
Les divisions de l’Europe risquent d’affaiblir sa riposte face à l’IRA américain

La tendance n’était pas à l’optimisme mercredi soir à Bruxelles, à la veille d’un Conseil européen très attendu, au cours duquel les dirigeants des Etats membres de l’UE devront s’efforcer d’organiser la contre-offensive face à l’Inflation Reduction Act (IRA) des Etats-Unis. Mis en œuvre depuis le début de l’année, ce plan de 370 milliards de dollars déployé par l’administration Biden pour doper l’industrie verte américaine, à coups de crédits d’impôts et de subventions, menace la compétitivité industrielle du Vieux Continent. Chacun à la table des États membres reconnaît le danger. S’entendre sur une riposte commune n’a pour autant rien d’évident. Les Vingt-Sept devraient ainsi réserver un accueil mitigé au « Plan pour un pacte vert industriel », proposé la semaine dernière par la Commission européenne en guise de riposte face à l’IRA. Présenté au sein d’une communication, et donc dénué de valeur législative, ledit plan doit être décliné par Bruxelles à travers des propositions formelles dans les prochains jours.
Mais le mandat que risquent d’accorder les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement à l’exécutif communautaire s’annonce pour le moins limité. Principale proposition au sein du plan de la Commission, le projet de nouvel assouplissement de l’encadrement européen des aides d’Etat, en faveur des industries vertes (des secteurs des voitures électriques, des énergies renouvelables, ou encore des batteries) est, en particulier, très loin de faire l’unanimité. En matière d’aides d’Etat, « les procédures doivent être rendues plus simples, plus rapides, et plus prévisibles. Et permettre des soutiens qui soient ciblés, temporaires, et proportionnés, notamment via des crédits d’impôts, pour ces secteurs étant à la fois stratégiques pour la transition verte, et négativement affectés par des subventions étrangères ou les prix élevés de l’énergie », indique un projet de conclusion du sommet, consulté mercredi par L’Agefi. Le texte insiste ensuite sur la nécessité « de préserver l’intégrité et la concurrence équitable au sein du marché unique ». Ces formulations, empreintes de prudence, traduisent la réticence partagée par une bonne dizaine d’Etats membres au minimum (dont l’Italie, les Pays-Bas, la République tchèque, l’Irlande, l’Autriche, la Pologne ou encore la Belgique) vis-à-vis de tout assouplissement radical de l’encadrement des aides d’Etat, déjà sensiblement affaiblies après la pandémie.
Déception pour Berlin et Paris
Ces derniers craignent qu’une telle mesure favorise les industries des Etats à la force de frappe budgétaire la plus élevée - et aux secteurs industriels les plus vastes -, à commencer par l’Allemagne, et, dans une moindre mesure la France, au détriment des autres. « Aux côtés d’une large coalition d’Etats membres, nous sommes déterminés à empêcher des subventions publiques démesurément généreuses d’être versées », prévenait mercredi un diplomate issu de ce groupe de pays. Cette issue aurait tout d’une déception pour Berlin et Paris qui, déterminés à soutenir leurs champions industriels, figurent sans surprise parmi les plus fervents soutiens du plan de Bruxelles.
Côté français, on préfère voir le verre à moitié plein : « Nous remarquons que dans cette discussion, qui est avant tout stratégique, il n’y désormais plus d’opposition au fait de parler de politique industrielle, ce qui est tout à fait nouveau chez certains Etats membres », temporise-t-on ainsi à l’Elysée.
Plus généralement, après des réactions initiales chargées d’inquiétude face à la menace représentée par l’IRA, la communication des différentes délégations nationales témoigne d’une volonté de faire redescendre la pression. « Il n’y aura pas de prise de décision à court terme, c’est une discussion de longue haleine qui se poursuivra lors des prochains Conseils européens, ceux de mars, d’avril et probablement de juin », assure un diplomate.
La délicate question du financement
Le discours semble destiné à masquer les faibles progrès réalisés jusqu’ici par les Européens. Ceux-ci s’expliquent en partie par la difficulté à avancer sur le délicat sujet du financement. «La question du financement commun et celle des règles en matière d’aides d’Etat sont deux faces de la même pièce», résume Sander Tordoir, économiste du Centre for European Reform. Mobiliser des ressources communes pour permettre aux Etats membres aux capacités budgétaires plus limitées d’aider leurs propres industries aurait en effet de quoi minorer les inquiétudes au sujet de l’affaiblissement de l’encadrement des aides d’Etat. Mais le recours à un nouvel emprunt commun demeure une ligne rouge pour les Etats du Nord dits « frugaux », (Autriche, Danemark, Suède, Pays-Bas), et pour la composante libérale du gouvernement allemand, souligne Sander Tordoir.
Sur ce point, le projet de conclusion se contente dès lors d’appeler à « déployer les fonds européens existants d’une manière plus flexible ». Il s’agirait de réallouer, vers la réponse à l’IRA, une partie des fonds du plan RepowerEU, ainsi que des prêts à taux réduits non utilisés à l’intérieur du fonds de relance européen. Ces options semblent toutefois limitées. A plus long terme, la Commission européenne prévoit de proposer à l’été un « fonds de souveraineté » pour « préserver la cohésion et le marché unique contre les risques causés par une disponibilité inégale des aides d’Etat ». Sans toutefois susciter l’enthousiasme des Vingt-Sept : le Conseil devrait simplement « prendre note » de cette intention, selon le projet de texte.
En l’absence d’argent frais pour abreuver ledit fonds, l’option privilégiée serait alors de piocher dans les 1.074,3 milliards d’euros du cadre budgétaire européen 2021-2027 lors de sa révision de mi-parcours, cet été. Les tractations ne font ainsi que commencer.
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