
La Cour de cassation rappelle à l’AMF l’obligation d’exécuter une décision de justice

A force de vouloir à tout prix trouver des manquements d’initiés, l’Autorité des marchés financiers (AMF) se prend les pieds dans le tapis. Le gendarme boursier vient de subir deux sérieux revers, devant la cour d’appel de Paris et devant la Cour de cassation, en matière de visites et saisies. Pourtant, elle avait obtenu une victoire décisive en décembre dernier, quand l’assemblée plénière de la Cour de cassation a autorisé ses enquêteurs à saisir les ordinateurs et téléphones dans le cadre d’une visite domiciliaire, même si les personnes mises en cause n’en sont pas les occupants et ne sont que de passage dans ce lieu.
Le 5 mai 2020, l’AMF a ouvert une enquête à l’encontre de Henri Dong, citoyen français né en Chine, soupçonné d’avoir communiqué ou utilisé une information privilégiée sur les titres Atos, Worldline et Ingenico, d’une part, et sur les titres Suez et Devoteam, d’autre part. Henri Dong et sa société Rational Colour ont acquis 20.100 instruments financiers Atos le 21 janvier 2019, revendus le 30 janvier avec une plus-value de plus de 162.000 euros. Le même jour, Atos annonçait son projet de distribution d’une partie du capital de Worldline. En janvier 2020, les mêmes ont acquis 12.006 titres Ingenico, revendus après l’annonce, le 3 février, du rachat d’Ingenico par Worldline, dégageant plus de 201.000 euros de plus-value.
Dans le cadre de ces affaires, le juge des libertés et de la détention (JLD) a autorisé l’AMF en décembre 2020 à réaliser une visite domiciliaire chez Henri Dong à Paris. Les opérations de visite et saisie ont eu lieu le 21 décembre 2020 pendant près de douze heures. Henri Dong a fait appel de l’ordonnance autorisant ces visites.
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Ordonnance de visite non signée
Par son ordonnance du 2 mars 2022, la cour d’appel de Paris a jugé que la décision autorisant la visite domiciliaire ne pouvait être qualifiée d’«inexistante», bien que l’ordonnance de visite présentée ne soit pas signée par le magistrat. Face aux «incohérences» de l’AMF, invoquant notamment une copie de la décision régularisée a posteriori, la juge d’appel a dû ordonner une mesure d’instruction auprès du JLD, qui a confirmé avoir remis un seul original de l’ordonnance signée à l’AMF. Premier tacle pour le gendarme boursier.
Surtout, la cour d’appel a annulé toutes les opérations de visite et de saisie en raison de «l’absence de tout contrôle de la part du juge», pourtant exigé par l’article L.621-12 du Code monétaire et financier. L’ordonnance prévoyait bien qu’un officier de police judiciaire (OPJ) assiste aux opérations de visite et de saisie et tienne le JLD «informé de leur déroulement». Cette «obligation d’information des enquêteurs de l’AMF et OPJ auprès du JLD n’est pas cosmétique. Et, en l’espèce, elle n’était pas conditionnée à la survenance d’une difficulté, précise bien la cour d’appel», rappelle Pierre-Philippe Boutron-Marmion, avocat associé du cabinet Boutron-Marmion Associés et avocat de Henri Dong. Or, le procès-verbal ne mentionne pas que le JLD a été régulièrement informé. Ce manquement «apparaît comme une difficulté majeure portant grief», selon la décision. Le juge invoque également la jurisprudence de la Cour de cassation et de la CEDH.
L’annulation de la saisie entraîne la restitution des documents
Conséquence de l’annulation de cette saisie, l’AMF «devra procéder à la restitution de l’ensemble des documents saisis à Henri Dong, sans possibilité d’en garder copie», conclut l’arrêt. Deuxième tacle pour l’AMF. «La cour d’appel réaffirme l’effectivité des droits de la défense dans ces procédures AMF et le fait que tant les enquêteurs de l’AMF que les officiers de police judiciaire doivent être particulièrement vigilants et rigoureux dans la mise en œuvre d’une visite domiciliaire», se félicite Pierre-Philippe Boutron-Marmion. Néanmoins, l’AMF s’est alors pourvue en cassation, sans restituer les documents.
Henri Dong a alors demandé devant la Cour de cassation la radiation du pourvoi de l’AMF. Dans une ordonnance du 16 mars 2023, la Cour de cassation a conclu que «la spécificité des missions de l’AMF ne saurait, à elle seule, justifier qu’elle puisse prétendre être dispensée d’exécuter les décisions contre lesquelles elle forme un pourvoi en cassation». Elle a ainsi radié le pourvoi formé par l’AMF. Troisième tacle. «Un sérieux rappel de la Cour de cassation à l’adresse de l’AMF», souligne Pierre-Philippe Boutron-Marmion. Pour justifier son défaut d’exécution, l’AMF a pourtant tenté de faire valoir que cette exécution «serait de nature à entraîner des conséquences irrémédiables en l’absence de toute garantie que les documents ainsi restitués ne seront pas détruits ou distraits par M. Dong, compromettant ainsi des mois d’enquête». Le gendarme boursier invoque aussi des «considérations impérieuses», comme sa mission de protection de l’ordre public économique.
L’AMF garde le silence
En attendant, «l’AMF ne pourra pas réinscrire son pourvoi tant qu’elle n’aura pas restitué les documents saisis, explique Pierre-Philippe Boutron-Marmion. Elle ne peut pas non plus les utiliser dans le dossier puisqu’il lui est interdit d’en conserver la copie. Elle peut néanmoins continuer à enquêter si elle le souhaite».
Si elle continuait à poursuivre Henri Dong, l’AMF pourrait théoriquement imposer une amende allant jusqu’à dix fois l’avantage retiré, soit plus de 3,6 millions d’euros. En pratique, elle applique plutôt un multiple de quatre à cinq fois.
A ce jour, l’AMF n’a toujours pas restitué les documents saisis. Contactée par L’Agefi, elle s’est refusée à tout commentaire.◆
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