L’industrialisation du «staking crypto» est en marche

Dans le sillage du changement de consensus d’Ethereum réussi, le «staking crypto» constitue désormais une véritable tendance de marché. C’est toute une industrie qui s’organise et à laquelle participent de plus en plus d’institutionnels du monde financier traditionnel.
Shiny Ethereum financial background
Ethereum ambitionne d'être un réseau majeur de paiements  -  Photo Petr Ciz/AdobeStock

Une éclaircie dans la tempête. Après une année marquée par une cascade de faillites avec en point d’orgue le scandale FTX, le bon déroulé du changement de consensus d’Ethereum, entamé en septembre 2022 puis complété mi-avril, a donné une véritable bouffée d’oxygène à l’écosystème crypto. Et lancé le début d’une industrialisation massive dans laquelle de nombreux institutionnels du monde financier traditionnel comptent bien s’engouffrer.

Cette nouvelle industrie, c’est celle du staking, basé sur le consensus à preuve d’enjeu (proof-of-stake). Dans ce système, les blocs d’une blockchain ne sont plus validés à l’aide de cartes graphiques ou d’ordinateurs comme c’est le cas pour le bitcoin, mais via l’immobilisation par les investisseurs de leurs cryptoactifs au sein du réseau. Un système de délation se met alors en place pour s’assurer que tous effectuent bien leur travail. En cas de manquement aux règles, des ethers stockés peuvent être confisqués ou détruits.

Techniquement, rien n’obligeait le réseau à changer de consensus. Ce basculement était en revanche nécessaire pour éviter les débats récurrents autour de la consommation énergétique qui touchent le monde de la crypto. Avec cette évolution, Ethereum a vu sa consommation électrique liée à la validation de ses blocs diminuée de près de 95%. Un argument auquel les institutionnels ne sont pas insensibles.

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Nouvelle source privilégiée de rendement

La mise à jour Shanghai opérée le 12 avril a permis aux investisseurs d’Ethereum d’enfin retirer leurs ethers du réseau où certains avaient leur mise bloquée depuis plus de deux ans et demi. A cette date, 19,4 millions d’ethers s’y trouvaient immobilisés. Un peu moins de trois mois plus tard, selon les données de l’agrégateur Nansen, 24,3 millions d’unités y sont désormais (19 juillet). Si pendant les premières semaines, les retraits ont été comme attendu largement supérieurs aux dépôts, cette tendance s’est rapidement inversée.

Comme révélé à L’Agefi, des acteurs du monde traditionnel, comme le gestionnaires d’actifs Franklin Templeton ou même la filiale spécialisée Blockchain d’EDF Exaion, opèrent des nœuds de validation d’Ethereum en propre ou pour le compte de leurs clients.

Globalement, les fournisseurs de technologies liées au staking sont de plus en plus sollicités. Cette activité apparaît comme la moins risquée et la plus transparente pour permettre aux entreprises de proposer des produits de rendement crypto à leurs clients. Un nœud directement branché à la blockchain Ethereum peut en moyenne espérer rapporter 8% par an. Un montant non négligeable après une année largement marquée par une cascade de faillites et des gestions financières comme celle de la plateforme FTX carrément frauduleuses.

Tendance dans la finance décentralisée

Pour Ethereum, il est nécessaire d’immobiliser au moins 32 ethers, soit plus de 60.000 dollars au cours actuel, pour lancer un nœud. Face à ce ticket d’entrée élevé, des entreprises proposent d’agréger des ethers déposés par leurs clients particuliers, qui peuvent ainsi toucher des intérêts en mobilisant de petites sommes. Surfant sur cette vague, des géants du staking ont émergé ces derniers mois.

Depuis la mise à jour Shanghai, Lido Finance a renforcé sa domination sur ce marché et totalise 32% du total des ETH stakés au 12 juillet, avec 7,6 millions d’unités gérées pour le compte de ses clients. C’est quasiment trois fois plus que son premier concurrent identifié, Coinbase, qui affiche 2,3 millions d’unités, soit 10% du marché.

Passer par ces intermédiaires donne aussi accès à une représentation «liquide» équivalente au nombre d’ethers stakés, donc immobilisés pour un certain temps. Le premier à avoir lancé son jeton synthétique, baptisé stETH, est évidemment Lido Finance. Ce système permet à la fois de toucher des rendements issus de la validation, mais aussi d’utiliser ces versions liquides pour contracter ou collatéraliser des prêts au sein de la finance décentralisée. Selon un rapport de Glassnode daté du 3 juillet, Lido Finance reste également leader dans ce domaine, devant Rocketpool, son principal concurrent.

En conséquence, plusieurs protocoles de finance décentralisée s’organisent pour capter cette nouvelle source d’investissement. Selon les chiffres agrégés par Glassnode, l’un des plus importants, Aave, a par exemple, vu la valeur totale bloquée (TVL) de plusieurs de ses pools de prêt conçus pour accueillir ces jetons synthétiques augmenter de manière significative. Le protocole de prêt et d’emprunt crypto totalise aujourd’hui plus de 2 milliards de dollars de TVL liés à ce type de jetons.

Depuis le 9 mai, Compound a également vu la TVL de ses pools du même type être multiplié par neuf pour un total de 42 millions de dollars. «Cela suggère que les investisseurs pourraient adopter une stratégie de maximisation du rendement, en augmentant l’exposition au stETH par le biais d’un effet de levier emprunté afin d’amplifier les rendements», écrit l’agrégateur.

Incertitude réglementaire

Si le staking est devenue une tendance de marché depuis plusieurs mois, il n’existe pour le moment que très peu de régulation vis-à-vis de cette activité, aux Etats-Unis comme en Europe.

Outre-Atlantique, la Securities and Exchange Commission (SEC) a accusé début juin dans une plainte civile la plateforme américaine Coinbase de ne pas fournir assez de visibilité à ses utilisateurs vis-à-vis de son programme de staking. En février, le superviseur a déjà eu la main lourde puisqu’il a infligé une amende de 30 millions de dollars à Kraken pour le même motif.

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Contrairement à Kraken, le programme de staking proposé par Coinbase est assimilable à de la simple délégation et ne rentrerait pas dans le champ de l’investissement. C’est en tout cas la ligne de défense de la plateforme dirigée par Brian Armstrong qui, depuis plusieurs mois, défend bec et ongles son programme. Elle ne l’estime pas soumis à la législation des instruments financiers et donc à une politique de transparence plus stricte. L’hypothèse d’un contentieux entre la SEC et la plateforme est plus que jamais d’actualité.

En septembre 2022, Gary Gensler estimait que ce système permet à «un public d’investisseurs d’anticiper des profits basés sur les efforts des autres», faisant référence au «test de Howey» qui considère comme une vente de titre financier toute action d’investisseurs s’attendant à obtenir un rendement du travail de tiers.

Le règlement européen MiCA (Market in Crypto-Assets) ne prend pas non plus en compte cette activité. En juin 2022, la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde appelait déjà à un MiCA II pour encadrer le staking.

Mais pour le moment, ces incertitudes ne semblent pas refroidir les investisseurs, qui, en plus de dégager des bénéfices, veulent déjà se placer pour ne pas se laisser distancer dans la course à l’innovation financière.

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