
L’année où Tesla a perdu sa magie boursière

Le nouveau coup d’éclat d’Elon Musk n’a pas franchement rassuré les actionnaires de Tesla. Le milliardaire a soumis au vote, sur Twitter, la question de son départ de la direction opérationnelle du réseau social – un choix approuvé par 57% des 17 millions de participants à la consultation et qu’Elon Musk promet d’appliquer dès qu’il aura trouvé « quelqu’un d’assez fou pour reprendre [son] job ». L’initiative s’est accompagnée d’un plongeon boursier de 8% de l’action du constructeur automobile, à 137,80 dollars. Au plus bas depuis mi-2020. Si ce nouveau dérapage s’explique en premier lieu par une dégradation d’opinion de la part d’Evercore - le courtier fixe un objectif de 200 dollars -, il illustre la disparition de la magie boursière de Tesla.
En 2022, l’action du numéro un mondial des véhicules électriques lâche 61%, sa pire performance annuelle depuis sa cotation. A la clé, un coup de torchon de 680 milliards de dollars de capitalisation effacés. Soit Stellantis et Renault rayés de la cote... à douze reprises.
Si les frasques d’Elon Musk n’expliquent pas à elles seules une telle disgrâce boursière, elles contribuent à l’alimenter. Tout d’abord, l’homme d’affaires a multiplié les contre-pieds et volte-faces, donnant l’occasion au marché de s’interroger sur la robustesse de ses promesses. Deux exemples : en 2018, Elon Musk obtient un package de rémunération record en échange de l’engagement de se consacrer pleinement au développement du groupe californien. Le chapitre Twitter a prouvé le contraire et vient nourrir les questions sur la conduite opérationnelle du constructeur de véhicules électriques. Pis, le départ de plusieurs cadres de Tesla, comme Jérôme Guillen à l’été 2021, n’a pas été compensé. Le Français qui venait d’être nommé à la tête du projet de poids lourd électrique, était pourtant considéré comme le numéro deux du groupe.
Second exemple, en août dernier, après avoir vendu pour 6,9 milliards de dollars d’actions, une étape qui lui était indispensable pour s’offrir Twitter, Elon Musk promet qu’il ne cèdera plus de titres Tesla. Mais mi-décembre, rebelote : 3,6 milliards de dollars d’actions supplémentaires ont de nouveau été cédées. De quoi porter le compteur des cessions à environ 40 milliards de dollars sur l’année et réduire sa part à 13,4% du capital contre 17% il y a un an, selon Refinitiv.
Gourmand en capital
Cette ligne de conduite en zigzag et la personnalisation extrême du groupe à travers son premier actionnaire contribuent non seulement à nourrir les doutes des investisseurs, mais aussi désormais ceux d’une clientèle jusqu’ici pourtant acquise. Très urbaine, elle a fait de Tesla un marqueur social, sinon d’engagement. Or, les excès perçus d’Elon Musk - qui ne cache pas ses convictions libertariennes - associés à la brutalité de la gestion des équipes chez Twitter, abîment les valeurs associées à la marque Tesla. « L’objectif de Tesla n’est pas d’être Ferrari, avec des délais d’attente de six à douze mois. Or, la compression des délais d’attente pour les livraisons amène à s’interroger sur la demande », estime un analyste du secteur automobile, basé à Londres qui poursuit : « Tesla a influencé l’industrie automobile de façon impressionnante et irrémédiable. Mais aujourd’hui, la concurrence est là et le choix pour les consommateurs s’est grandement élargi.»
Que va faire le groupe face au ralentissement de sa croissance ? A l’heure où son pouvoir de prix s’affaiblit, l’une des options serait de se lancer dans une bataille tarifaire. Le moment est délicat alors que la gamme est en train de vieillir. Ultraconcentrée sur quelques modèles, pensée pour transcender les segments, elle manque de renouvellement. Un relookage de la ligne de la Modèle 3 est évoqué pour le 3e trimestre 2023. Sans certitude.
Or, pour utiliser cette carte tarifaire, Tesla devra être capable de rentrer dans une course aux volumes. A condition que ses usines suivent. « Tesla a fait bouger les lignes, prouvant que les choses peuvent être faites différemment, mais la croissance industrielle est un challenge permanent dans le secteur automobile. Elle nécessite des capitaux colossaux pendant des années. Or, certains raccourcis pour gagner du temps se payent en réalité pendant longtemps », explique Bertrand Rakoto, consultant automobile chez Ducker Carlisle, à Detroit. Ainsi, les choix d’installer des sites de production à Berlin en Allemagne et à Austin au Texas, deux zones dépourvues de tradition, de main d’œuvre et d’écosystèmes automobiles, doivent encore prouver leur pertinence. « Aujourd’hui, le modèle économique de Tesla n’est pas d’avoir des véhicules qui roulent mais bien de les sortir d’usine, car c’est là qu’il y réalise ses marges. Quand pour les constructeurs plus généralistes, c’est la vie du véhicule qui alimente les marges, grâce à l’entretien, aux pièces détachées », poursuit Bertrand Rakoto. Aujourd’hui, « rien de ce que fait Tesla n’est hors de portée de ses concurrents », renchérit pour sa part l’analyste londonien, qui reconnaît toutefois au groupe américain une avance sur la concurrence d’environ trois années sur le terrain logiciel.
Multiples généreux
Dès lors, la bascule d’un positionnement luxe, à la Ferrari ou Porsche, vers une logique de volumes sera délicate. La conjugaison de ces éléments a redonné des arguments aux pessimistes sur le titre. Certes, avec le recul boursier, l’action a gommé l’essentiel de ses excès de valorisation. Elle reste encore bien lotie à 24,2 fois le bénéfice net escompté en 2023 par le consensus des analystes rassemblé par Factset et 19,1 fois celui de 2024.
Avec une valeur d’entreprise qui représente 17,4 fois l’excédent brut d’exploitation (Ebitda) anticipé pour 2023, Tesla qui s’échange 22,6 fois le flux de trésorerie, garde une prime moyenne de 300% à 350% face aux multiples de valorisation de ses concurrents. Une générosité persistante qui interdit désormais au groupe - et à son pilote - tout nouvel écart de conduite.
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