Doter le conseil d’administration d’un budget pourrait conforter son indépendance

Si l’appel à des experts, permis par les moyens financiers accordés au conseil, peut permettre d’éviter les conflits d’intérêts, il ne doit pas aboutir à une guérilla avec la direction.
Conseil d’administration
Proxinvest recommande de doter d’un budget autonome les comités spécialisés du conseil.  -  Adobe stock

Révolution. Dans la version 2023 de ses recommandations sur le gouvernement d’entreprise, l’Association française de la gestion financière (AFG) a discrètement ajouté : « Il est souhaitable que le conseil d’administration dispose d’un budget autonome, dont l’engagement et le contrôle soient placés sous la responsabilité du président non exécutif ou de l’administrateur référent ». En mars dernier, Jean-Florent Rérolle, directeur général de VienGi (Valeur et Gouvernance) avait déjà lancé cette idée de doter le conseil de moyens financiers « pour acquérir les informations dont il a besoin ». Des investisseurs en font déjà un des éléments de leur politique d’engagement avec les entreprises. Certaines agences de conseil en vote aussi.

Des moyens utiles à la mission du conseil

Dans ses principes de gouvernement d’entreprise, Proxinvest recommande déjà de doter d’un budget autonome les comités spécialisés du conseil. « Ces budgets doivent être sous la responsabilité du président non exécutif ou de l’administrateur référent, explique Jehanne Leroy, directrice de la recherche ESG France chez Proxinvest. Ils peuvent par exemple être utilisés pour renforcer la formation des membres du conseil sur un sujet spécifique, comme la RSE ». Ou encore sur l’expertise des actifs immobiliers du groupe. Actuellement, les comités de rémunération des grands groupes sont souvent les premiers à faire appel à des cabinets extérieurs face à la complexité des systèmes de rémunération des dirigeants. « Pour exercer sa mission de définition de stratégie et de surveillance de l’entreprise, le conseil doit disposer de toute l’information pertinente, rappelle Caroline Ruellan, présidente de SONJ Conseil. Notamment dans le cas d’opérations de marchés (M&A, offres publiques hostiles…) et d’incursions activistes, le conseil peut avoir besoin d’informations contradictoires afin de se forger sa propre opinion, qui peut être différente de celle du management ». Sans pour autant adopter une approche de conflit ouvert avec la direction en remettant systématiquement en cause ses due diligences. Le dialogue doit prévaloir, sinon l’administrateur devrait plutôt démissionner pour manifester son mécontentement.

En outre, cette faculté de disposer d’un budget autonome « peut permettre de sortir le conseil d’éventuels conflits d’intérêts, explique Caroline Ruellan. En cas de dissymétrie d’informations entre le management et le conseil, l’appel à un expert extérieur peut se révéler utile. Il revient en effet au conseil de demander toute information qu’il juge pertinente pour l’exercice de ses missions. L’un de ses rôles majeurs est de ‘challenger’ la direction, notamment quand un PDG dirige l’entreprise ». Accorder des moyens financiers au conseil permet aussi de « renforcer l’indépendance des administrateurs par rapport à la direction, précise Charles Pinel, directeur général de Proxinvest. Notamment sur la rémunération des dirigeants, souscrire à d’autres sources que celles fournies par le management permet d’apporter une vision complémentaire utile à la réflexion du comité des rémunérations ».

Moindre pertinence pour les valeurs moyennes

Quant à cette enveloppe pécuniaire, « elle doit être encadrée dans son montant, insiste Caroline Ruellan. De manière générale, le recours aux expertises et conseils, s’ils sont nécessaires pour guider le conseil, doit être limité en nombre et en montant, sous le contrôle du président non exécutif ou de l’administrateur référent ». Pour les valeurs moyennes, « en particulier lorsqu’elles sont contrôlées, la constitution d’un budget autonome pour le conseil est un non-sujet quand la gouvernance fonctionne, confie Caroline Weber, directrice générale de Middlenext. D’expérience, la direction ne refuse pas une expertise complémentaire demandée par les administrateurs dans le cadre d’un dialogue équilibré ». Pour leur part, le Medef et l’Institut français des administrateurs (IFA) n’ont pas souhaité commenter cette recommandation de l’AFG. Elle doit encore faire son chemin.

Proxinvest regarde surtout les éléments de « professionnalisation » de l’administrateur à l’aune du compte-rendu du président sur les activités du conseil. « Lorsqu’il est fait mention de formations ou d’usage de consultants externes sur un sujet spécifique dans le compte-rendu du président sur les activités du conseil, ces signes peuvent être interprétés comme une amélioration des compétences des administrateurs sur des sujets clés », poursuit Jehanne Leroy.

En attendant, « tout ce qui contribue à renforcer l’indépendance et la compétence du conseildans la recherche de l’intérêt social va dans le bon sens. Mais le conseil ne doit pas transférer pour autant aux experts la décision de façon insidieuse. C’est aux administrateurs qu’il revient de décider car ce sont eux qui engagent leur responsabilité, notamment vis à vis des actionnaires », conclut Caroline Ruellan.

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