
PLATEFORMES CRYPTO - Protéger l’investisseur quand même

Après l’épisode Terra-Luna, qui a provoqué d’importantes pertes financières, les plateformes d’échange de cryptos font tout pour conserver l’intérêt et surtout les fonds de leurs clients. Car leur existence en dépend. Elles se rémunèrent par une commission sur les achats de crypto-actifs réglés en monnaies fiat et sur les échanges de crypto contre crypto. Elles appliquent également des frais de sortie sur les retraits d’actifs. Sans oublier les frais de conservation au-delà d’un certain montant d’actifs à sécuriser.
Mais ce n’est pas tout, dérivés, options, futures, tokens à effet de levier, bataille long short… des produits de plus en plus sophistiqués sont proposés, avec les frais associés. Un investisseur peut par exemple emprunter des crypto-actifs et devra alors payer un taux d’intérêt, mais il peut aussi prêter ses actifs et recevoir une rémunération en échange. La plateforme, qui fait le matching, prend une commission sur chaque type d’opération. « Les plateformes rémunèrent les déposants par du yield farming et jouent le rôle de teneur de marché, en offrant de la liquidité à l’achat et à la vente. Elles gagnent ainsi une marge d’intermédiation », explique Adil Amor, directeur général de Schelcher Prince Gestion.
Outre la richesse des catalogues de produits, les clients sont aussi attirés par les hauts rendements promis. « Les grandes plateformes comme Binance, Coinbase ou FTX se conduisent un peu comme des néobanques, estime Oliver Yates, directeur général d’Aplo.io, anciennement SheeldMarket, une plateforme réservée aux institutionnels. Elles sont le point d’entrée dans l’écosystème et proposent de nombreux services et des rendements élevés pour inciter les investisseurs à placer leurs fonds. Une fois des actifs conservés sur la plateforme, ccelle-ci peut les placer avec le consentement du client. » Les offres alléchantes attirent beaucoup de jeunes investisseurs. « Les acteurs des cryptos sont rompus aux usages digitaux, à la communication sur les réseaux sociaux et proposent une expérience utilisateur fluide qui plaît particulièrement à une population jeune, curieuse des nouveautés et qui souhaite gagner de l’argent, détaille Anne-Claire Bennevault, qui dirige Spak, un média d’éducation financière. Mais ces jeunes sont peu au fait des risques liés aux produits proposés, surtout ceux avec des effets de levier qui peuvent aller jusqu’à 125 et leur faire perdre plus que leur mise de départ. »
Certains acteurs n’ont pas de scrupules à laisser des novices se confronter à un risque absolument pas compris, mais la plupart des grandes plateformes proposent beaucoup de contenus explicatifs pour vulgariser le fonctionnement des cryptos et des produits complexes. L’arrivée des NFT (non-fungible tokens) leur donne l’occasion de diversifier encore leur offre et de se rapprocher d’un autre univers. « En vendant des NFT ou des tokens, les exchanges cherchent à toucher des gamers et à les intégrer dans l’écosystème crypto en leur permettant de passer d’un univers de jeu à une autre grâce à l’échange de tokens, explique Oliver Yates. Elles deviennent ainsi des marketplaces liées au gaming, c’est un moyen de faire évoluer leur modèle économique vers la souscription, qui assure des revenus plus réguliers. »
Manque de sélectivité
Des épargnants plus classiques peuvent s’intéressser à des services proches de la finance traditionnelle. Ce que proposent par exemple Coinhouse avec son Livret Crypto, comparé au Livret A mais en plus rémunérateur, ou Stackin’Sat avec son Plan Epargne Bitcoin qui lisse le risque par un investissement régulier, hebdomadaire ou mensuel, ou encore Paymium, la toute première plateforme française âgée de 10 ans qui génère plusieurs dizaines de millions d’euros de transactions par an et compte près de 250.000 épargnants. Son plan d’achat récurrent lancé l’année dernière trouve son public peu à peu. Pas question pour autant de multiplier les offres. « Nous avons la conviction que le bitcoin est là pour rester car c’est la monnaie la mieux décentralisée, indique Pierre Noizat, directeur général de Paymium. Contrairement aux autres monnaies centralisées et aux tokens que beaucoup de plateformes commercialisent par pur opportunisme. » Une attitude risquée mais coter de nouveaux jetons permet aussi aux plateformes d’encaisser des frais de listing de la part des émetteurs. De là peut-être un manque de sélectivité… La diversification des plateformes peut même aller jusqu’à la finance classique. C’est le mouvement réalisé par FTX, numéro deux mondial après Binance. Fondée par Sam Bankman-Fried, qui dit ne pas croire au bitcoin comme moyen de paiement, FTX propose désormais à ses clients américains l’accès aux marchés actions, et ce gratuitement ! Difficile dans ces conditions de rentabiliser l’activité mais c’est surtout un moyen supplémentaire de fidéliser les clients qui pourront « trader » cryptos et actions sur la même application.
Avec le retournement des marchés crypto, plusieurs plateformes se sont retrouvées en difficulté comme Coinbase dont le cours de Bourse a perdu 75 % ou Gemini qui va licencier 10 % de ses effectifs. En outre, Coinbase a clairement montré son irresponsabilité en indiquant dans un document destiné à la Securities and Exchange Commission que, en cas de défaillance, elle pourrait utiliser les crypto-actifs de ses clients pour rembourser ses créanciers. Ce qui revient à briser un tabou et à obliger le régulateur à sévir. D’ailleurs, le fondateur de BitMex, accusé de manipulation de cours et de non-respect de la législation anti-blanchiment, a été condamné à deux ans de prison avec sursis, dont six mois d’assignation à résidence.
« Les gens ne réalisent pas à qui ils confient leur argent, la nationalité de la plateforme ou la réglementation qui s’applique, s’alarme Nicolas de Witt, avocat associé chez Taylor Wessing. Les plateformes en tirent bénéfice : une fois que le client a acheté des crypto-actifs, ils pensent avoir tous les droits sur ces derniers. Or c’est rarement le cas. Il est temps de réguler mais, en Europe, MiCA, le règlement sur les actifs numériques, n’entrera en vigueur qu’en 2024 ou 2025. D’ici là, nous évoluerons dans un système de non-droit. » Or, sans cadre réglementaire clair, les institutionnels rechignent à lancer leur activité crypto, alors que la majorité a identifié un potentiel de croissance considérable.
Objectif régulation
Conscientes du danger, quelques plateformes commencent à s’autoréguler ou à chercher l’aval du régulateur pour ne pas perdre leurs clients. Econduit au Royaume-Uni, le géant mondial Binance a trouvé une oreille bienveillante en France où il vient d’obtenir un enregistrement de PSAN (prestataire de services sur actifs numériques) qui offre un premier niveau de garantie aux investisseurs. Sa directrice de la conformité est d’ailleurs une ancienne de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Toute la communication de Binance est vouée à établir la confiance des régulateurs, des politiques et du public. Un investissement de 100 millions d’euros a aussi été annoncé. Mais l’objectif final est bien de venir capter des liquidités, comme l’a déclaré David Prinçay, directeur général de Binance France : « Une adoption accrue permettra d’améliorer la liquidité sur le marché, ce qui est une bonne nouvelle pour les utilisateurs et la communauté tout entière. » Et pour Binance.
D’autres vont déjà plus loin. Fondée en 2011 à San Francisco, Kraken compte 8,5 millions d’investisseurs particuliers et institutionnels. Elle a annoncé en février dernier avoir fait réaliser un audit de « proof of reserves » (preuve de réserves) par Armanino, un cabinet d’expertise comptable américain. Plus de 19 milliards de dollars en bitcoins et en ethers sont donc certifiés. Le but : apporter une garantie de sécurité à ses clients et gagner la confiance de ceux qui ne le sont pas encore. Kraken réalisera ces audits régulièrement, y compris sur les autres actifs conservés. Un premier pas en attendant une réglementation qui obligera les acteurs de la crypto à protéger davantage les investisseurs et à se soumettre aux règles de la finance traditionnelle.

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