SOUVERAINETE EUROPEENNE - Un chemin semé d’embûches

SOUVERAINETE EUROPEENNE
Mathieu Solal, à Bruxelles
Conseil-européen
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« Parvenir à une autonomie stratégique », « mener une politique industrielle ambitieuse », « se protéger des pratiques déloyales et abusives et assurer la réciprocité ». Telles sont les ambitions affichées par le Conseil européen pour l’approfondissement du marché unique dans les conclusions particulièrement longues et détaillées sur lesquelles les 27 chefs d’Etat et de gouvernement se sont entendus vendredi 2 octobre.

L’évolution est notable, pour un Conseil habitué des conclusions fades sur l’approfondissement du marché unique. « Avant, on parlait de politique commerciale, de protection des données personnelles ou de politique de concurrence. Là, on parle d’une autonomie stratégique et d’une politique industrielle derrière. C’est tout à fait nouveau au Conseil européen », fait valoir Alan Hervé, chercheur spécialiste des relations entre l’Union européenne et le reste du monde à Sciences Po Rennes.

Ces conclusions, qui impliquent à la fois politique industrielle, droit de la concurrence et relations commerciales, viennent ainsi consacrer au plus haut niveau une évolution déjà perceptible depuis plusieurs mois à Bruxelles vers le concept de souveraineté européenne porté par Emmanuel Macron depuis son élection en 2017. Reste à transposer en acte cette approche nouvelle, ce qui promet de ne pas être une mince affaire.

De ce point de vue, la mise en place d’une politique industrielle commune paraît à la fois la plus consensuelle et la plus avancée. Le commissaire au Marché intérieur Thierry Breton, auquel les Vingt-Sept apportent leur soutien dans leurs conclusions, a d’ores et déjà présenté un plan visant à répertorier et soutenir les différents « écosystèmes industriels » européens sous la forme d’une action réglementaire, d’un déblocage de fonds ou de l’utilisation optimale des instruments de défense commerciale.

Par ailleurs, les Etats-membres ont récemment lancé plusieurs alliances industrielles dans des secteurs considérés comme stratégiques tels que les batteries, l’hydrogène ou encore les matières premières. Ils demandent aussi à Bruxelles d’identifier les dépendances stratégiques de l’UE vis-à-vis des pays tiers, notamment dans le secteur de la santé et de proposer des mesures pour y remédier.

Le noeud de la concurrence

« Ces initiatives font l’objet d’un soutien fort, mais la difficulté risque de venir au moment où il faudra choisir des ‘champions européens’ qui pèsent au niveau international », estime Iain Begg, de la London School of Economics (LSE). « Les champions choisis n’ont souvent pas livré les résultats escomptés. Par exemple, dans les chantiers navals ou le secteur de l’acier, les efforts pour avoir une présence européenne n’aboutissent pas. Le seul bon exemple est Airbus, qui réussi à rivaliser avec Boeing », poursuit le Britannique, spécialiste des questions économiques européennes. Si la volonté de l’Europe de soutenir une politique industrielle commune est réelle, sa capacité à soutenir efficacement reste donc à prouver.

Plus encore, la notion même de champion européen risque de s’avérer problématique, selon Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors. « Les ‘champions’ font peur aux petits pays, qui craignent que leur tissu de PME se retrouve écrasé. L’Europe est constituée de beaucoup de petits pays et la Commission aura la difficile tâche de trouver un équilibre entre érection de champions et gages donnés aux petits pays, en évitant notamment les abus de position dominante », analyse l’ancien journaliste français.

Plus largement, les ambitions européennes risquent d’entrer en collision avec le droit de la concurrence, comme le rappelle par exemple l’échec de laV fusion entre Siemens et Alstom en 2019. « Une politique industrielle proactive nécessite une révision du droit de la concurrence à la fois concernant les concentrations et les aides d’Etat. Or, ce sujet est bien moins consensuel, que ce soit entre Etats-membres ou entre économistes », alerte Isabelle Mejean, de l’Ecole Polytechnique. « Limiter la concentration a indubitablement des effets bénéfiques sur l’économie et les évolutions du droit de la concurrence devront donc être bien réfléchies », continue l’économiste.

Sur le sujet, les résistances devraient venir de l’Europe du Nord et en particulier la Scandinavie, idéologiquement opposée aux aides d’Etat et aux concentrations. Les Etats-membres devront également composer avec l’intransigeance de la commissaire à la Concurrence danoise, Margrethe Vestager.

Les lignes devraient être à peu près les mêmes sur la question de la réciprocité en matière de politique commerciale et d’investissement, les Etats exportateurs continuant de craindre qu’ériger des barrières à l’entrée du marché unique ne provoque des représailles venues de leurs partenaires commerciaux. De ce point de vue, la mise en oeuvre du livre blanc sur les subventions étrangères présenté par la Commission en juin aura valeur de test pour une Europe en quête de souveraineté.

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