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PIB en hausse, menaces en vue : l’Europe sur un fil entre Etats-Unis et Chine

La publication d’une croissance de 0,4% du PIB de la zone euro au premier trimestre 2025 est une bonne surprise. Cette augmentation s’explique cependant en grande partie par le «front running» des exportations vers les États-Unis, notamment dans le secteur pharmaceutique, avec des flux marqués depuis l’Irlande, la Belgique et, hors Union européenne, la Suisse. La croissance bénéficie donc d’un coup de pouce ponctuel qui devrait s’inverser dès le deuxième trimestre. Une légère contraction du PIB européen au deuxième trimestre ne serait guère surprenante.
En attendant, les négociations commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis se poursuivent. Elles ne devraient pas aboutir avant la mi-juillet, maintenant un climat d’incertitude qui pèse sur les décisions d’investissement et alimente la volatilité sur les marchés financiers. Le récent accord conclu entre Washington et Londres a été présenté comme une avancée, mais il laisse en réalité le Royaume-Uni dans une position commerciale moins favorable qu’il y a quelques mois. Malgré la médiatisation de l’accord, des droits de douane universels de 10% s’appliqueront encore, alors que les tarifs moyens appliqués par les Etats-Unis sur les importations britanniques n’étaient que de 2,8% en 2024. Parallèlement, les droits de douane américains sur les exportations vers le Royaume-Uni vont baisser de 5,1% à 1,8%.
L’impact pour le Royaume-Uni reste limité, puisque moins de 1% de la valeur ajoutée de son industrie (soit 23 milliards de dollars en 2019) est exportée vers les Etats-Unis. En revanche, pour l’Union européenne, les enjeux du commerce de biens avec les Etats-Unis sont plus importants. Non seulement la valeur ajoutée exportée par l’industrie européenne vers les Etats-Unis représente dix fois celle du Royaume-Uni (248 milliards de dollars en 2019), mais l’UE affiche vis-à-vis des Etats-Unis un commerce de biens fortement excédentaire. Par sa taille, l’UE dispose aussi d’un tout autre rapport de force dans les négociations bilatérales avec les Etats-Unis. Rien ne dit qu’un accord entre Washington et Bruxelles soit aussi facile à sceller qu’avec Londres, et exempt de mesures de rétorsions. Bruxelles a d’ailleurs mis sur la table des négociations des contre-mesures qui pourraient potentiellement affecter quelques 95 milliards d’euros, soit plus d’un quart des importations européennes de biens américains. C’est plus qu’on ne l’imaginait il y a encore peu.
A lire aussi: La désescalade sur les droits de douane éclipse leur hausse effective
Un nouveau rapport de force dans l’automobile
Le réacheminement des flux commerciaux, notamment en provenance de Chine, est un autre risque pour l’économie européenne. Christine Lagarde, présidente de la BCE, l’a évoqué. Une récente étude de la Banque centrale européenne montre en effet que les premiers droits de douane imposés par Donald Trump en 2018 ont coïncidé avec une augmentation de 2 points de la part de marché de la Chine dans les importations de la zone euro, tandis que la Chine perdait 7 points dans les importations américaines. Selon cette même étude, les exportateurs européens n’auraient pas tiré bénéfice du retrait chinois du marché américain. Une autre étude, de la Commission européenne cette fois, a montré que les tarifs sur l’acier et l’aluminium décidés par Washington en 2018 avaient conduit les constructeurs automobiles européens à produire davantage sur le sol américain.
Pour l’instant, on n’observe bien sûr aucune trace d’un réacheminement des biens chinois vers l’Europe (voir graphique). Sur les deux premiers mois de 2025, le déficit commercial de l’UE avec la Chine reste de 30 milliards d’euros par mois, avec des flux de biens stables dans le domaine des machines et équipements, appareils ménagers, chimie, habillement ou chaussures. Ce qui frappe en revanche, c’est la pénétration croissante des produits chinois dans le secteur de l’automobile et, de façon plus inattendue – peut-être seulement conjoncturel, celui de la pharmacie. Depuis l’été 2024, l’UE enregistre un déficit commercial mensuel de 0,6 milliard d’euros sur les véhicules à moteur et de 0,4 milliard sur la pharmacie, alors qu’elle affichait encore un excédent les années précédentes. Cette évolution n’a rien à voir avec les tarifs américains. Elle reflète la montée en puissance de la stratégie industrielle chinoise.
Un soutien budgétaire allemand sans doute insuffisant
Dans ce contexte, l’UE et l’Allemagne, dont Friedrich Merz vient de prendre les rênes, sont devant leur responsabilité. L’activation d’un stimulus budgétaire colossal, promis au lendemain de la campagne électorale outre-Rhin devient cruciale. Il est question d’une injection fiscale équivalente à 20 points de PIB allemand sur douze ans, dont plus de la moitié serait consacrée aux infrastructures publiques, le reste à la défense. Ce plan pourrait avoir des retombées positives sur l’ensemble de l’Union, notamment sur l’Europe de l’Est. Pour la zone euro, nous estimons qu’il pourrait ajouter 0,1% PIB en 2026, 0,2% en 2027 et 0,3% en 2028. Faut-il encore que les autorités européennes avalisent ce plan, qui est en porte-à-faux avec les nouvelles règles budgétaires.
Quoi qu’il en advienne, on peut déjà dire que cette dépense publique ne suffira pas seule à restaurer la compétitivité européenne. L’Allemagne, sous la houlette de Friedrich Merz, doit aussi s’engager dans la voie des réformes structurelles, tout comme l’Union européenne dans son ensemble d’ailleurs. Elle sera plus que nécessaire pour résister à la concurrence chinoise, dans un contexte où le commerce avec les Etats-Unis risque d’être moins profitable à l’avenir qu’il ne l’était jusqu’ici, à l’image du compromis signé par le Royaume-Uni.
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Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse