
Les titrisations de prêts à levier cherchent un cap

Le marché des collateralized loan obligations (CLO) a connu une période agitée ces derniers mois. Après une période de reprise intense post-Covid, les volumes d’émissions primaires de ces véhicules de titrisation de prêts syndiqués, avec ou sans levier, ont fortement chuté en Europe au deuxième trimestre, en raison de la dégradation de l’environnement macroéconomique et géopolitique, et les spreads des différentes tranches de CLO ont massivement augmenté. Les émissions de nouveaux CLO ont ensuite légèrement progressé entre juillet et septembre mais à des niveaux de spreads toujours aussi hauts. « Depuis février-mars, les tranches notées AAA sortent régulièrement autour de 200 points de base (pb), certaines ayant même atteint 230 pb. L’an dernier à la même époque, on était plutôt à 90 pb, observe Christoph Zens, responsable de l’activité CLO pour l’Europe chez Tikehau Capital. L’environnement macroéconomique s’est dégradé, l’appétit des investisseurs pour le risque est moindre, et certains investisseurs américains et japonais sont sortis du marché. La base d’investisseurs est donc plus faible sur les tranches AAA. Sur les autres tranches, les spreads ont aussi augmenté mais nous constatons quand même davantage de demande. »
Déjà en contraction, la profondeur du marché s’est encore amoindrie mi-octobre quand la banque japonaise Norinchukin, également appelée Nochu et présentée comme « la baleine des CLO » – puisqu’elle pèserait à elle seule un tiers des investissements dans les CLO mondiaux –, a annoncé faire une pause sur ce marché, mettant à l’arrêt certaines opérations en cours de pricing. « Le retrait de certains gros participants de marché, comme Nochu, a ralenti ou retardé certaines émissions mais il y a beaucoup d’autres investisseurs qui cherchent encore activement des opportunités. C’est pourquoi nous voyons toujours 2022 comme une très bonne année en termes d’émissions », tempère Brian Yorke, responsable mondial des CLO chez Muzinich & Co.
Vague de cessions
Si les volumes peuvent donc rester soutenus outre-Atlantique sur l’année, ce ne sera sans doute pas le cas en Europe, où les émissions primaires ont chuté de 45 % depuis le début de l’année, selon Bloomberg. Outre le retrait de gros investisseurs, une activité anormalement élevée sur le marché secondaire ces dernières semaines a également pesé sur la demande pour le marché primaire. Suite au choc provoqué par le mini-budget de Liz Truss au Royaume-Uni, les fonds de pension britanniques ont massivement vendu les tranches de CLO les mieux notées qu’ils détenaient afin d’obtenir des liquidités pour faire face à leurs appels de marge quotidiens.
Selon Bank of America, près de 4 milliards d’euros de tranches de CLO ont été cédés sur le marché depuis l’annonce de ce programme budgétaire. « Les fonds de pension britanniques ont beaucoup vendu leurs tranches les plus liquides mais cela s’est calmé depuis quelques semaines. Il y avait une demande en face car le triple A était vendu avec une décote, qui donnait un ‘yield-to-maturity’ d’environ 250 pb, explique Arnaud Heck, directeur de MV Credit France, filiale de Natixis IM. Plutôt que d’investir dans des nouveaux CLO, certains investisseurs ont préféré jouer la stratégie ‘pull to par’, qui consiste à acheter des tranches décotées en pariant sur le fait qu’elles se rapprochent du pair avec la reprise du marché ou à mesure que leur maturité approche. L’absence en conséquence d’investisseurs dans les nouveaux CLO et donc d’émissions de nouveaux CLO a asséché le marché primaire des financements, et les banques ont dû garder leurs prêts sur leur bilan. Le seul moyen de contrer cela est de continuer le développement du marché européen des CLO, notamment grâce aux acteurs européens. »
Inquiétude sous-jacente
Le recul des volumes en Europe s’explique également par la faiblesse des refinancements (refin ancement d’une ou plusieurs tranches) ou resets (refinancement de la totalité du CLO, hors tranche equity, et extension de la durée de réinvestissement) en raison de la hausse des taux. Ces opérations, habituelles sur le marché, auraient doublé les coûts de structure des CLO dans ce contexte.
Cette hausse des taux d’intérêt, qui n’affecte pas directement les CLO car la plupart d’entre eux investissent majoritairement dans des prêts à taux variables, va en revanche peser sur leurs sous-jacents. « Les entreprises vont voir leur ratio de couverture des intérêts baisser, ce qui pourrait dans certains cas mettre de la pression sur leur notation, anticipe Brian Yorke. Cela pourrait conduire à multiplier les abaissements de notations sur le ‘collateral’ sous-jacent des CLO et à une augmentation de la proportion de crédits notés CCC. » « Il n’est pas impossible qu’il y ait des défauts de tranches juniors de CLO si la situation perdure. Mais contrairement à avant la crise financière où l’essentiel des CLO était ‘buy & hold’, les CLO dits 2.0 font plus de trading. Donc cela aidera à limiter les défauts dans les portefeuilles », estime Christoph Zens.
En dépit d’un volume d’activité plus faible, la plupart des managers restent donc optimistes sur la performance de leurs CLO pour 2023, malgré le contexte macroéconomique. « La grande force des CLO est qu’ils ont généralement démontré une résilience grâce à leur structure auto-correctrice, à la différence d’autres types de véhicules ou classes d’actifs, rappelle Arnaud Heck. Les rares défauts sur les tranches les plus juniors ont eu lieu pendant la crise financière. Les structures ont depuis été affinées avec la génération 2.0 des CLO. Je ne connais aucun défaut important de CLO européens depuis 2013. »
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