Une consolidation fragile

Protection sociale
Sylvie Guyony
Thomas Saunier,  directeur général  de Malakoff Médéric  Humanis,  a présenté  « Engagement 2022 »,  son projet  d’entreprise, à plus de  12.000 collaborateurs  du groupe lors d’événements  internes.
Thomas Saunier, directeur général de Malakoff Médéric Humanis, a présenté « Engagement 2022 », son projet d’entreprise, à plus de 12.000 collaborateurs du groupe lors d’événements internes.  -  Malakoff Médéric Humanis

Maintenant, il peut donner à imprimer le papier à en-tête ! Thomas Saunier vient de publier un projet d’entreprise pour le groupe qu’il dirige depuis trois ans, combinant Malakoff Médéric et Humanis. La constitution de Malakoff Humanis – le nouveau nom qui sera diffusé en janvier 2020 par le numéro 2 de la protection sociale derrière AG2R La Mondiale – laisse ainsi la cinquième place à Klésia ; Pro BTP et Apicil sont toujours en troisième et quatrième positions, tandis que Ugo est passé devant Agrica, IRPAuto (un temps fiancé à Klésia), Ircem, etc. Le classement des groupes de protection sociale (GPS) reste stable malgré de multiples annonces de rapprochements.

« Sur le plan opérationnel et politique, nous sommes aujourd’hui un seul groupe, avec une gouvernance simplifiée : une nouvelle association sommitale et une société de groupe d’assurance mutuelle (Sgam) unique. La décision de fusionner nos institutions de prévoyance (IP) avec un effet rétroactif au 1er janvier 2019 a été prise. Ce travail de simplification est important, notamment pour les mutuelles qui voudraient nous rejoindre et qui, affiliées à la Sgam, seraient actionnaires de la holding », détaille Thomas Saunier, qui se dit « toujours ouvert à la croissance externe, mais sans urgence ». Début avril, Malakoff Médéric Humanis a annoncé des négociations exclusives avec la mutuelle Médicis (161.000 adhérents et une forte présence dans le commerce de proximité). « Notre groupe propose de l’épargne salariale et de la retraite supplémentaire collective. L’activité de Médicis, spécialisée dans l’épargne retraite individuelle, et son expertise sur le marché des travailleurs non salariés (TNS) sont complémentaires des nôtres », déclare le directeur général de Malakoff Médéric Humanis. Leur rapprochement pourrait se dérouler en deux temps : à la fin de l’année dans le pôle mutualiste de Malakoff Médéric Humanis, l’Union de groupe mutualiste (UGM), qui garantit une mise en commun de moyens entre ses membres ; puis, en juillet 2020, au sein de la Sgam, dont les membres s’engagent à une solidarité financière. Mais la rupture entre AG2R La Mondiale et Matmut montre que rien n’est jamais acquis.

Certes, les GPS ont besoin d’abaisser leurs coûts, de se diversifier et de créer des synergies avec des acteurs qui disposent de réseaux de distribution qu’ils n’ont pas. Mais ce serait surtout les mutuelles qui auraient besoin de s’adosser. « Avec l’Accord national interprofessionnel (ANI, pour la généralisation de la complémentaire santé en entreprises, NDLR), le marché s’est déplacé de l’individuel vers le collectif, mais le taux d’équipement des Français a peu évolué, passant de 94 % à 95 % ! Cela a surtout permis d’ouvrir de nouvelles discussions avec les branches », pointe Thomas Saunier.

Régime de retraite complémentaire d’un côté ; IP, mutuelles, voire sociétés d’assurances ou de gestion d’épargne salariale de l’autre, les GPS, pilotés par des organismes paritaires, forment d’étranges créatures. Les caisses Agirc-Arrco (fusionnées au 1er janvier 2019) auraient intérêt à ce que quatre ou cinq grands pôles se partagent la gestion de la retraite obligatoire, pour une question de réduction de coûts. Et, dans leur cœur de métier, la prévoyance, « passer le seuil des 10 % de part de marché pour être à la taille critique reste vrai, estime le patron de Malakoff Médéric Humanis. Avec 17 % de part de marché en santé et prévoyance collectives, nous sommes ‘leaders’ sur ce marché ». Les mariages entre IP ont-ils encore une raison d’être ? « Désormais, les rapprochements se feront moins entre IP, qui ne sont plus que 34 sur le marché, qu’avec des mutuelles, encore au nombre de 200. Certaines mutuelles sont riches et solides : elles ont l’impression d’avoir l’éternité. Cependant, l’assurance en complémentaire santé est de plus en plus concurrentielle et collective, ce qui demande un savoir-faire spécifique », prévient-il.

Résultats poussifs

Les IP, qui ont donné naissance aux GPS en se rapprochant de mutuelles et contribuent encore pour moitié à leur activité (pour environ 15 milliards d’euros en 2018), ont réalisé un chiffre d’affaires stable en 2018, avec un résultat net négatif de -196 millions d’euros, après celui de -51 millions en 2017, selon les données du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP). Mais Jean-Paul Lacam, son délégué général, parie sur un retour à l’équilibre en 2019. « La solidité de la gouvernance paritaire a permis d’encaisser les chocs et de poursuivre la construction de groupes capables de proposer une offre complète en matière de protection sociale » : les GPS démontrent leur « solidité, liée à l’effet de taille, dans un environnement concurrentiel et complexe », insiste le CTIP. Mais les GPS sont confrontés à bien des paradoxes.

Leur chiffre d’affaires combiné n’a progressé que de 2 % entre 2017 et 2018, à 27,8 milliards d’euros (voir graphique). S’il grimpe de 15,3 % en assurance vie (ou IARD), passant à 20 % de l’activité globale, celui de l’assurance santé, qui représente 40 % de leur activité et un axe de développement, ne croît que de 1,5 %. L’ANI « n’a pas conduit à un transfert massif des contrats individuels vers les contrats collectifs. Les tarifs sont désormais tirés au maximum et les marges de manoeuvre inexistantes », explique Jean-Paul Lacam. En prévoyance, la progression du chiffre d’affaires est de 4,7 %. En fait, en santé et prévoyance, « sur la période 2013-2017, la croissance des GPS a été deux fois moindre que celle des assureurs (et celle des mutuelles quatre fois moindre) », a pointé Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Facts & Figures, lors de la publication de son baromètre 2018.

L’équilibre en prévoyance est un sujet en soi, du fait du vieillissement de la population active : une personne de plus de 55 ans a un risque d’arrêt de travail 1,5 fois supérieur à celui d’une autre de moins de 55 ans, explique le CTIP. Voilà qui n’est pas bon signe lorsqu’est évoqué un âge de départ à la retraite retardé. D’ailleurs, en 2010, le report de l’âge de départ légal de 60 à 62 ans avait coûté 1,5 milliard d’euros aux IP.

Les GPS interviennent dans la retraite complémentaire, mais aussi supplémentaire. Dans cette branche concurrentielle, en 2018, leur chiffre d’affaires a reculé de 19,9 % à 2,9 milliards d’euros. « L’année fiscale blanche suite à l’entrée en vigueur du prélèvement à la source a eu un impact important sur les versements volontaires », explique le CTIP. Par ailleurs, les GPS ont un savoir-faire dans le cadre de la prochaine réforme. Ainsi, « nous représentons 40 % de la gestion des retraites complémentaires Agirc-Arrco, rappelle Thomas Saunier. L’Agirc-Arrco est le seul organisme à savoir gérer de façon massive le régime par point. Si c’est l’orientation retenue, nous avons l’expertise. Par ailleurs, après avoir atteint l’objectif fixé par le premier plan d’économie de l’Agirc-Arrco, nous sommes mobilisés sur le second plan à échéance 2022. » Toutefois, la retraite supplémentaire « est une activité consommatrice de fonds propres, avec des marges réduites dans le contexte de taux bas et tant que l’on reste à 80 % voire 90 % de fonds en euros », reconnaît le patron de Malakoff Médéric Humanis, numéro 6 de l’épargne retraite d’entreprise et de l’épargne salariale.

Santé, prévoyance, retraite, dépendance : toutes les activités des GPS sont affectées par le vieillissement de la population. Si l’on y ajoute les réformes en cours dans ces domaines, Solvabilité 2 et l’univers de taux, cela rend impérative leur transformation en profondeur

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Nécessaire retour à l’équilibre

En 2018, les institutions de prévoyance (IP) ont collectivement publié un résultat technique en forte dégradation à -356 millions d’euros, après -173 millions d’euros en 2017.

L’IP Humanis Prévoyance, repêché par Malakoff, compte à lui seul pour 128,1 millions en 2018. Cela pourrait-il grever l’avenir de Malakoff Médéric Humanis ? En 2019, avec la rétroactivité de la fusion, « je peux confirmer que notre résultat sera positif. En 2018, nous avons publié un chiffre d’affaires de 6,25 milliards. Nous sommes solides et performants, affirme Thomas Saunier, directeur général (DG) du nouveau groupe. Cela ne suffit pas. Nous devons travailler sur la fidélisation et l’amélioration des résultats techniques. Notre retour à l’équilibre repose sur un tiers de développement et deux tiers de fidélisation. Cette recherche d’un retour à l’équilibre peut nous faire perdre un peu de chiffre d’affaires, mais c’est une nécessité. » En parallèle, Malakoff Médéric Humanis a l’objectif de réduire ses frais généraux de 100 millions d’euros d’ici 2022. Cela passe par la maîtrise des achats, l’internalisation de certaines missions et le non-remplacement systématique des départs à la retraite. « Par ailleurs, nous allons travailler sur les sinistres à travers la mise en place d’une politique d’indemnisation plus fine, reposant sur l’utilisation de la data, précise le DG. Ces travaux nous permettront d’améliorer notre résultat technique. »

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