des données et le seuil des transactions off line, voire sur les conditions tarifaires des services de paiement autour de l’euro numérique. Et à la veille des élections européennes, elle laisse à la BCE la responsabilité de la plupart des choix, y compris du lancement ou non de l’euro numérique ou du montant des avoirs…. Ou aux deux autres colégislateurs (Conseil et Parlement européen) celle de la modification éventuelle de son projet.
Mais la donne est en train de changer. A la fois du côté des colégislateurs et du côté de la BCE. Du côté des colégislateurs, bien que soutien aux travaux de la BCE et favorable à la perspective d’émission d’un euro numérique, l’Eurogroupe cherche une position commune. Comme il l’avait noté en juin dernier, il manque «un discours clair et convaincant sur ce que serait la valeur ajoutée de cette évolution et sur les effets réels qu’elle aurait sur la vie des citoyens européens et sur l’activité commerciale des entreprises au sein de l’Union européenne». En d’autres termes, il n’est pas acquis que l’euro numérique répondrait à un «use case» de paiement nouveau, ou apporterait un progrès technologique (notamment en l’absence de recours aux blockchains), et conduirait à un progrès de l’intégration du marché européen des paiements de détail, sauf sous l’égide de la BCE, ou à une dynamique économique en ce domaine, malgré les promesses initiales. Et que les utilisateurs en comprendront l’intérêt. De plus, pour les Etats européens, dont la France, la monnaie n’est pas un sujet de banque centrale, mais un sujet d’Etat, et les Etats européens souhaiteraient reprendre la main sur de nombreuses questions. Il est donc probable que de ce côté, le projet de la Commission Européenne sera profondément remanié.
Inquiétudes
Du côté des parlementaires européens, la donne est similaire, et il faut lire le rapport publié au printemps dernier par la Commission Econ du Parlement européen, au titre évocateur : «Digital Euro : When in doubt, abstain (but be prepared)». D’autant que, lors des séances de questions-réponses avec les représentants de la BCE, Christine Lagarde comme Fabio Panetta, le Comité des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen a fait part de ses inquiétudes concernant l’euro numérique, notamment sur les coûts pour les banques et sur les avantages incertains pour les citoyens de l’Union européenne. «A lot of critical questions were posed (…) and they remained unanswered”. Et déjà, dans divers pays européens, les contestations grondent sur les questions de confidentialité ou d’intérêt ou de coût de cette nouvelle émission monétaire.
Dès lors, du côté de la BCE, l’émission d’une monnaie numérique dite de gros est à l’étude, et diverses expérimentations vont être lancées, avec plusieurs scénarios, mais cette émission d’une MNBC de gros n’est plus exclue, sans être rapprochée, à ce stade, du projet d’euro numérique de détail. Sur l’euro numérique de détail, des expérimentations complémentaires et la construction d’un site pilote ont été lancées. De plus, la BCE affiche une expectative prudente face aux éventuelles décisions des colégislateurs européens. Pour se prémunir et développer un lobbying en ce domaine, la BCE a émis son opinion sur les propositions de règlement de la Commission européenne dans un imposant document. Elle a aussi créé une «Maison de l’euro» à Bruxelles, pour «intensifier le dialogue avec les décideurs», et poursuit ses travaux expérimentaux, en attendant l’adoption, probablement au printemps 2025, du projet de règlement européen.
Désormais, en vue de l’adoption du projet de règlement, l’heure est à la recherche de voies acceptables par tous, voire de consensus. Car seul un mouvement d’ensemble convergent des acteurs publics et privés européens permettrait de créer une dynamique de marché, pour donner plus de chance de succès à l’euro numérique, et garantir la souveraineté européenne.
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Sydney - Un «grand requin» a tué un surfeur samedi sur une plage populaire de Sydney, a annoncé la police, une attaque mortelle rare qui a entraîné la fermeture de plusieurs plages en Australie. La victime, un habitant de 57 ans, surfait avec cinq ou six amis dans les eaux du Pacifique, au large des plages voisines de Long Reef et Dee Why, au nord de Sydney, ont précisé les autorités. Ce surfeur expérimenté, marié et père d’une jeune fille, a perdu «plusieurs membres», a déclaré le responsable de la police de l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud, John Duncan, lors d’une conférence de presse. «D’après ce que je comprends, lui et sa planche ont disparu sous l’eau», a-t-il ajouté. «Le corps a été retrouvé flottant dans les vagues» et «la planche du surfeur a été brisée en deux». Deux surfeurs l’ont aperçu dans l’eau et l’ont ramené à terre. «Malheureusement, à ce moment-là, il avait déjà perdu énormément de sang, et les tentatives de réanimation ont échoué», a poursuivi M. Duncan. Des témoins ont vu le squale, a indiqué la police, qui avait évoqué auparavant un «grand requin». Des experts gouvernementaux examineront les restes de la planche et le corps de la victime afin de déterminer l’espèce du requin, a indiqué la police. La plupart des morsures graves en Australie proviennent de grands requins blancs, de requins-bouledogues et de requins-tigres. Des images diffusées par les médias locaux montraient des policiers rassemblés sur le rivage et des ambulances garées à proximité. Les plages situées entre les quartiers nord de Manly et Narrabeen ont été fermées pour au moins 24 heures, a indiqué Surf Life Saving NSW, branche locale d’un réseau de clubs de sauveteurs bénévoles et professionnels. «Terrible tragédie» «Pour le moment, merci de rester hors de l’eau sur les plages environnantes et de suivre les consignes des maîtres-nageurs et sauveteurs», a déclaré le directeur général de l’organisation, Steven Pearce. «Nous adressons nos plus sincères condoléances à la famille de l’homme touchée par cette terrible tragédie». Les clubs de sauvetage voisins ont annulé toutes les activités et entraînements nautiques pour le week-end. Des drones et des sauveteurs sur des jets skis surveillaient les plages à la recherche de la présence de requins. Il s’agit de la première attaque mortelle de requin à Sydney depuis 2022, lorsque Simon Nellist, un moniteur de plongée britannique de 35 ans, avait été tué au large de Little Bay. La précédente attaque fatale dans la ville remontait à 1963. Un surfeur anonyme a déclaré au Sydney Daily Telegraph avoir été témoin des suites de l’attaque : «Quatre ou cinq surfeurs l’ont sorti de l’eau et il semblait qu’une partie importante de la partie inférieure de son corps avait été attaquée», a-t-il dit. Les gens ont été sommés de sortir de l’eau, a-t-il raconté. «Il y avait un sauveteur qui agitait un drapeau rouge. Je ne savais pas ce que cela signifiait... mais j’ai pensé que je devais probablement rentrer à terre». La dernière attaque mortelle en Australie remonte à mars, lorsqu’un surfeur avait été tué au large de la plage isolée de Wharton Beach, en Australie-Occidentale. Depuis 1791, plus de 1.280 incidents impliquant des requins ont été recensés en Australie, dont plus de 250 mortels, selon une base de données sur les rencontres entre ces squales et les humains. David WILLIAMS © Agence France-Presse -
Anthropic règle un litige majeur sur le droit d’auteur en IA avec un accord à 1,5 milliard de dollars
New York - La start-up américaine d’intelligence artificielle (IA) Anthropic a accepté de verser au moins 1,5 milliard de dollars à un fonds d’indemnisation d’auteurs, ayants droit et éditeurs qui poursuivaient l’entreprise pour avoir téléchargé illégalement des millions de livres, selon un document de justice publié vendredi. Cet accord à l’amiable, d’un montant colossal, constitue une étape marquante dans le débat sur l’utilisation de données pour développer et entraîner les grands modèles d’IA générative. «Cet accord historique est le plus élevé pour une affaire de droits d’auteur», a commenté auprès de l’AFP l’avocat des détenteurs de droits, Justin Nelson, du cabinet Susman Godfrey. «C’est le premier de son genre dans l'ère de l’IA». Fin juin, le juge californien saisi du dossier avait néanmoins estimé que le fait d’alimenter un logiciel d’IA générative avec des oeuvres en théorie protégées par le droit d’auteur ne constituait pas une infraction. Il avait seulement retenu contre Anthropic le téléchargement et le stockage de livres issus de librairies pirates en ligne, reconnaissant la société californienne coupable de ne pas avoir acheté ces ouvrages. «Nous sommes en désaccord avec l’opinion du tribunal selon laquelle on peut séparer le téléchargement d’une oeuvre de son utilisation», a indiqué une porte-parole d’Anthropic. Mais «nous pensons que cet accord va nous permettre de nous concentrer sur notre mission essentielle, plutôt que sur un long contentieux», a-t-elle ajouté. Le montant sur lequel se sont accordées les parties sera au minimum de 1,5 milliard de dollars et pourrait augmenter si la liste définitive des livres concernés, qui n’est pas encore arrêtée, dépassait 500.000, auquel cas Anthropic verserait 3.000 dollars de plus par ouvrage. L’accord doit encore être homologué par le juge William Alsup. Une audience est prévue lundi au tribunal fédéral de San Francisco. «Un début» Cette transaction permet à Anthropic d'éviter un procès, qui devait démarrer début décembre pour déterminer le montant des dommages et intérêts. La start-up risquait d'être condamnée à débourser une somme bien supérieure à celle décidée avec les détenteurs de droit, au point de mettre en péril son existence même. L’accord «va assurer à chaque (plaignant) une indemnisation significative», a fait valoir Justin Nelson, «et il établit un précédent en matière de paiement des détenteurs de droits.» De nombreux autres dossiers sont encore en cours devant des tribunaux américains, initiés par des écrivains, musiciens ou éditeurs de presse pour utilisation non autorisée de leur production. Vendredi, deux écrivains ont lancé un recours, qu’ils souhaitent collectif, contre Apple, accusant le géant de la Silicon Valley d’avoir utilisé des oeuvres contenues dans des bibliothèques pirates pour entraîner les modèles d’IA intégrés dans ses appareils. La plupart des grands acteurs de l’IA générative s’appuient sur la notion juridique d’utilisation équitable («fair use» en anglais), susceptible de limiter l’application du droit de propriété intellectuelle. Dans sa décision de juin, le juge Alsup avait estimé qu’en entraînant ses modèles d’IA, baptisés Claude, avec des milliers de livres, Anthropic s’inscrivait dans le cadre de l’utilisation équitable. «Le principe juridique selon lequel le développement de l’IA sur des oeuvres protégées relève d’une utilisation équitable demeure intact», a souligné la porte-parole d’Anthropic. Cet accord «ne fait que régler un différend sur la façon dont certains documents ont été obtenus», a-t-elle poursuivi. En juin, dans une autre affaire de ce type, concernant Meta, devant la même juridiction, un autre magistrat fédéral avait donné raison au géant des réseaux sociaux, mais tout en expliquant que les plaignants auraient pu soulever des arguments recevables. Les créateurs de contenu, qu’il s’agisse de musique, de livres ou d’articles, s’inquiètent de voir la valeur marchande de leur travail s’effondrer avec l'émergence des interfaces d’IA générative. «Nous espérons qu’il s’agisse du premier exemple d’une longue série de sociétés d’IA à qui on demande des comptes pour le vol de contenu créatif», a réagi l’organisation Human Artistry Campaign, qui milite pour un développement responsable de l’IA. «Ce n’est qu’un début», a écrit l’association sur X, «mais il est marquant et historique.» Thomas URBAIN © Agence France-Presse -
Donald Trump rebaptise le Pentagone en « ministère de la Guerre » pour afficher la puissance américaine
Washington - Donald Trump a signé vendredi un décret visant à rebaptiser le ministère américain de la Défense en «ministère de la Guerre», ajoutant qu’il voulait par là envoyer un «message de victoire» et «de force» au reste du monde. Le président américain a laissé entendre qu’il pouvait se passer d’un vote du Congrès pour procéder à ce changement d’appellation. «Les mots comptent», a dit le chef du Pentagone Pete Hegseth, présent aux côtés de Donald Trump dans le Bureau ovale, assurant que cette nouvelle appellation devait permettre de «restaurer une éthique guerrière». Formellement, il s’agit pour l’instant d’une appellation «supplémentaire», selon un document distribué dès jeudi par la Maison Blanche. Un haut responsable du ministère a indiqué que le coût de cette opération, potentiellement très dispendieuse, deviendrait «plus clair» au fur et à mesure de sa mise en place. Peu après la signature du décret présidentiel, les mots «ministère de la Défense» ont été immédiatement retirés d’un mur dans le Pentagone, devant des caméras de télévision. Le site du ministère a été renommé et Pete Hegseth se présente désormais comme «ministre de la Guerre» sur X. «Nous allons soumettre (ce changement de nom) au Congrès», a prévenu Donald Trump. «Je ne sais pas (si les parlementaires voteront en ma faveur, ndlr), nous verrons bien, mais je ne suis pas sûre qu’ils aient besoin de le faire». «Trop défensif» Ce n’est pas la première fois que le républicain de 79 ans impose ses idées sans passer par la case législative. Son second mandat est marqué par une volonté assumée d'étendre le pouvoir présidentiel, à coups de décrets et de décisions empiétant sur les prérogatives du Congrès. Il a signé vendredi son 200e décret depuis son retour à la Maison Blanche en janvier. Le président des Etats-Unis avait déjà fait part de ce projet qui restaurerait une appellation ayant existé de 1789 à 1947. «Défense, c’est trop défensif, et nous voulons aussi être offensifs», avait-il déclaré. Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, Donald Trump a mobilisé l’armée pour imposer une image de puissance spectaculaire et combler son appétit de fastes militaires. Il a organisé un rare défilé le jour de son anniversaire, déployé la Garde nationale dans des villes dirigées par ses opposants, et ordonné une frappe exceptionnelle sur un bateau dans les Caraïbes dans le cadre de la lutte affichée contre le narcotrafic. Les démocrates dénoncent régulièrement ce recours aux militaires, révélateur selon eux d’une dérive autoritaire. Contre le «politiquement correct» Le président américain avait eu pendant son premier mandat une relation plutôt contrariée avec l’armée. Son ancien chef d'état-major, le général Marc Milley, l’a qualifié d’"aspirant dictateur». Des articles de presse avaient également attribué à Donald Trump des propos méprisants pour des militaires américains morts au combat. Cette fois, le dirigeant républicain a remanié l'état-major américain pour s’entourer de hauts gradés choisis par ses soins, et a nommé en la personne de Pete Hegseth un ministre à la loyauté farouche. Le chef du Pentagone, adepte d’un discours viriliste et d’opérations de communication musculeuses, a dit vendredi que l’objectif de l’armée américaine était d’atteindre «une létalité maximale, pas une létalité tiède». Il a dit vouloir aller à l’encontre du «politiquement correct». Aurélia END © Agence France-Presse