Le dépôt de résolutions externes en AG devra évoluer

Les investisseurs n’acceptent plus le veto des émetteurs et attendent une simplification et une clarification des règles.
Bruno de Roulhac
Votes en assemblées d’actionnaires de plus en plus nombreux
Les investisseurs veulent des changements rapides des règles de dépôt et d’inscription des résolutions à l’ordre du jour des AG.  -  Fotolia

Les investisseurs comptent bien faire entendre leurs voix lors de la saison des assemblées générales 2023. Certains, échaudés par lerefus de TotalEnergies d’inscrire à l’ordre du jour une résolution environnementale déposée par une coalition d’investisseurs menée par le néerlandais MN, veulent des changements rapides.

Une récente table ronde, réunie à l’initiative d’Edmond de Rothschild Asset Management (Edram) et de Proxinvest, a permis d’identifier les enjeux principaux de clarification et de simplification des règles de dépôt de résolution, et de débattre avec la trentaine d’investisseurs présents. « Conformément à leurs obligations réglementaires (article 29 de la loi énergie climat, directive SRD2), les investisseurs institutionnels doivent s’engager pour accompagner les entreprises dans leur transition énergétique et écologique, rappelle Loïc Dessaint, responsable de la gouvernance chez Proxinvest. Toutefois, ils ont du mal à user de leurs droits ».

Une référence à l’arrêt Motte non pertinente

Pourquoi ? Pour défendre leur pré carré, les émetteurs invoquent toujours l’arrêt Motte de la Cour de cassation de 1946. Or, cet arrêt est antérieur à la loi de 1966 sur les sociétés et à la loi Pacte de 2019 demandant aux sociétés de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité, a rappelé Antoine Gaudemet, professeur de droit privé à l’université Panthéon-Assas, lors de cette table ronde. Sans compter, le cas d’espèce très particulier : le transfert de tous les pouvoirs du conseil au PDG. En outre, le professeur Gaudemet a souligné la possibilité d’utiliser des résolutions consultatives pour le say-on-pay, avant qu’il ne devienne obligatoire, ou encore pour la cession d’actifs stratégiques, comme le recommande l’AMF. « Desrésolutions externes consultatives sur des sujets extra-financiers doivent donc forcément être inscrites à l’ordre du jour des assemblées car elles n’empiètent pas sur le conseil d’administration, qui reste toujours libre d’en faire ce qu’il veut », souligne Loïc Dessaint, rappelant que le rejet de la rémunération de Carlos Tavares par les actionnaires de Stellantis n’a pas eu de conséquence.

Dans cet éternel débat entre les pouvoirs du conseil d’administration et ceux de l’assemblée générale, l’AMF se refuse à prendre position, contrairement à la SEC américaine, tout en invitant à une clarification de l’état du droit, et conseille aux parties de saisir le tribunal de Commerce. « Mais les investisseurs ne s’inscrivent pas dans une attitude conflictuelle, ils sont dans une logique de dialogue, précise Jean-Philippe Desmartin, directeur de l’investissement responsable chez Edram. Toutefois, après l’instauration des droits de vote double en 2014, la fin du vote neutre, et avec cette absence de règle sur le dépôt de résolution, le dynamisme de gouvernance de la place est à revoir ».

Dans ce contexte, « nous demandons en priorité une clarification des règles de dépôt et d’inscription à l’ordre du jour des résolutions, et une simplification de l’agenda, confie Jean-Philippe Desmartin. Nous sommes plus prudents sur l’abaissement des seuils de détention de capital pour déposer une résolution. Réussir à fédérer des investisseurs pour atteindre ces seuils montre le sérieux de la démarche ».

Que disent les textes ? Selon l’article R225-74 du code de Commerce, le président du conseil accuse réception des demandes d’inscription à l’ordre du jour de projets de résolution dans un délai de cinq jours, et « les projets de résolution sont inscrits à l’ordre du jour ». Très clairement, « le code de Commerce ne donne aucun droit de veto à la société, poursuit Loïc Dessaint. Il n’impose pas non plus une publication immédiate de cette résolution externe. Ce qui donne du temps à l’émetteur pour tenter de faire pression sur les co-déposants de la résolution, afin qu’ils se retirent de la coalition ».

Pouvoir déposer des résolutions dès janvier

Or, déposer des résolutions très en amont des assemblées générales, en janvier ou février, « permettrait de discuter paisiblement avec les émetteurs, poursuit Loïc Dessaint. Cette pratique, courante au Royaume-Uni, permet de désamorcer les tensions et souvent de parvenir à un accord entraînant le retrait de la résolution ». Ainsi, « nous préparons dès maintenant une résolution sur Shell en vue de l’AG 2023 », explique Jean-Philippe Desmartin. Or, en France, le délai est beaucoup plus contraint, d’autant que l’initiateur de la résolution doit aussi certifier sa détention de capital. « Un formalisme particulièrement lourd et chronophage », ajoute Proxinvest.

En outre, « il nous est difficile de dire en amont à une entreprise que nous déposerons une résolution, car nous ne sommes jamais sûrs d’atteindre les seuils de détention de capital, nécessitant un long dialogue avec d’autres actionnaires. Un argument qui peut être utilisé par les sociétés pour ne pas vouloir dialoguer sur ce sujet, confie Clémence Moullot, analyste gérante ISR chez Edram. D’autant que l’on « pourrait nous accuser d’action de concert », poursuit Jean-Philippe Desmartin.

En lançant ce débat, Edram et Proxinvest invitent tous les investisseurs à rejoindre ce combat, pour permettre une préparation transparente et paisibles des assemblées générales 2023. Le Haut Comité juridique de la Place financière de Paris (HCJP) doit publier prochainement un rapport sur le say-on-climate et émettre des propositions. Mais ses groupes de travail sont souvent constitués majoritairement de juristes et d’avocats, défendant les intérêts des émetteurs, avec peu de représentation des investisseurs. Ce qui risque de biaiser les propositions… Quant au Trésor, il pourrait prendre une circulaire afin de préciser que les projets de résolutions déposés dans les règles doivent être inscrits à l’ordre du jour, conformément à l’article R225-74 du code de Commerce. La nouvelle présidente de l’AMF pourrait aussi s’emparer de ce sujet. L’avenir le dira.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles Gouvernance

Contenu de nos partenaires

Les plus lus de
A lire sur ...