La directive européenne CSDD renforcera les devoirs des entreprises

Les entreprises devront s’impliquer davantage pour prévenir les effets de leur activité négatifs pour l’environnement et le social.
Avocat Counsel, CMS Francis Lefebvre
Avocat, CMS Francis Lefebvre
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Louise Paysant, Avocat et Véronique Bruneau Bayard Avocat Counsel, CMS Francis Lefebvre.  - 

L’actualité récente a été dominée par l’adoption, le 14 décembre 2022, de la directive dite « CSRD » (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui s’appliquera progressivement à compter du 1er janvier 2024 et remplacera la directive NFRD (Non Financial Reporting Directive) qui encadre aujourd’hui les déclarations de performance extra-financière des sociétés européennes. La directive CSRD harmonisera le reporting de durabilité des entreprises ainsi que la disponibilité et la qualité des données ESG publiées.

Cette actualité a mis au second rang la proposition de directive adoptée il y a un peu plus d’un an, le 23 février 2022, par la Commission européenne, la directive dite « CSDD » (Corporate Sustainability Due Diligence), afin de renforcer l’implication des entreprises en matière d’atteintes aux droits humains et à l’environnement afin qu’elles adoptent un comportement durable et responsable tout au long des chaînes de valeur mondiales. Cette proposition de directive vise à faire peser sur les entreprises une obligation d’exercer un devoir de vigilance afin de prévenir, de faire cesser ou d’atténuer les incidences négatives, réelles et potentielles, de leurs activités sur les droits de l’homme (comme le travail des enfants par exemple) et sur l’environnement (pollution, perte de biodiversité, etc.). Les entreprises devront intégrer la durabilité́ dans leurs systèmes de gouvernance et de gestion d’entreprise et élaborer leurs décisions commerciales au regard de leurs incidences sur les droits de l’homme, le climat et l’environnement. Cette proposition de directive s’appliquera aux opérations propres aux entreprises, à leurs filiales et à leurs chaînes de valeur (relations commerciales établies de manière directe et indirecte).

Afin de respecter ce devoir de vigilance, les entreprises devront : l’intégrer dans leurs politiques ; recenser, prévenir ou atténuer les incidences négatives réelles ou potentielles sur les droits de l’homme et l’environnement ; mettre un terme aux incidences réelles ou les réduire au minimum ; établir et maintenir une procédure de réclamation; contrôler l’efficacité de leur politique et des mesures de vigilance et communiquer publiquement sur le devoir de vigilance. Cela devrait se traduire par des conditions de travail plus sûres pour les travailleurs et une diminution des incidences négatives sur l’environnement.

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Autorité de contrôle

Concrètement, les entreprises devront prendre des mesures appropriées en fonction de la gravité et de la probabilité des différentes incidences en fixant des priorités. Elles devront ainsi réaliser les investissements qui s’imposent dans leurs processus de gestion ou de production, demander des assurances contractuelles à leurs partenaires commerciaux directs afin qu’ils garantissent le respect des normes en matière de droits de l’homme, et contrôler ce respect. Dans chaque Etat membre, une autorité sera chargée de contrôler le respect de ces nouvelles règles et d’infliger des amendes en cas d’infraction. Les victimes auront la possibilité d’intenter une action en justice pour les dommages occasionnés qui auraient pu être évités grâce à des mesures de vigilance appropriées.

Afin que le devoir de vigilance fasse partie du fonctionnement global des entreprises, il est nécessaire d’y associer les administrateurs des entreprises. Ainsi, la proposition de directive a introduit l’obligation pour les administrateurs de mettre en place et de superviser la mise en œuvre du devoir de vigilance et de l’intégrer dans la stratégie de l’entreprise. Lorsqu’ils s’acquittent de leur obligation d’agir dans le meilleur intérêt de l’entreprise, les administrateurs doivent tenir compte des conséquences de leurs décisions sur les questions de durabilité, y compris, le cas échéant, sur les droits de l’homme, le changement climatique et l’environnement, à court, moyen et long terme.

La proposition de directive devrait tout d’abord s’appliquer aux entreprises européennes de plus de 1.000 employés et réalisant un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros puis à celles de plus de 500 employés. Les députés européens ont souhaité que ces règles concernent également les petites entreprises. La commission économique a voté en janvier dernier pour inclure les entreprises européennes de plus de 250 employés et réalisant un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros et les entreprises européennes qui opèrent dans des secteurs à haut risque comme l’industrie textile et qui ont plus de 50 employés et réalisant un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros.

Un certain nombre d’Etats membres ont déjà introduit des règles nationales sur le devoir de vigilance et certaines entreprises ont pris des mesures de leur propre initiative. En France, il est admis depuis longtemps qu’une gouvernance durable génère des conséquences positives, non seulement pour la société, mais pour l’ensemble des parties prenantes : les salariés, l’environnement, les économies locales, etc. Ainsi, une loi du 27 mars 2017 a créé un devoir de vigilance pour les sociétés qui emploient 5.000 salariés dans leurs sociétés françaises ou 10.000 salariés dans leurs sociétés françaises et étrangères. Ces dernières doivent établir et mettre en œuvre un plan de vigilance qui a vocation à être élaboré avec les différentes parties prenantes de la société. Il comprend des mesures de vigilance raisonnables afin d’identifier les risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes et l’environnement résultant des activités de la société et de ses filiales, mais également des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels une relation commerciale suivie, stable et habituelle est établie.

C’est donc en se basant sur ce devoir de vigilance que TotalEnergies a été poursuivi en référé par plusieurs ONG afin de stopper des projets en Ouganda et en Tanzanie qui selon eux violaient les droits humains et environnementaux le temps de juger l’affaire sur le fond. Fin février, le juge du référé a indiqué que TotalEnergies avait mis en place un plan de vigilance et a renvoyé les parties sur le fond afin apprécier la conformité et/ou le respect du plan de vigilance. Une autre action judiciaire vient d'être lancée en février contre BNP Paribas par trois ONG pour non-respect de son devoir de vigilance et pour sa responsabilité dans la crise climatique. Il est reproché à la banque de continuer à soutenir financièrement des projets de production de pétrole et de gaz.

En France, le devoir de vigilance n’est donc pas une notion abstraite et théorique mais un véritable engagement que les entreprises doivent respecter, qu’il s’agisse de protection des droits de l’homme ou de l’environnement, pour ne pas voir leur responsabilité engagée.

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