
L’inversion de la courbe des taux prédit les récessions en zone euro
Deux économistes de la Banque de France, Jean-Guillaume Sahuc (également chercheur à l’Université de Paris-Nanterre) et David Sabes, sont sur le point de publier une première étude étayée démontrant que l’inversion de la pente des taux prédit plutôt bien une récession en zone euro. Avec deux limites importantes : premièrement, la capacité de prévision de la courbe a eu tendance à s’affaiblir depuis la grande crise financière (GFC) de 2008 ; deuxièmement, la performance globale est tirée par les pays du cœur de la zone euro, en particulier l’Allemagne.
Du point de vue méthodologique, les chercheurs ont étudié les données mensuelles des quatre grands pays de la zone euro sur la période 1970-2022, avec retraitement lorsque ces données étaient trimestrielles ou annuelles, et reconstitution à partir de modèles statistiques appropriés pour la zone euro agrégée avant 1999. Ils ont pris en compte comme variables la pente des taux 10 ans-3 mois, et les récessions communément définies comme une baisse du PIB sur au moins deux trimestres consécutifs. Concernant l’évaluation des probabilités étudiées, «nous utilisons un modèle de régression binomiale (probit) dont la variable dépendante vaut la valeur 1 si une récession survient dans les 12 prochains mois suivant une inversion de la courbe, 0 sinon, expliquent David Sabes et Jean-Guillaume Sahuc. Et pour évaluer l’efficacité du modèle, nous nous appuyons sur la métrique AUROC, depuis longtemps utilisée en ingénierie (radars) ou en médecine par exemple.»
En distinguant deux périodes d’étude (1970-2008 et 1970-2022), les chercheurs concluent que l’inversion de la courbe était plutôt un bon signal d’une récession à venir dans les prochains douze à dix-huit mois avant 2008. C’est moins évident depuis : «Les politiques monétaires non conventionnelles, notamment les programmes d’achats d’actifs, ont brouillé le signal de la courbe en réduisant volontairement les taux longs, et ce malgré un taux directeur plancher descendu à -0,50% pour la Banque centrale européenne (BCE)». Les politiques budgétaires expansionnistes ont également perturbé les données liées à la croissance du PIB.
L’autre conclusion issue de leur méthode de vérification est que les primes de risque, et plus particulièrement la composante crédit, brouillent la relation entre la pente des taux et la probabilité d’une future récession au sein des pays périphériques : «Se concentrer sur la courbe des rendements au niveau agrégé, plutôt que d’examiner les courbes individuelles, fait perdre des informations importantes concernant l’opinion des acteurs du marché sur le risque pays dans la zone euro et peut conduire à des conclusions erronées.»
Pour Jean-Guillaume Sahuc et David Sabes, «il n’y a pas de moyen infaillible de prédire une récession dont les causes sont diverses et changeantes : il est important de regarder plusieurs indicateurs économiques et financiers pour avoir une idée de la santé d’une économie et prendre des mesures préventives». Mais le plus précis ou efficace reste probablement la pente de la courbe des taux.
Inversion récente en Allemagne
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, chaque récession aux Etats-Unis a été devancée d’une inversion de la courbe, en général dans les dix-huit mois précédents. Même la crise liée à la pandémie de covid en 2020, «pourtant unique et hautement imprévisible», avec une inversion des taux américains début 2019 à cause de relèvements prématurés de la Fed fin 2018. La pente 10 ans-3 mois est redevenue négative mi-novembre outre-Atlantique, d’environ 100 pb désormais, avec la perspective d’une récession pour fin 2023 que ne contredit pas l’indice «multi-facteurs» du Conference Board. En Allemagne, l’étude montre que la pente 10 ans-3 mois est devenue négative de 100 à 450 pb avant chacune des crises (sauf en 2000 et en 2020), et à nouveau depuis début janvier, mais dans de bien moindres proportions (-40 pb désormais).
«Pour comprendre pourquoi une courbe des taux inversée laisse souvent présager une récession, rappelons que les taux d’intérêt à long terme sont définis comme une moyenne pondérée des taux d’intérêt à court terme actuels et attendus à laquelle s’ajoutent plusieurs primes de risque demandées par les investisseurs : crédit, inflation, duration, liquidité, etc.», poursuivent les auteurs. Ainsi, selon leur perception des risques, et notamment de la liquidité sur les titres concernés, les acteurs du marché peuvent acheter plus de taux longs que de taux très courts aussi bien s’ils s’attendent à un futur assouplissement monétaire - la crainte d’une récession est partagée avec la banque centrale - que dans le cas d’un resserrement monétaire - dont ils craignent alors l’effet récessif. Et l’argument du plein emploi doit alors être relativisé, car le marché du travail étant un indicateur très retardé, le taux de chômage a souvent été faible avant les précédentes crises, même aux Etats-Unis.
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