Les marchés obligataires ne sont pas loin de craquer

La remontée des taux est brutale. Les vendeurs d’obligations peuvent encore arriver à leurs fins, au prix d’importants sacrifices souvent.
Fabrice Anselmi
Deutsche Borse coronavirus
«Les algorithmes ont été débranchés. On est revenu (...) aux échanges à la voix», Laurent Albert, directeur général délégué de Namfi.  -  Bloomberg

Le mouvement de correction sur les marchés de taux en zone euro s’est amplifié mercredi matin, le taux 10 ans italien progressant jusqu’à près de 3% après de nouvelles déclarations maladroites du côté de la Banque centrale européenne (BCE) et notamment du gouverneur autrichien Robert Holzmann. Les dérapages du BTP italien ont entraîné les taux espagnols, portugais et grecs – sachant que la dette grecque ne bénéficie pas du programme de rachat d’actifs (QE) de la BCE, mais aussi les taux français, avec une OAT 10 ans repassée tout près de 0,50%.

Si la situation, également due aux annonces budgétaires des Etats pour contrer la crise sanitaire et économique actuelle, s’est améliorée dans l’après-midi sur les taux euro, elle ressemble bien à l’amorce d’un krach obligataire, après le krach action des dernières semaines. «Cela fait mal au cœur des gérants de vendre leurs obligations souveraines et ‘corporate’ à la casse, mais le ‘cash’ redevient ‘roi’ avec les inquiétudes et la volatilité qui montent, rappelle Axel Botte, stratégiste chez Ostrum AM. La pentification importante est également terrible pour les Bund à 10 et 30 ans (à -0,27% et 0,04%).» Les taux à 10 et 30 ans américains, remontés à 1,08% et 1,70%, ne sont pas épargnés, et la pente s’est aussi accentuée entre le 1 an (à 0,1%) et le 2 ans (0,4%).

Les non-résidents vendent

«Au vu de l’affaiblissement de l’euro, on peut imaginer que les flux sortants sur les taux souverains de la zone euro proviennent d’abord d’investisseurs non résidents», estime Eric Bertrand, directeur adjoint des gestions chez Ofi AM. «Les marchés sont tout simplement en train de ‘repricer’ le risque, sur les taux comme sur le crédit», ajoute Gilles Guibout, responsable des actions européennes chez Axa IM, en tant qu’observateur du marché du crédit.

Mais les institutionnels n’arrivent pas à vendre tous leurs actifs à risques, obligations ou actions, ou ne peuvent pas quand ils ont des passifs longs, comme les assureurs ou les fonds de pension, qui doivent donc garder des taux longs. «Ils sont dès lors obligés de se couvrir, ce qui amène à une situation bizarre où les taux ‘swaps’ cotent au-dessous des taux d’emprunt d’Etat sans risque, à 0,02% sur le Bund pour lequel le taux ‘swap’ est généralement 30 ou 40 pb au-dessus», poursuit Axel Botte. La différence, extrême, est de 70 pb sur les US Treasuries 30 ans américains.

Trading à l’aveugle

La situation est d’autant plus stressante que «la décorrélation habituelle entre obligations souveraines et actions ne joue plus, et que les marchés n’ont jamais autant été soutenus par les assouplissements quantitatifs (QE) des banques centrales», affirme Bernard Aybran, directeur général d’Invesco France. Peut-elle encore durer, empirer ? «Dans l’histoire du QE japonais, on a vu des périodes de ‘sell-off’ assez longues, et la réalité des prix obligataires est sans doute très au-dessous des fourchettes qu’affichent les écrans», poursuit Axel Botte.

En effet, les marchés obligataires restent majoritairement de gré à gré (OTC), et alors que la part des échanges électroniques avait beaucoup cru depuis cinq ans via des plates-formes, «les algorithmes ont été débranchés. On est revenu ces derniers jours aux échanges à la voix et les indications RFQ [demandes de prix] n’ont pas de sens, confirme Laurent Albert, directeur général délégué de Namfi. Les ‘traders’ comme les ‘market makers’ interviennent ‘en aveugle’, avec les risques induits, et la nécessité de trouver un équilibre entre le prix recherché par le vendeur, le prix indicatif et le prix final.»

Pour ce responsable de la table d’exécution Namfi, les vendeurs peuvent quand même arriver à leur fins, bien que difficilement : «Il y a beaucoup plus de vendeurs que d’acheteurs, ce qui semble extraordinaire vu le niveau d’interventionnisme des banques centrales sur l’ ‘investment grade’. On a l’impression que l’automatisation a un peu fragmenté la liquidité en segmentant encore plus les marchés obligataires», conclut Laurent Albert, qui évoque par exemple des acheteurs sur les maturités longues du crédit en face de vendeurs sur les maturités plus courtes.

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