
L’AMF planche sur des manquements d’initiés chez Maisons du Monde

Un manquement d’initiés a ouvert la saison 2022-2023 de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés français (AMF). Le gendarme boursier reproche à Yohann Catherine, ancien directeur exécutif exploitation de Maisons du Monde d’avoir transmis deux informations privilégiées à son ami Rémi Guillet, ancien directeur financier, puis directeur supply transport, de Maisons du Monde jusqu’en 2018. Ce dernier est soupçonné d’avoir utilisé ces informations privilégiées. Le Collège demande une sanction pécuniaire de 120.000 euros à l’encontre du premier et de 200.000 euros pour le second.
L’utilisation des fadettes continue à être reprochée à l’AMF
Au préalable, tant la représentante du Collège que la rapporteure de la commission des sanctions ont écarté les moyens procéduraux invoqués par la défense. Cette dernière reproche à l’AMF d’avoir obtenu des données de connexions téléphoniques – les fameuses fadettes – de manière illégale. Un moyen de défense régulièrement utilisé et qui devrait continuer à l’être depuis les récentes jurisprudences de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 20 septembre 2022 et de la Cour de cassation du 16 décembre 2022.
Pour l’AMF, la procédure, comprenant notamment l’autorisation préalable de demande de connexions, a bien été respectée. Tout comme les critères fixés par la Cour de cassation : demande dans le cadre d’une enquête pour abus de marché, gravité suffisante (l’AMF invoque une atteinte au bon fonctionnement du marché) et conservation des données seulement le temps nécessaire. Une vision contestée par la défense, estimant que la criminalité grave invoquée par les textes ne correspond pas au cas d’espèces puisque les transactions réalisées ont permis de réduire les pertes à hauteur de 34.000 euros seulement.
L’AMF veut les fadettes, poursuit la défense. «Vous n’avez pas le droit et vous continuez. Vous, avec le Conseil d’Etat, la CJUE, la Cour de cassation, dîtes cela ne change rien, tempête Caroline Mirieu de Labarre, avocate de Rémi Guillet. C’est choquant sur le terrain du principe.» Elle reproche à l’AMF de faire des fadettes un élément déterminant du faisceau d’indices. «Sans cette conversation, il n’y a pas de transmission d’informations», poursuit-elle. Les fadettes s’inscrivent dans le cadre d’un faisceau d’indices, mais n’influent pas de manière déterminante, explique néanmoins la rapporteure.
Les mis en cause invoquent aussi une atteinte à la vie privée. L’AMF rétorque qu’elle a besoin de collecter des données patrimoniales afin de pouvoir fixer une sanction juste et équitable. Enfin, ils réclament le droit à un procès équitable.
«Tu vas aller en taule, jette ton téléphone»
La première information privilégiée porte sur la hausse attendue de 9,6% du chiffre d’affaires de Maisons du Monde au premier trimestre 2019. Elle était connue de Yohann Catherine dès le 11 avril 2019 via un courriel de la direction financière. Information non publique jusqu’au communiqué de presse du 9 mai après Bourse, annonçant une hausse de 9,9% des ventes légèrement au-dessus du consensus des analystes. De plus, cet indicateur, clé pour le groupe, était susceptible d’avoir un impact sur le cours de l’action. En outre, l’AMF rappelle que Yohann Catherine avait été informé de son inscription sur la liste d’initiés.
Dès le 17 avril, Yohann Catherine adresse un SMS à Rémi Guillet indiquant «Q1 proche de 10%». Lors du conseil d’administration du 9 mai auquel était invité le comex, Yohann Catherine poursuit ses SMS : «Faut se placer», «Bon achat, je peux pas, moi». Ce qui constitue une recommandation d’achat pour l’AMF. Rémi Guillet lui répond à 17h55, juste après la publication du communiqué de résultats «Tu vas aller en taule, jette ton téléphone». Ce SMS «est utilisé pour ‘marketer’ le dossier, regrette Yohann Catherine. L’information était publique. C’était une blague entre amis. » Mais pour le président de la commission des sanctions, ce SMS peut être lu au second degré et montre que le risque est passé.
Le mis en cause ne pouvait ignorer que l’information était privilégiée
La seconde information privilégiée concerne la baisse de l’Ebitda au premier semestre 2019. Information détenue dès le 22 juillet après la tenue d’un comex préparant le communiqué de résultats du 29 juillet, précise l’AMF. Dans un SMS à son ami, Yohann Catherine indique : «CA très bon, Ebitda pas top». Ils s’appellent le soir même. Dans la foulée et le lendemain, Rémi Guillet passe des ordres de vente sur la totalité de sa ligne, soit 17.000 titres, un volume atypique pour cet investisseur, explique l’AMF. Investisseur aguerri, Rémi Guillet «ne pouvait ignorer que l’information reçue de Yohann Catherine était privilégiée», selon la rapporteure. Mais la défense ne voit aucun atypisme dans les opérations de Rémi Guillet, «qui n’a jamais agi en fonction de supposées détentions d’informations privilégiées». Rémi Guillet précise sa stratégie d’investissement fondée sur les évolutions du cours de Bourse et non sur les résultats de la société.
Débat sur le coefficient multiplicateur utilisé pour la sanction
Grâce à ces informations privilégiées, Rémi Guillet a acquis 4.000 titres en mai et en a cédé 17.000 en juillet, réalisant une économie globale allant de 34.490 euros à 58.760 euros en fonction du cours de clôture ou d’ouverture. La défense de Rémi Guillet demande à la commission de suivre sa propre jurisprudence récente en appliquant un coefficient multiplicateur de 1,43 à 2,1 et non de 6.
Ces comportements sont «graves et doivent être réprimés sévèrement, martèle la représentante du Collège. Ces pratiques portent atteinte à l’égalité de traitement des investisseurs, à la transparence et à l’intégrité des marchés». La sanction doit être proportionnée à la faible gravité des manquements, rétorque la défense, mettant en avant l’absence d’enrichissement personnel, une situation financière fragile et le risque de perte d’emploi.
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