Les actionnaires veulent comprendre et influencer les émetteurs

Les investisseurs institutionnels sont de plus en plus exigeants dans leur dialogue avec les sociétés, constate Morrow Sodali.
Bruno de Roulhac

En cette période de dialogue intense entre émetteurs et actionnaires institutionnels à l’occasion de la préparation des assemblées générales, Morrow Sodali a récemment présenté les attentes et priorités des investisseurs en matière de gouvernance lors d’un webinar réalisé en partenariat avec l’Institut français des administrateurs (IFA).

Point récurrent, les investisseurs sont toujours plus exigeants en matière de rémunération des dirigeants. Les deux tiers des fonds (gérant 33.000 milliards de dollars) interrogés par le cabinet de conseil en gouvernance estiment que le «pay for performance», soit l’alignement de la rémunération sur la performance de l’entreprise, est essentiel dans leur analyse. Ils sont particulièrement attentifs à la rigueur des conditions de performance, à l’intégration des critères ESG, à l’alignement de la rémunération sur la performance de l’entreprise et à sa cohérence avec la stratégie de long terme.

Les compétences des administrateurs seront précisées

En matière de rémunération, «nous avons déjà la législation la plus stricte au monde. Nous sommes très favorables à l’intégration de critères ESG, comme le recommande le code Afep-Medef, et au ratio d’équité, prévu par le projet de loi Pacte», explique Agnès Touraine, présidente de l’IFA. «Le bénéfice par action n’est sans doute pas l’indicateur le plus pertinent, souligne Jean-Florent Rérolle, managing director de Morrow Sodali, alors que l’EVA (economic value added) est plus pertinent». Pourtant, «c’était à la demande des investisseurs que le BPA avait été pris comme critère, meilleur indicateur liant les résultats et le cours de Bourse, rappelle la présidente de l’IFA. La difficulté est de toujours relier la rémunération de court terme et de long terme à la performance, mais la complexité des packages de rémunération ne doit pas nuire à leur lisibilité».

Plus exigeants, les actionnaires n’adoubent plus aussi facilement les administrateurs. Ils demandent désormais une matrice de compétences du conseil pour mieux comprendre son fonctionnement et la contribution individuelle de chacun de ses membres. «L’évaluation des compétences est évidemment appréciée par le comité des nominations pour tous les administrateurs, précise Agnès Touraine. Hier non public, le résumé de ces compétences devrait désormais être publié dans les documents de référence selon le code Afep-Medef 2018. Ce devrait être une évolution importante de cette année, avec l’assiduité.»

Les investisseurs introduisent de nouvelles thématiques dans le dialogue actionnarial. Les deux tiers des sondés rappellent que leur premier objectif est de comprendre la stratégie de l’entreprise et sa politique d’allocation du capital. Ils sont aussi beaucoup plus exigeants en matière d’ESG, qui est bien plus que le changement climatique ! Désormais, les actionnaires intègrent les enjeux ESG dans leur processus d’investissement. «Nous sommes ravis que les investisseurs s’intéressent aussi à la raison d’être et à l’intérêt social de l’entreprise», poursuit Agnès Touraine. «L’ESG va être de plus en plus regardé, d’autant que de nombreuses études montrent le lien entre la qualité de l’ESG et le cours de Bourse», poursuit Jean-Florent Rérolle. Une récente étude de La Financière de l’Echiquier (LFDE) montre que «sur neuf ans, le portefeuille des meilleurs profils ESG génère une performance 2,3 fois supérieure à celui des pires profils ESG». Et «pris séparément, les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance sont tous sources de performance à long terme», ajoute LFDE. Le portefeuille avec les meilleures notes sociales surperforme ceux avec les meilleures notes environnementales ou de gouvernance. Tandis que le portefeuille avec les plus mauvaises notes de gouvernance affiche les pires performances.

Un dialogue plus profond et plus régulier

Aussi, les actionnaires demandent undialogue «plus régulier, plus profond, plus sophistiqué pour bien comprendre la gouvernance», ajoute Jean-Florent Rérolle. Et ceci dépasse largement la seule saison des assemblées générales. Les investisseurs «s’éloignent de la pure compliance, ce qu’on leur avait beaucoup reproché, pour adopter une approche plus saine et plus pragmatique», constate Jean-Florent Rérolle. Pour améliorer ce dialogue avec les actionnaires, l’IFA est favorable à la généralisation des road-shows annuels dédiés à la gouvernance. «La concentration des investisseurs, avec une dizaine de fonds détenant 35% du S&P 500 et 26% du CAC 40, et la montée en puissance de la gestion passive sont des sujets nouveaux, ajoute Agnès Touraine. Cette concentration à terme va devenir problématique en terme de concurrence. D’une part, il pourrait être délicat pour une entreprise de détailler sa stratégie à un investisseur présent au capital de ses concurrents directs. L’une et l’autre doivent être vigilants sur leurs droits et devoirs, notamment en veillant à la confidentialité et à l’égalité de traitement. D’autre part, les investisseurs institutionnels consacrent de moins en moins de temps à l’analyse approfondie. La focalisation sur la gouvernance, aujourd’hui angle d’attaque favori des activistes, ne doit pas occulter la compréhension de la stratégie globale de l’entreprise, moteur de création de valeur sur le long terme».

Choisir son actionnariat

Face aux activistes, un vrai dialogue, construit en amont avec les actionnaires, constitue la meilleure défense. Cette confiance renforcée permet aux sociétés d’améliorer le quorum et le score des résolutions en AG, et l’attractivité du titre avec des investisseurs rassurés. Cela favorise le renforcement des investisseurs fondamentaux au capital, au détriment des fonds court-termistes, poursuit Morrow Sodali. «Un conseil doit regarder la composition de son capital très régulièrement et encore mieux connaître ses actionnaires, souligne Agnès Touraine. L’amélioration de leur identification est une amélioration majeure de la nouvelle directive droit des actionnaires (qui sera transposée dans la loi Pacte.) Le conseil doit même choisir idéalement et de façon proactive ceux qui comprennent la stratégie à long terme de la société. Ils en seront alors les meilleurs soutiens».

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