
Les résolutions climat divisent au sein de l’AMF

Inédit. Simultanément, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a communiqué sur les questions climatiques dans le cadre du dialogue actionnarial et publié les recommandations de sa commission climat et finance durable (CCFD) sur les résolutions climatiques. Avec des conclusions opposées !
Toutefois, un constat ressort, «nous sommes tous d’accord sur le principe de la validité du ‘say on climate’ consultatif», se félicite Myriam Epelbaum, avocate chez Bredin Prat et rapporteure du groupe de travail du HCJP de décembre dernier sur le «say on climate». «Comme le Haut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP), la CCFD reconnaît la légitimité du principe du dépôt d’une résolution climat par les actionnaires, se félicite Jehanne Leroy, directrice de la recherche ESG chez Proxinvest. Nous constatons la frustration des investisseurs face à la difficulté de déposer une résolution puis de la faire inscrire à l’ordre du jour »
Une évolution législative ne convainc pas
Rappelant le refus l’an dernier de TotalEnergies d’inscrire à l’ordre du jour de son assemblée générale (AG) un projet de résolution climatique présenté par onze investisseurs, la CCFD estime que le cadre réglementaire doit évoluer pour faciliter le dépôt de ces résolutions. Elle va même plus loin. Les sociétés doivent accepter d’inscrire à l’ordre du jour de l’AG les résolutions climat déposées par des actionnaires. Le conseil d’administration ne pourra pas la rejeter au nom de ses prérogatives stratégiques.
«Pour le HCJP une évolution législative dédiée à rendre obligatoires les résolutions ‘say-on-climate’ serait prématurée, rappelle Myriam Epelbaum. Attendons la transposition de la directive CSRD [Corporate Sustainability Reporting Directive, ndlr] et la publication de ses normes d’application, qui imposeront notamment aux entreprises de détailler leur plan climat et ne changeons pas de système tous les ans. Par ailleurs, en imposant par principe l’inscription de toute résolution climatique à l’ordre du jour, une loi risquerait d’ouvrir la boîte de Pandore et de perturber l’organisation et le fonctionnement des assemblées, à défaut de distinguer les résolutions responsables et crédibles des autres.»
En cas de refus d’inscription d’une résolution à l’ordre du jour, la CCFD propose d’accroître les pouvoirs de l’AMF. Dans cette hypothèse, le conseil d’administration serait obligé de saisir l’AMF, «l’autorité la mieux placée pour réguler et contrôler» un éventuel rejet de projet de résolution actionnariale.
La société et non l’actionnaire, devrait saisir le tribunal
Enfin, dans l’attente d’une clarification réglementaire, la commission demande de faciliter la saisine du tribunal de commerce. Ce serait aux sociétés et non aux actionnaires de saisir le juge en cas de refus d’inscription. En cas de rejet de la requête par le tribunal, la résolution serait inscrite automatiquement à l’ordre du jour de l’AG et soumise au vote. «Nous sommes circonspects sur l’extension proposée des pouvoirs de l’AMF, ajoute Jehanne Leroy. En revanche, inverser le rapport de force entre la société et ses actionnaires, en demandant au conseil de la société de saisir le tribunal, nous semble une très bonne idée ». En cas de saisine du tribunal de commerce, le HCJP invite déjà à mettre en place une procédure accélérée pour que les refus d’inscription à l’ordre du jour de résolutions puissent être contestés plus efficacement par les actionnaires.
L’AMF prône l’inscription d’un point à l’ordre du jour
Avec un programme de la CCFD aussi révolutionnaire, l’AMF tient bien à préciser que ces recommandations ne reflètent pas l’opinion de ses services ni celle du Collège, et ne l’engagent pas. D’ailleurs, dans son propre communiqué, l’AMF précise qu’elle n’a pas d’autorité pour apprécier la recevabilité des projets de résolution déposés par des actionnaires, ni pour apprécier le bien-fondé d’un refus par le conseil d’administration d’inscrire le projet de résolution à l’ordre du jour de l’AG. Elle rappelle que ces contentieux relèvent du tribunal de commerce et qu’elle n’a pas vocation à se voir attribuer de compétences en la matière.
Plus qu’un «say on climate», l’AMF invite les sociétés cotées à présenter leur stratégie climatique en AG sous la forme d’un point à l’ordre du jour avec débat. Surtout, le gendarme boursier recommande aux émetteurs de poursuivre, voire de renforcer leur dialogue actionnarial sur leur stratégie climatique, dans le cadre de leur assemblée générale, mais également de façon régulière.
Pour sa part, la CCFD dévoile aussi ses recommandations pour les résolutions déposées par les sociétés sur leur plan climat, le «say on climate». Elle leur demande de soumettre leur stratégie climatique et leur plan de décarbonation au vote de l’AG. Autrement dit, le groupe de travail attend une loi qui entérinera le caractère obligatoire des résolutions climat et encadrera son contenu et sa fréquence.
A lire aussi: Reporting ESG : les entreprises saisies de vertige
Le «say on climate» pour tous fait débat
La commission recommande que le « say on climate » soit applicable à toutes les entreprises soumises à la directive sur le reporting durable (CSRD). «Pourquoi ne pas mettre la priorité sur les entreprises les plus polluantes, poursuit Myriam Epelbaum. Beaucoup d’investisseurs indiquent en effet ne pas disposer des ressources suffisantes pour analyser la stratégie climat de toutes les sociétés cotées.» Proxinvest «est favorable à l’inscription d’un ‘say on climate’ pour les sociétés les plus polluantes, précise Charles Pinel, directeur général de Proxinvest. Il faudra probablement attendre une plus grande maturité sur ce sujet avant d’envisager de la rendre obligatoire à toutes les entreprises ».
La stratégie climatique devrait être présentée au vote des actionnaires au moins tous les trois ans, poursuit la CCFD. En cas de contestation, plus de 20% de votes négatifs, le conseil devra consulter les actionnaires sur les raisons de cette opposition et publier rapidement les conclusions de cette enquête. Une nouvelle stratégie climat devra être présentée à l’AG suivante.
Attente d’une évolution du code Afep-Medef
La CCFD suggère à l’AFG et à l’Afep-Medef d’inscrire ces propositions dans leur code, et à l’AMF de porter cette approche «volontariste» au niveau européen. Déjà le rapport du HCJP invitait l’Afep-Medef et l’AFG à reprendre ses recommandations sur le «say on climate». Une «soft law» qui pourrait permettre d’éviter un texte contraignant. Mais à ce jour, le HCJP n’a pas été entendu.
Ce «say on climate» doit être particulièrement complet. La CCFD demande que les sociétés publient toutes leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) sur les scopes 1, 2 et 3 ; leurs objectifs de réduction de GES, en valeur absolue et en intensité, pour les scopes 1, 2 et 3, à court terme (2025), moyen terme (2030) et long terme (2040-2050) ; et une ambition zéro émission nette au plus tard d’ici 2050. La CCFD demande de nombreux autres éléments, notamment la publication des dépenses d’investissements, des dépenses opérationnelles, et des scénarios de référence utilisés pour déterminer les objectifs.
En outre, chaque entreprise doit expliquer sa gouvernance, sa stratégie, sa gestion des risques, ses métriques et objectifs en matière de climat, en ligne avec les standards de la TCFD (la Task Force on Climate Related Financial Disclosures). Ce contenu du «say on climate» proposé par la CCFD, «est très proche de notre politique de vote», constate Jehanne Leroy.
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