
Le contrôle des investissements étrangers mérite davantage de transparence

Une opacité volontaire entoure le contrôle des investissements étrangers en France. La récente annonce par le ministre des Armées de l’interdiction du rachat de Segault, très attendue, remet sur le devant la scène la politique française de contrôles des investissements étrangers. Le ministère de l’Economie, qui est aussi celui de la Souveraineté, est en effet particulièrement attentif aux sujets de défense, de données ou encore d’agriculture….
Dans son rapport annuel d’activité relatif au contrôle des investissements étrangers en France (IEF) publié le mois dernier, Bercy apporte certains éclairages. En 2022, les investissements contrôlés concernaient majoritairement (52%) les infrastructures, biens ou services essentiels (énergie, eau, transport, santé, sécurité alimentaire, technologies critiques, etc.), devant les activités sensibles par nature (24% des dossiers) que sont la défense et la sécurité. Les 24% restants concernent les investissements relevant de ces deux catégories à la fois.
Sur les 325 dossiers déposés (328 en 2021), 131 opérations ont été autorisées au titre du contrôle des investissements étrangers en France, dont 53% sous conditions (54% en 2021). Sur les 42 demandes d’examen préalable, 81% ont conclu à l’inéligibilité des activités à ce contrôle. Un processus qui permet de rassurer les acquéreurs et de sécuriser les opérations.
Le secteur de la défense reste au cœur des contrôles
L’effort de transparence ne va pas plus loin. La France a choisi de ne pas publier le nombre de dossiers refusés et de ne pas rendre publiques ses décisions. Qu’en est-il des près de 50% de dossiers non autorisés ? Sont-ils toujours en cours d’instruction, refusés, retirés, hors champ ? «Plus que des veto de Bercy, nous voyons de plus en plus des retraits de demande d’autorisation à l’issue d’une première phase de discussions avec le ministère, constate Karl Hepp de Sevelinges, avocat associé chez Jeantet. Les investisseurs préfèrent abandonner leur projet face aux demandes de l’Etat jugées inacceptables par l’acquéreur. »
Certains pays sont transparents sur les refus et sur les conditions exigées. «La France n’a pas fait ce choix, constate Hubert Segain, avocat associé chez Herbert Smith Freehills. Elle préfère garder le silence, afin de se laisser les mains libres et de ne pas rendre publiques ses décisions de refus ou les types d’engagements qui ont pu être demandés.»
Si le rapport ne détaille pas les refus, «il fournit plus d’explications sur les priorités de l’Etat dans l’application de la réglementation et fait preuve de plus de pédagogie», se félicite Ruben Koslar, avocat chez Jeantet. Notamment, le rapport de Bercy fait un focus sur le secteur de la défense, secteur historique du contrôle des investissements étrangers. L’an dernier, 42% des investissements contrôlés étaient sensibles au titre d’une activité de défense. Et dans ce secteur, 76% des autorisations étaient sous conditions. «Dans les autres secteurs, environ une autorisation sur deux est sous conditions», estime Hubert Segain.
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Le dialogue informel avec les autorités est essentiel
Les décisions de l’Etat n’étant pas publiques, on ne peut en avoir connaissance qu’en cas de contentieux. «Un recours gracieux devant le ministère de l’Economie redonnerait à l’Etat la possibilité de s’exprimer sur son refus, explique Karl Hepp de Sevelinges. Un recours contentieux pourrait alors être lancé. Mais un investisseur étranger n’a pas le temps d’attendre une décision judiciaire définitive, et surtout veut conserver de bonnes relations avec l’Etat français». En l’absence de jurisprudence et de doctrine, «et compte tenu des différents ministères impliqués, le dialogue informel est essentiel, confie Laurence Vincent, avocate associée chez Herbert Smith Freehills. La clef de la réussite est d’anticiper ces sujets très en amont et de les traiter à part entière dans les opérations de M&A. Même si certaines sont abandonnées chaque année, cela reste rare.»
Avec les lignes directrices de l’Etat, ce rapport, «et notre base de données, nous avons les éléments pour négocier – même si c’est difficile – avec une administration qui fait preuve de disponibilité, de compétence, de réactivité et cherche à comprendre nos priorités», poursuit Karl Hepp de Sevelinges. L’avocat alerte malgré tout sur la nécessité de respecter la confidentialité – élément essentiel du M&A – difficile à tenir quand de nombreux ministères sont impliqués dans le dossier. «Forts de notre expérience, nous avons une certaine vision des engagements demandés et des nationalités plus sensibles, reconnaît Hubert Segain. Nous mettons en place une analyse multicritères (secteur, acteurs concurrents, substituabilité des produits, nationalité de l’investisseur …) pour anticiper les demandes de l’Etat. Le dialogue informel avec les autorités avant le dépôt du dossier permet d’anticiper un certain nombre de ces sujets.»
Qu’attendre de plus au-delà de ce rapport ? «L’insertion dans ce rapport de fiches synthétiques sur les critères d'éligibilité, le déroulé de la procédure de contrôle et de la procédure de sanction laisse présager une mise à jour prochaine par la direction générale du Trésor des lignes directrices publiées en septembre 2022, anticipe Laurence Vincent. Ces lignes directrices ont été très bien accueillies et nous espérons qu’elles seront enrichies de nouveaux exemples.»
L’attractivité de la France ne semble pas en danger
Même si la réglementation française peut avoir un effet dissuasif pour certaines nationalités, le système de contrôle des investissements étrangers «n’engendre pas pour le moment de perte d’attractivité pour la France», estime Hubert Segain. Si certains craignent que ces contrôles se renforcent et que la liste des secteurs protégés s’allonge, «la tendance européenne va vers plus de contrôle dans le sillage de l’exemple français, poursuit Hubert Segain. Nous sommes vus comme le pays fer de lance sur ces questions, avec une des règlementations les plus abouties». La France «va beaucoup plus loin que ses voisins européens, notamment l’Allemagne et l’Autriche. Les entreprises européennes elles-mêmes sont parfois surprises d’être soumises à ce contrôle», constate Ruben Koslar, regrettant le manque d’approche européenne.
Les investisseurs apprennent aussi. «Ils découvrent parfois les particularités du système français quand les discussions sont très avancées avec la cible. Si ces barrières à l’entrée sont dissuasives, elles ne sont pas insurmontables», ajoute Karl Hepp de Sevelinges. Mais certains investisseurs potentiels «sont sur le point d’abandonner l’acquisition d’une société étrangère, si elle détient une petite filiale en France soumise au contrôle de Bercy, craignant une dévalorisation de l’ensemble de la cible, constate Karl Hepp de Sevelinges. Aussi, la France doit avoir une vraie réflexion sur son contrôle, aussi large que sur les entreprises européennes, si l’on veut créer des champions dans l’Union.» La France ne peut pas aller trop loin dans la protection des intérêts nationaux.
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