RÈGLES BUDGÉTAIRES - La bataille qui attend l’Europe

Les économistes et les institutions financières internationales viennent grossir les rangs des tenants d’une réforme du Pacte de stabilité et de croissance. Mais les critères de Maastricht ont la peau dure.
Clément et Mathieu Solal, à Bruxelles
Bruno Lemaire
Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances.  -  Bloomberg

« Les règles budgétaires européennes devront être réévaluées pour prendre en compte la réalité, et cette réalité inclut les niveaux de dette les plus hauts de notre histoire, les taux d’intérêt les plus bas de notre histoire et les besoins en investissements les plus importants de notre histoire », lançait le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire au Financial Times le 26 janvier.

Après la saga du plan de relance, la France prépare ainsi le terrain en vue d’une joute européenne qu’elle attend depuis de nombreuses années et qui portera cette fois sur le futur du Pacte de stabilité et de croissance, lequel prévoit le maintien du déficit et de la dette publics des pays de la zone euro respectivement sous la barre des 3 % et des 60 % du PIB. La volonté française de révision de ces règles est partagée de longue date par un bon nombre d’Etats membres, qui critiquent tant leur caractère dogmatique que leur biais procyclique. « La dernière réforme était censée gommer cet aspect par un calcul du déficit structurel des Etats, indépendamment du cycle économique, afin de s’endetter en temps de crise et de consolider davantage en phase de croissance. Ce calcul s’est avéré impossible. Les règles sont par conséquent devenues extrêmement complexes et leur application dépendante de l’interprétation qu’en a fait la Commission », rappelle Andreas Eisl, de l’Institut Jacques Delors.

Résultat : leur mise en œuvre s’est transformée en un processus purement politique au travers duquel l’exécutif européen, peu enclin à user de son pouvoir de sanction prévu par la procédure de déficit excessif, préfère négocier avec les nombreux Etats qui n’entrent pas dans les clous. Si sa lettre n’est pas mise en application, les objectifs du Pacte de stabilité induisent ainsi un dogme de la vertu de l’équilibre budgétaire qui structure le clivage délétère entre Etats du Nord et du Sud du continent et met régulièrement la Commission européenne dans le rôle inconfortable de redresseur de torts.

Consensus

Au cœur d’une crise qui a provoqué la suspension de ces règles budgétaires par Bruxelles, pour permettre aux Etats de soutenir leurs économies, les tenants d’une réforme se sont trouvés de nouveaux alliés. « Il est aujourd’hui dangereux d’avoir les yeux rivés sur les équilibres budgétaires. Cela ne signifie pas que la dette ne compte pas mais, au vu du niveau des taux d’intérêt, il faut investir plus maintenant pour avoir des perspectives de croissance. Le vrai risque serait d’entrer dans une spirale récessionniste qui rendrait alors la dette très difficile à rembourser. Ce raisonnement fait l’objet d’un véritable consensus parmi les économistes internationaux », analyse Nicolas Véron, du think tank Bruegel.

Les institutions monétaires internationales plaident également en ce sens. « Le fait que même des acteurs traditionnellement restrictifs sur le plan budgétaire, tels que le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque centrale européenne – qui se heurte aux limites de la politique monétaire –, appellent à une politique budgétaire proactive montre à quel point la prise de conscience de la stabilité des taux bas et des erreurs de la crise précédente est large », estime Andreas Eisl. « Toute cette pression devrait amener à une réflexion profonde en Europe, y compris au sein de la Commission, prédit encore le chercheur autrichien, spécialiste de la macroéconomie européenne. Je miserais donc sur une réforme substantielle. Les discussions de ces prochains mois vont servir à définir le champ des possibles. »

Les pistes ne manquent pas. Le Comité budgétaire européen, organe consultatif indépendant créé par Bruxelles, préconise par exemple la mise en place de règles plus souples qui excluraient du calcul des dépenses les investissements d’avenir. Le très écouté Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, propose quant à lui de se départir du concept même de règles budgétaires pour laisser place à une évaluation qualitative de la soutenabilité budgétaire des Etats, qui prendrait enfin en compte la charge d’intérêts.

Incertitude allemande

Reste à convaincre le nord du continent de la nécessité de cette réforme. Les Pays-Bas, qui avaient eu le bon goût de demander une enquête sur les finances publiques italiennes au creux de la première vague pandémique, seront sans doute les plus réfractaires. Dans les coulisses bruxelloises, les diplomates des Etats du Nord font par ailleurs déjà pression pour que la mise en œuvre du fonds de relance soit assortie, pour les Etats du Sud et la France, de réformes structurelles susceptibles de réduire la dépense publique à moyen terme (lire ‘La parole à…’).

L’avenir des règles budgétaires européennes se jouera surtout à Berlin et dépendra particulièrement de l’issue des élections fédérales qui se tiendront en septembre. Les derniers développements outre-Rhin n’incitent pas à l’optimisme. Le chef du cabinet d’Angela Merkel, Helge Braun, qui appelait le 26 janvier à modifier la règle d’or inscrite dans la Constitution depuis 2016, s’est en effet vu recadrer par l’ensemble de son parti, du porte-parole de la chancelière au nouveau président de la CDU, Armin Laschet, candidat probable de la formation politique dominante en Allemagne.

La sortie de Helge Braun aura au moins eu le mérite de lever un tabou. Par ailleurs, les Verts, déjà pressentis pour former le prochain gouvernement avec l’Union CDU-CSU, comptent bien imposer un assouplissement de l’orthodoxie budgétaire. Après l’aggiornamento allemand sur le principe de l’emprunt commun, qui a permis le plan de relance européen, l’espoir n’est donc pas interdit. A Berlin comme à Bruxelles, le débat aura en tout cas lieu.

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