L’Occident se prête au jeu délicat des sanctions contre la Russie

La décision plus radicale serait de couper le pays de toutes les transactions à l’international. On en est encore loin.
Fabrice Anselmi
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell et Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangère (réunion informelle extraordinaire sur la situation en Ukraine, le 22 février 2022, à Paris.
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell et Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, lors de la réunion informelle extraordinaire sur la situation en Ukraine, le 22 février 2022, à Paris.  -  Crédit European Union

La reconnaissance officielle par Moscou des régions séparatistes de Louhansk et de Donetsk en Ukraine a amené les gouvernements occidentaux à annoncer leurs premières sanctions contre la Russie. Dans la foulée de l’allocution du président Vladimir Poutine, la Maison-Blanche avait fait savoir lundi que le président américain Joe Biden allait signer un décret interdisant aux ressortissants américains de procéder à de quelconques échanges commerciaux ou investissements uniquement avec les deux régions indépendantes. Mardi soir, lors d’une conférence de presse, Joe Biden a dévoilé de premières sanctions américaines visant deux grandes banques, VEB et Promsvyazbank, ainsi que la dette souveraine russe afin de couper le pays de tout financement occidental. Des sanctions contre les élites russes seront dévoilées ce mercredi.

Le Royaume-Uni, lui, visera cinq banques et des hommes d’affaires russes pour leurs activités dans les deux régions séparatistes en gelant leurs actifs et voyages outre-Manche. L’Union européenne (UE) a décidé à l’unanimité des pays membres de cibler également 27 représentants, élus et entités russes ayant joué un rôle dans la violation de l’intégrité de l’Ukraine, ainsi que la capacité de la Russie à accéder aux marchés de capitaux et services financiers européens. «La réaction allemande de suspendre la certification du gazoduc Nord Stream 2 a été étonnamment rapide pour tout le monde», indique Martin Quencez, directeur du bureau de recherche à Paris du think thank German Marshall Fund of the United States.

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a souligné que les sanctions de l’UE viseraient des décideurs russes et des banques finançant des opérations en Ukraine. Mais il a ajouté qu’elles ne constituaient qu’une partie de la réaction européenne aux actions de la Russie, sans préciser la suite.

«On peut saluer l’unité de l’UE et de l’Otan, ce qui n’était pas évident au début de la crise, poursuit Martin Quencez. Tout le monde a conscience que les Accords de Minsk ont cessé lundi. La reconnaissance des deux régions ukrainiennes autonomes par la Russie, dont le président a obtenu mardi le feu vert pour l’utilisation des troupes dans le Donbass, redessinent encore les frontières de l’Europe définies après la guerre froide. Le scénario d’une stabilisation de cette ‘zone grise’ est possible, mais le coût économique et politique pour Vladimir Poutine est inférieur aux bénéfices : il est alors probable qu’il enclenche une phase 2, d’autant que la reconnaissance ne s’arrête pas à la ligne de front entre Ukrainiens et séparatistes, mais à toute la région», ajoute-t-il.

Interdire toutes les transactions ?

Des réponses militaires directes ne sont pas prévues. En cas d’escalade, les Occidentaux pourraient opter pour des sanctions économiques plus importantes. Dont celle évoquée par la Maison-Blanche de demander à l’entreprise Swift de débrancher du protocole des transactions internationales les entreprises et banques russes. «Mais Swift n’opère pas les transferts de fonds : c’est une coopérative qui propose une messagerie pour mettre en relation les quelques 11.000 institutions ou entreprises connectées lorsque les clients des banques doivent boucler une transaction, rappelle Hervé Postic, directeur général du cabinet de conseil Utsit (Universwiftnet). C’est aussi une société privée, avec une gouvernance précise et indépendante.» La société belge ayant quand même répondu positivement à la demande de «débrancher» l’Iran (en 2012) et la Corée du Nord (en 2017), le Parlement européen a adopté une résolution sur l’exclusion possible de la Russie en 2021.

Pour Hervé Postic, la question n’est pas tant d’imposer à Swift d’exclure les institutions et entreprises russes que d’interdire, également par la loi, leurs homologues américaines ou européennes de conclure des transactions avec elles. «Une entreprise russe qui vend des services à une entreprise européenne doit par exemple passer par la banque correspondante de sa banque russe en zone euro pour être créditée de la somme dans cette devise», poursuit l’expert des paiements. Seule la conversion des euros en roubles établirait le transfert des fonds en Russie.

Dans le cas symbolique de Gazprom qui vend du gaz naturel aux opérateurs européens, les transactions se déroulent en dollars, donc entre banques correspondantes aux Etats-Unis. Et la législation américaine aurait la capacité d’interdire à des banques européennes ayant des activités outre-Atlantique d’organiser de telles transactions en euros.

Reste à savoir si l’UE et les Etats-Unis souhaitent vraiment se couper des échanges avec les Russes, notamment pour le gaz, qui pèse 40% de l’approvisionnement européen et 80% en Allemagne et en Italie. «Ces derniers se sont montrés solidaires mardi. Il faudra voir au moment de prendre des décisions plus sévères», conclut Martin Quencez.

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