Les cryptomonnaies peinent à concurrencer l’or en tant que valeur refuge

L’analyse de... Philippe Ithurbide, conseiller économique senior, Amundi

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Philippe Ithurbide, conseiller économique senior, Amundi

Certains observateurs ou analystes – ardents défenseurs des cryptomonnaies en général et du bitcoin en particulier – ont tendance à considérer que les cryptomonnaies sont des actifs de diversification, en particulier en période de stress. En d’autres termes, elles pourraient être considérées comme une valeur refuge, tout comme l’or. Il était d’autant plus facile d’affirmer cela que depuis la création du bitcoin (2009), il n’y a pas eu de véritable crise... Il n’y avait donc aucun moyen de contester statistiquement de telles déclarations... jusqu’à la fin de 2018 lorsque toutes les classes d’actifs dits traditionnels (obligations et actions) ont fortement chuté. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le bitcoin n’a pas tenu ses promesses. Au cours du dernier trimestre de l’année, quand le stress et la baisse des marchés ont été les plus forts, le bitcoin a été bien plus volatil que les actifs qu’il était censé couvrir ; sa performance a été bien pire que celle du marché qui a le plus souffert parmi les classes d’actifs traditionnelles, c’est-à-dire le marché boursier ; la corrélation de son rendement avec celui des actions a été positive. Pour les rendements négatifs ou extrêmement négatifs du S&P500, le bitcoin n’a pas généré systématiquement de rendements positifs, ce qui ne fait pas de lui un actif refuge.

Le manque d’intérêt du bitcoin en tant que valeur refuge en 2018 est donc patent. Comment imaginer qu’un actif n’ayant pas d’historique en tant que valeur refuge, et ayant un bilan médiocre au cours de la première période de crise à laquelle il est confronté, puisse être considéré comme « un actif sûr » à l’approche d’une crise économique ou financière ? Dans le même temps, l’or offrait une volatilité plus faible, une performance positive et une corrélation négative… et il a une longue expérience en tant que valeur refuge : il s’est apprécié pendant toutes les périodes de stress et de crise, que ce soit le Black Monday (1987), la crise LTCM (1998), l’éclatement de la bulle « Dot.com », le 11 septembre 2001, la récession de 2002, la grande récession, les crises de la dette souveraine européenne, le recul des marchés de 2018... Ayant peu ou pas de corrélation avec les autres actifs majeurs, il est efficace en tant que diversification et protection des portefeuilles. Et même s’il fait partie du groupe des matières premières, sa corrélation avec d’autres matières premières est également limitée. L’or est donc un actif anticyclique précieux.

Même si, comme pour le métal jaune, l’offre du bitcoin est limitée, cette caractéristique n’est pas suffisante pour considérer que les deux actifs se ressemblent : l’or est moins volatil que le bitcoin ; l’or a un marché plus liquide que le bitcoin : le volume des transactions en bitcoins représente moins de 1 % du marché total de l’or. La demande d’or est diversifiée (banques centrales, institutionnels, secteur privé…), tandis que la demande de bitcoins est très concentrée. Le marché de l’or bénéficie d’un marché du recyclage très sensible aux prix et stabilisateur. Au cours des 25 dernières années, l’or recyclé représente environ un tiers de l’offre totale. Cela aide à maintenir l’équilibre sur le marché de l’or et contribue à réduire la volatilité des prix. Le métal jaune a un rôle bien compris dans les portefeuilles cash, futures, options, ETF… il est possible d’inclure des produits liquides sur l’or dans des portefeuilles à court terme, à long terme, à des fins de macro-couverture, alors que le bitcoin n’est qu’un actif spéculatif. L’or se négocie dans un cadre réglementaire clair, tandis que la réglementation vient de commencer pour les cryptomonnaies. Le commerce de l’or n’est interdit nulle part, ce qui n’est pas le cas pour les cryptomonnaies. Il n’y a aucune incertitude sur la réglementation sur l’or, alors que ce n’est pas le cas en ce qui concerne les cryptomonnaies.

Pour résumer, le bitcoin n’existait pas en 2008, lorsque la crise financière a détruit la plupart des marchés financiers, et il n’a pas protégé contre le choc de 2018 ; il a également connu des phases d’effondrement sans comparaison, et il fait l’objet d’irrégularités et de fraude... Ce n’est pas un « or digital ». Cela dit, soyons juste envers le bitcoin et rendons à César ce qui appartient à César : il a été, depuis sa création, un actif dont le rendement a dépassé – de loin – tous les autres actifs. Le bitcoin est sans aucun doute l’investissement de la dernière décennie, mais en tant que valeur de macro-couverture et de valeur refuge en période de crise, l’histoire récente ne plaide pas en sa faveur.

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